Episode 5 : Help !

Publié le 13 octobre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Le 29 juillet 1965, le film Help! des Beatles sort au cinéma, suivi par l’album du même nom. Avec un budget accru, le film est tourné en couleur dans des lieux exotiques. L’album Help! marque une évolution musicale avec des influences folk et country, notamment sur Yesterday, première chanson enregistrée sans le groupe. La pochette de l’album, conçue par Robert Freeman, s’inspire du film, sacrifiant l’authenticité du sémaphore au profit de l’esthétique.


Le 29 Juillet 1965, le second film des Beatles, Help!, sort au cinéma. Dû au succès de leur premier filmA Hard Day’s Night, le budget de Help!est beaucoup plus important : les scènes sont filmées en couleur dans des endroits exotiques dont les Bahamas et les Alpes autrichiennes, et certaines sont filmées dans des plateaux élaborés construits en studio. Robert Freeman travaille sur la production du film en tant que consultant de couleur et designer de titres, et filme la séquence finale du film avec des techniques de caméra kaléidoscopique. Les Beatles diront quelques années plus tard que le film a été tourné dans un “brouillard de marijuana”.

Quelques jours après la sortie du film sort l’album Help!, contenant les sept chansons du film sur sa première face, et sept nouvelles chansons sur la deuxième face. Bien que l’album contienne plusieurs chansons qui s’inscrivent dans le registre pop précédent du groupe–telles que “The Night Before” ou “Another Girl”–les explorations commencées surBeatles For Sale continuent sur cet album, et sont accentuées. Tandis que l’album précédent indiquait quelques influences des styles country et western, la chanson de Paul McCartney “I’ve Just Seen a Face” était presque entièrement country. Une autre nouveauté concerne “Yesterday” de McCartney, qui deviendra la chanson la plus reprise de tous les temps : la chanson est arrangée pour une guitare et un quatuor de cordes, et enregistrée sans les autres membres du groupe. De plus, les notes que l’on peut trouver sur la pochette de l’album indiquent que Lennon et McCartney jouent eux-mêmes les claviers sur certaines chansons, ceci étant permis par les overdubs, (ou enregistrements en re-re) que l’on pouvait désormais faire grâce à la technologie multipiste : on pouvait enregistrer de nouvelles pistes instrumentales et les ajouter à la piste où le chant a été préalablement enregistré.

Au niveau des paroles, l’introspection commencée sur l’album précédent est prolongée dans cet album : les influences de Bob Dylan sont toujours présentes sur des chansons de John Lennon comme “You’ve Got To Hide Your Love Away”. Curieusement, c’est la chanson-titre Help!, chanson pop au tempo rapide, qui représente le mieux l’exploration introspective de John Lennon sur cet album : d’abord composée par Lennon comme une ballade jouée au piano, elle se voit accélérée à cause de pressions commerciales. Pour Lennon, la chanson était en réalité un appel à l’aide sincère : “Les gens pensent que c’est juste une chanson de rock n’ roll rapide. Mais j’étais en fait déprimé, et j’appelais à l’aide”.

C’est à nouveau Robert Freeman qui produit les photos et le design de la pochette de Help!. La photographie montre le quatuor en tenue de ski sur un fond de blanc pur : elle évoquait les scènes alpines du film. Elle a été prise le 7 mai sur le parking de Twickenham, les garçons étant debout sur une plateforme surélevée, devant une toile de fond peinte en blanc. Graphiquement, le portrait traditionnel en gros-plan utilisé sur les quatre premiers albums des Beatles est sacrifié pour le design de Help!.Ici, les membres du groupe sont présentés de plain-pied, éloignés considérablement de l’appareil photo, contre un arrière-plan blanc.

L’idée initiale de Freeman était d’énoncer les lettres du mot “Help” en code sémaphorique, mais il y renonça pour des raisons esthétiques : “Lorsque j’ai voulu prendre la photo, l’arrangement des bras avec ces lettres n’était pas visuellement attrayant. Nous avons donc décidé d’improviser, et nous avons choisi le meilleur positionnement graphique des bras”. Les positions adoptées pour le sémaphore de la couverture épèlent en fait le mot “NUJV” sur la pochette sortie en Angleterre. La pochette américaine montre une combinaison un peu différente, traduisant “NVUJ”–tout aussi énigmatique. Linguistiquement insensé, mais visuellement attrayant, la pochette déforme la réalité et sacrifie l’authenticité du message sémaphorique au profit de buts esthétiques. Cette manipulation est une démonstration de l’argument des auteurs David Gordon et John Kittross que “la fonction de la publicité est de créer des images pour vendre des produits… et il n’y a donc pas de besoin d’adhérer à la réalité”. Selon l’auteur Mike Evans, le sémaphore de Help! est devenu “une autre marque de fabrique du groupe, un autre symbole qui les rendait instantanément identifiables, même à distance”.

La pochette établit un lien fort avec le film : en effet, les Beatles y apparaissent vêtus des mêmes tenues qu’ils portent dans une scène du film. De plus, l’affiche du film , également conçue par Robert Freeman, est directement adaptée de la pochette. Le lien entre la pochette et le film est donc beaucoup plus fort que celui entre la pochette et le contenu musical de l’album, ce qui reflète évidemment l’aspect commercial de la correspondance entre le film et l’album, et la promotion des deux éléments comme un ensemble cohérent. Les explorations musicales et lyriques des Beatles sur cet album ne sont donc pas mises en évidence d’un point de vue visuel avec la pochette, bien que celle-ci soit graphiquement innovante en s’éloignant de la “pochette de la personnalité” traditionnelle utilisée jusqu’à présent, et en explorant une nouvelle composition. La musique et le graphisme présentent tous deux des aspects expérimentaux, mais vont dans des directions différentes.


A propos de l’auteur de cet article :Cet article est issu du mémoire de Master 1 d’Histoire de l’Art, rédigé par Nour Tohmé. Il est reproduit ici avec son aimable autorisation. Nour Tohme, illustratrice libanaise, dessine avec humour et talent, toute une série de compositions liées à la musique et à la Pop Culture. Nous ne pouvons que vous recommander de découvrir son oeuvre sur son site officiel.