En 1976, George Harrison sort son septième album solo, Thirty Three & ⅓, un disque marqué par une certaine légèreté et un humour subtil. Parmi les titres de cet opus figure This Song, un morceau au ton enjoué qui dissimule pourtant une amère réflexion sur l’une des périodes les plus tumultueuses de la carrière du musicien. Cette chanson, véritable pied de nez à la justice et à l’industrie musicale, est directement inspirée du procès qui a opposé Harrison à la société Bright Tunes Music Corporation, l’accusant de plagiat pour son tube de 1970, My Sweet Lord.
Sommaire
- Un procès retentissant
- This Song : catharsis et autodérision
- Un enregistrement sous le signe de la satire
- La sortie et l’accueil du public
- L’héritage de This Song
Un procès retentissant
L’affaire judiciaire autour de My Sweet Lord commence en 1971 lorsque Bright Tunes Music Corporation, détentrice des droits de He’s So Fine des Chiffons, accuse George Harrison d’avoir copié leur chanson de manière illégale. Après plusieurs années de batailles judiciaires, le jugement rendu en septembre 1976 déclare que Harrison est coupable de « plagiat subconscient ». Une décision qui, au-delà du cas particulier de Harrison, ouvre un précédent juridique majeur en matière de droits d’auteur.
Durant le procès, la cour se focalise sur deux motifs mélodiques précis, identifiés comme « Motif A » et « Motif B », présumés similaires dans les deux morceaux. Les avocats de Bright Tunes déploient des schémas analytiques détaillés pour démontrer leur thèse, allant jusqu’à répéter ces éléments pendant plusieurs jours. À tel point que Harrison lui-même finit par douter de son propre processus de composition.
This Song : catharsis et autodérision
Face à cette situation absurde, George Harrison décide d’exorciser ses doutes en composant This Song. Le texte, teinté d’humour et d’ironie, multiplie les références directes à son procès :
This song has nothing « Bright » about it
(Cette chanson n’a rien de « Bright », jeu de mots avec Bright Tunes Music)
My expert tells me it’s okay
(Mon expert me dit que c’est bon)
This song ain’t black or white, and as far as I know don’t infringe on anyone’s copyright
(Cette chanson n’est ni noire ni blanche, et autant que je sache, elle n’enfreint aucun droit d’auteur)
Ces paroles expriment le ras-le-bol de Harrison face à l’arbitraire des décisions judiciaires en matière de plagiat musical.
Un enregistrement sous le signe de la satire
This Song est enregistrée entre mai et septembre 1976 avec un casting de musiciens de haut vol. George Harrison s’entoure notamment de Tom Scott au saxophone, Billy Preston aux claviers, Willie Weeks à la basse et Alvin Taylor à la batterie. Le morceau est d’ailleurs enrichi par la participation d’Eric Idle, membre des Monty Python, qui apporte une touche humoristique avec des interventions parlées en plein milieu du titre :
Could be « Sugar Pie Honey Bunch »… Nah, it sounds more like « Rescue Me »!
Ces références directes à des chansons emblématiques des années 1960 (respectivement des Four Tops et de Fontella Bass) soulignent la difficulté de créer une mélodie totalement inédite sans être accusé de plagiat.
La sortie et l’accueil du public
Le 15 novembre 1976, This Song est choisi comme premier single de Thirty Three & ⅓. Il rencontre un succès modéré, atteignant la 25e place du Billboard Hot 100 aux États-Unis, mais ne parvient pas à se classer au Royaume-Uni. Une version éditée, raccourcie d’une vingtaine de secondes, est utilisée pour le single.
Harrison réalise également un clip vidéo, tourné dans un tribunal de Los Angeles. Parmi les participants figurent Jim Keltner en juge, Ronnie Wood des Rolling Stones mimant les répliques d’Eric Idle, et Olivia Arias, compagne de Harrison, dans le rôle d’une jurée. Cette vidéo est diffusée pour la première fois le 20 novembre 1976 lors de l’émission Saturday Night Live, où Harrison est l’invité musical.
L’héritage de This Song
Avec This Song, George Harrison transforme un épisode douloureux en une pièce jubilatoire et réflexive sur la création musicale et la justice. Plus qu’un simple exutoire personnel, le titre illustre les dérives de l’industrie du droit d’auteur et l’absurdité des litiges de plagiat.
Bien que le procès de My Sweet Lord ait laissé une empreinte amère dans la carrière de Harrison, il a su, avec humour et talent, transformer cette expérience en une chanson mémorable. Aujourd’hui encore, This Song demeure un exemple brillant de la manière dont un artiste peut reprendre le contrôle de son histoire à travers sa musique.