À 71 ans passés, Paul McCartney ne montre aucun signe de relâchement créatif au moment de la sortie de New en octobre 2013. Cet album – son seizième opus solo de chansons originales – marque le grand retour de l’ex-Beatle à la pop contemporaine, six ans après Memory Almost Full (2007) et entre-temps quelques échappées jazz (Kisses on the Bottom, 2012) ou classiques. Plutôt que de s’enfermer dans la routine, McCartney aborde New avec l’envie de se renouveler sans renier son héritage. Le titre même de l’album, New (« nouveau »), symbolise cette ambition : offrir du neuf avec du “McCartney” pur jus. Porté par le bonheur de son récent mariage avec Nancy Shevell – une source d’inspiration qu’il ne cache pas – le musicien affiche ici une énergie et un optimisme communicatifs.
La genèse de New est marquée par une approche peu conventionnelle : McCartney décide de collaborer avec quatre producteurs différents de la jeune génération, dans l’espoir qu’émerge une alchimie particulière. Initialement, l’idée était de tester chacun des producteurs sur quelques morceaux et d’en choisir un seul pour finir l’album. Finalement, séduit par les qualités de chacun, McCartney retient tous les quatre, intégrant à l’album des pistes produites séparément par Mark Ronson, Paul Epworth, Ethan Johns et Giles Martin. Ce casting éclectique réunit des talents aux profils variés : Mark Ronson, connu pour son travail vintage aux côtés d’Amy Winehouse ou Adele, apporte son sens du groove rétro et des cuivres entraînants ; Paul Epworth, producteur entre autres d’Adele (21) et de rock indé, insuffle une dynamique moderne et musclée en coécrivant même plusieurs titres sur le vif ; Ethan Johns, fils du célèbre ingénieur Glyn Johns, ancre certaines chansons dans une veine plus acoustique, brute et intime, privilégiant souvent les premières prises spontanées ; enfin Giles Martin, fils du légendaire George Martin, officie comme producteur exécutif et garant de la cohérence d’ensemble, tout en apportant çà et là des touches sonores rappelant l’héritage des Beatles. McCartney explique que chaque collaborateur a su le stimuler différemment – Epworth l’a poussé à improviser en studio, Ronson s’est montré enthousiaste et joueur dans les arrangements, Johns a capté des performances vocales authentiques quitte à laisser entendre les fragilités de l’âge, et Giles Martin a excellé dans l’art de peaufiner les détails “à la Beatles” sans tomber dans le pastiche.
L’enregistrement de New s’est déroulé sur plus d’un an, par sessions éparses entre 2012 et 2013, dans divers studios entre Londres (Abbey Road, Air Studios), New York (Avatar) et Los Angeles (Henson Studios). Cette géographie multiple reflète la diversité du projet. Pour autant, l’album ne donne jamais l’impression d’un collage disparate : malgré la palette de producteurs, New reste un album étonnamment homogène dans son esprit, en grande partie grâce à la présence unificatrice de McCartney lui-même. C’est sa voix, son écriture mélodique et son jeu multi-instrumentiste qui agissent comme fil conducteur. D’ailleurs, s’il s’entoure de son fidèle groupe de scène sur plusieurs titres (le guitariste Rusty Anderson, le batteur Abe Laboriel Jr., le multi-instrumentiste Brian Ray et le claviériste Paul “Wix” Wickens, complices de longue date apportant chœurs et texture organique), Paul n’hésite pas non plus à jouer lui-même de la plupart des instruments sur de nombreuses pistes, comme il le faisait à l’époque de McCartney (1970) ou McCartney II (1980). Guitares, basse, claviers, batteries : à l’écoute de New, on constate que le “one-man band” qu’est McCartney n’a rien perdu de sa polyvalence. Cette dualité entre travail collectif et artisanat solo contribue à la richesse du son : certaines chansons sonnent live et pleines d’entrain, tandis que d’autres relèvent davantage de la composition en studio, ciselées par l’artiste dans son coin.
Sur le plan artistique, New s’inscrit dans la grande tradition maccartnéenne tout en y injectant çà et là de subtiles nouveautés. Comme souvent chez Paul, on trouve une alternance de morceaux pop-rock entraînants et de ballades plus introspectives, de titres immédiatement accrocheurs et de plages plus expérimentales. Cependant, le disque n’est pas une simple redite confortable : McCartney et ses producteurs s’autorisent à bousculer un peu la formule par moments. Une ligne de synthétiseur insolite, un effet électronique surprenant, un collage sonore ou un instrument inattendu viennent par petites touches moderniser l’ensemble, rappelant que l’ex-Beatle reste curieux des tendances actuelles. En interview, McCartney a d’ailleurs souligné qu’il écoutait la radio contemporaine et qu’il souhaitait que certaines sonorités de New reflètent son époque. Pour autant, pas question de trahir son style : New demeure avant tout un album de Paul McCartney, avec ce que cela implique de mélodies raffinées, d’optimisme mélancolique et de savoir-faire pop classique. L’équilibre entre tradition et modernité est au cœur de la démarche – et c’est précisément ce qui rend l’album passionnant pour les fans avertis.
Sommaire
- Analyse piste par piste
- Save Us
- Alligator
- On My Way to Work
- Queenie Eye
- Early Days
- New
- Appreciate
- Everybody Out There
- Hosanna
- I Can Bet
- Looking At Her
- Road
- Scared (piste cachée)
- New dans la discographie de McCartney : continuité et renouvellement
- Bilan critique : un McCartney rajeuni et inspiré
Analyse piste par piste
Save Us
Dès l’ouverture Save Us, le ton est donné : Paul McCartney attaque l’album pied au plancher avec un rock nerveux et galvanisant. Coécrit et produit avec Paul Epworth, ce morceau d’à peine 2 minutes 40 est un concentré d’énergie brute qui prouve d’entrée que “Macca” peut encore sonner aussi fougueux qu’à ses 25 ans. Guitares électriques abrasives, tempo soutenu, claviers discrets en arrière-plan et refrain scandé forment une décharge d’adrénaline immédiate. La voix de McCartney, haut perchée et légèrement éraillée par les années, s’y révèle toujours capable de puissance et d’entrain. On sent la patte d’Epworth dans la production moderne et musclée : Save Us aurait très bien pu figurer sur un album de rock alternatif actuel tant son son est percutant et « actuel », tout en gardant la signature mélodique du compositeur. Le refrain s’appuie sur des harmonies vocales généreuses (certains y entendent même un écho aux chœurs flamboyants de Queen tant ils emplissent l’espace), et le pont instrumental offre un court solo de guitare saturée, simple mais efficace. Lyricalement, Save Us reste assez sommaire – un appel à être sauvé, métaphore amoureuse classique – mais l’objectif ici est surtout de créer une ambiance survoltée pour lancer le disque. Et de ce point de vue, c’est une réussite : Save Us secoue l’auditeur avec brio. Le riff principal, un motif agressif répété en boucle, donne une couleur résolument rock contemporain que McCartney n’avait pas exploré aussi frontalement depuis un certain temps. Pour certains critiques, cette entame presque “trop” juvénile pouvait faire craindre que Paul cherche à tout prix à sonner branché, mais l’écoute complète de l’album rassure vite : Save Us n’est que la première facette d’un disque aux multiples visages. En attendant, ce titre d’ouverture remplit parfaitement son rôle : dynamique et entraînant, il démontre que le “jeune homme” de 71 ans a encore de l’électricité dans les veines et qu’il n’hésite pas à se frotter aux sonorités musclées du rock moderne.
Alligator
Changement d’ambiance avec Alligator, deuxième plage de l’album, produite par Mark Ronson. Ici, McCartney nous entraîne dans un univers plus sinueux et légèrement plus sombre. Alligator s’ouvre sur un motif de guitare malin et quelques accords mineurs qui installent une tonalité intrigante, presque inquiétante, avant que la voix ne vienne apporter sa clarté mélodique. Le couplet est relativement dépouillé, construit sur une ligne de basse bondissante et une rythmique mesurée, laissant la tension monter progressivement. La chanson évolue rapidement vers un refrain plus explosif où Paul élève la voix et libère une mélodie accrocheuse, tout en préservant une certaine gravité dans le ton. La production de Ronson se fait remarquer par ses détails subtils : des touches de clavioline ou de synthé discrets ajoutent une atmosphère feutrée, et les chœurs en arrière-plan apportent de la profondeur. D’ailleurs, Alligator intègre des harmonies vocales évoquant par instants le travail en couple que Paul formait avec Linda à l’époque de Wings – ce sont ces petites doublures de voix féminine (peut-être assurées ici par une choriste ou par Paul lui-même en falsetto) qui rappellent la complicité vintage des années 1970.
L’arrangement monte en puissance au fil du morceau. Un pont instrumental notable survient vers le milieu de la chanson : McCartney s’autorise un passage atmosphérique où les guitares se font plus planantes, presque psychédéliques, accompagné d’un clavier vaporeux. Ce break spacey crée un instant de suspension, comme une parenthèse onirique, avant qu’un roulement de batterie ne relance le morceau pour un dernier refrain en apothéose. Cette progression vers un climax est maîtrisée de main de maître et témoigne du sens de la dramaturgie musicale de McCartney et Ronson. Côté texte, Alligator s’avère intrigant. Paul y emploie l’image de l’alligator de manière métaphorique : « I need someone who can devour all the pain… », chante-t-il en substance, suggérant qu’il cherche une personne capable de l’aider à chasser ses démons intérieurs. On peut y voir l’allusion à la nécessité d’une compagne (ou d’un ami) pour absorber les angoisses, ou plus généralement le désir d’un refuge. L’interprétation vocale appuie ce côté anxieux : sur les couplets, Paul adopte un timbre presque suppliant, qui se mue en affirmation libératrice sur le refrain lorsqu’il clame « Could you be that person for me? ».
Musicalement, Alligator réussit la synthèse entre le McCartney mélodiste classique et des tendances plus actuelles. Mark Ronson, malgré sa réputation de producteur “rétro”, apporte ici une production soignée qui n’imite pas le passé mais donne au morceau une patine contemporaine (basse ronde, son de batterie précis, et cette section centrale audacieuse). L’ensemble est à la fois accessible et audacieux, avec un côté légèrement groove et en même temps une mélancolie sous-jacente. Beaucoup de fans et critiques considèrent Alligator comme un des sommets de New, grâce à sa mélodie riche en rebondissements et son atmosphère distincte. Après l’explosion rock de Save Us, Alligator montre une autre facette de l’album : plus nuancée, plus moderne dans ses textures, tout en restant fondée sur l’art du songwriting de Paul McCartney.
On My Way to Work
Avec On My Way to Work, troisième piste produite par Giles Martin, McCartney nous invite à un voyage introspectif dans ses souvenirs de jeunesse. Le morceau débute en douceur, porté par une guitare acoustique et un léger motif de cigar box guitar (une guitare artisanale rudimentaire au son un peu rugueux, que Paul utilise ici pour colorer l’arrangement d’une touche vintage). L’ambiance est résolument nostalgique et quasi bucolique : on imagine sans peine le jeune Paul, sacoche à l’épaule, regardant le paysage urbain défiler depuis l’étage supérieur d’un autobus liverpudlien. C’est justement de cela qu’il s’agit – On My Way to Work puise son inspiration dans les jeunes années de McCartney, lorsqu’il prenait le bus chaque matin pour se rendre à l’un de ses petits boulots d’adolescent. Le texte décrit des scènes simples du quotidien : le trajet sur le pont supérieur du bus, les affiches publicitaires croisées en route, les rêveries qui occupent l’esprit du jeune homme en route vers son travail. McCartney esquisse par touches ces images d’un Liverpool des années 1950, modeste et familier. Il y a quelque chose de très McCartneyien dans cette chronique du quotidien – rappelant comment il savait déjà, à l’époque des Beatles, écrire des vignettes de la vie ordinaire (Penny Lane étant l’exemple le plus célèbre de ces souvenirs de Liverpool mis en musique, bien qu’ici le ton soit moins exubérant).
Musicalement, On My Way to Work est une pop-folk délicate, quasi acoustique, dans laquelle on retrouve par moments l’influence du skiffle et des ballades des années 60. La production de Giles Martin reste volontairement sobre pour laisser la place à l’histoire racontée. La voix de Paul est mise en avant, claire, sans artifice notable, ce qui renforce l’intimité du récit. En arrière-plan, on distingue un accordéon discret (joué par Paul Wickens), dont les soufflets apportent une légère teinte nostalgique rappelant les chansons populaires d’antan. La section rythmique, quant à elle, est minimaliste : McCartney assure lui-même la batterie sur ce morceau, de façon très simple, presque comme un battement de cœur régulier accompagnant sa marche. Quelques percussions additionnelles et une basse ronde complètent l’assise sans jamais alourdir le morceau.
L’atout principal de On My Way to Work réside dans sa mélodie et son ambiance contemplative. Le refrain n’est pas du genre fédérateur ou hymnique – il s’agit plutôt d’une variation subtile de la ligne mélodique du couplet, comme une pensée qui se répète dans la tête du narrateur pendant son trajet. Cette absence de refrain tape-à-l’œil est audacieuse à sa manière : McCartney préfère ici la cohérence du récit et de la mood plutôt qu’un hook pop immédiat. Le résultat est un titre en demi-teinte, au charme discret, qui agit un peu comme une pause introspective au sein de l’album. Après deux morceaux très denses en production, On My Way to Work offre une respiration bienvenue et rappelle la capacité de Paul à émouvoir avec de petits détails de la vie courante. Pour les fans érudits, ce morceau a un goût particulier, presque muséal : entendre McCartney, des décennies plus tard, chanter ses souvenirs de jeune Liverpudlien, c’est toucher du doigt la réalité derrière la légende. Sans être la piste la plus accrocheuse de New, On My Way to Work se distingue par son authenticité et sa tendresse mélancolique – confirmant que derrière l’icône pop se cache toujours le jeune Paul des faubourgs de Liverpool, rêveur sur le chemin du boulot.
Queenie Eye
Le quatrième titre, Queenie Eye, nous fait basculer dans une atmosphère bien différente : plus espiègle, résolument pop et teintée d’une bonne dose de nostalgie ludique. Coécrite et produite avec Paul Epworth, Queenie Eye puise directement son titre et son refrain dans une comptine enfantine des années 1950 que McCartney chantait dans les rues de Liverpool lorsqu’il était gamin. « Queenie Eye, Queenie Eye, who’s got the ball? » – ce jeu d’antan (une sorte de variante du Un, deux, trois, soleil ou What’s the Time, Mr Wolf?) sert de point de départ à une chanson qui, musicalement, fait le pont entre le rétro et le moderne.
Dès l’introduction du morceau, l’oreille est accrochée par un effet sonore original : on entend d’abord des bruits de studio, comme si la bande commençait à tourner pendant que musiciens et techniciens se mettent en place, puis un mellotron émerge sur quelques notes oniriques. Ce mellotron – instrument à clavier emblématique des Beatles fin 60s – est sans doute un clin d’œil conscient à cet héritage psychédélique (on se souvient du mellotron ouvrant Strawberry Fields Forever). En quelques secondes, Queenie Eye attire l’attention du fan érudit par ce clin d’œil sonore, avant de lancer la vraie cavalcade : un piano percussif et un rythme de batterie marteau introduisent le couplet sur un tempo médium-rock bien marqué. Paul y chante d’une voix assurée des paroles énigmatiques évoquant la chance et le destin – « There were rules you never told me, never came up with a plan… » – comme s’il se remémorait des leçons apprises (ou ignorées) depuis l’enfance.
Le refrain, quant à lui, est un des plus accrocheurs de l’album : McCartney y clame “Queenie Eye, Queenie Eye” repris par des chœurs massifs qui donnent l’impression d’une foule entonnant une chanson de cour de récréation. C’est fédérateur, facile à reprendre, et terriblement efficace. La production met ce refrain en valeur avec des couches de voix (on imagine Abe Laboriel Jr. et les autres musiciens hurlant en chœur en studio pour recréer l’ambiance d’enfants qui jouent) et une instrumentation qui enfle – guitares électriques saturées qui se joignent au piano, tambourin et claquements de mains peut-être, ce qui confère un aspect glam-rock à la T. Rex par moments dans l’ampleur sonore. Il y a dans Queenie Eye un esprit presque “Hey Jude” junior : un refrain simple, répétitif et fédérateur, taillé pour que le public frappe dans les mains en concert.
Au-delà de sa surface entraînante, la chanson réserve aussi des surprises dans ses ponts. Au milieu, un break plus calme ramène furtivement une ambiance psyché : la batterie s’interrompt, on entend des accords tenus, quelques bruitages discrets, la voix de Paul presque a cappella entonne une variation mélodique, puis tout redémarre graduellement. Ce genre de stop-and-go dans l’arrangement maintient l’attention et évite que la structure couplet-refrain ne devienne trop prévisible. Epworth et McCartney jouent clairement avec la dynamique, probablement héritée de leur jam initial en studio dont est née la chanson – on imagine bien les deux complices construisant ce morceau spontanément, en superposant idées ludiques et références vintage.
En définitive, Queenie Eye se révèle être un des tubes de New, et pour cause : c’est joyeux, nostalgique sans être passéiste, et impeccablement réalisé. Paul McCartney s’y amuse de son propre passé tout en démontrant qu’il sait toujours écrire un refrain imparable. Les fans des Beatles y trouvent leur compte grâce aux allusions à l’enfance de l’auteur et aux sonorités héritées des sixties, tandis que le grand public y entend simplement une pop-song euphorisante. Sorti en single, Queenie Eye a d’ailleurs bénéficié d’un clip rempli de célébrités complices chantant avec Paul – preuve que cette chanson a une portée universelle et intergénérationnelle. Sur l’album, elle occupe une place stratégique : en milieu de parcours, elle redonne un coup de fouet et un sourire communicatif, rappelant que malgré les décennies écoulées, l’esprit frondeur et joueur du jeune McCartney n’est jamais bien loin.
Early Days
Avec Early Days, cinquième plage de l’album, Paul McCartney nous offre le moment le plus émouvant et personnel de New. Enregistrée sous la houlette du producteur Ethan Johns, cette ballade acoustique dépouillée tranche avec l’opulence pop du titre précédent. Early Days est avant tout un voyage introspectif dans le passé lointain de Paul, à l’époque des “early days” – ses jeunes années à Liverpool et les débuts du partenariat légendaire avec John Lennon. Armé de sa seule guitare acoustique (au toucher délicat et un brin folk-blues), McCartney chante ici avec une vulnérabilité désarmante. Sa voix, captée de très près, apparaît nue, sans artifice ni réverbération flatteuse : le grain est rugueux, le timbre plus fragile qu’à l’accoutumée, et chaque souffle, chaque imperfection s’entend. Loin d’être un défaut, ce choix de production audacieux renforce au contraire l’authenticité poignante du morceau. On a l’impression d’entendre Paul chanter dans notre salon, presque chuchotant ses souvenirs à notre oreille.
Dès les premières paroles, le ton est donné : “They can’t take it from me if they tried, I lived through those early days”. McCartney semble régler ses comptes avec les mythes et les historiens qui, au fil des ans, ont raconté l’histoire des Beatles parfois sans y avoir été. Il se remémore ces jours anciens où lui et John, adolescents passionnés de rock ‘n’ roll, écoutaient des vinyles dans les boutiques de disques et grattaient la guitare dans l’insouciance de la jeunesse. Les images évoquées – deux jeunes garçons exaltés par la découverte de Buddy Holly ou de Chuck Berry, déambulant dans les rues de Liverpool avec des rêves plein la tête – sont simples mais d’une force nostalgique indéniable pour quiconque connaît un tant soit peu l’histoire du duo Lennon/McCartney. Paul chante ces souvenirs avec tendresse, mais aussi avec une légère pointe d’amertume : on sent qu’il défend sa vérité face aux déformations du récit public. Early Days contient ainsi des lignes explicites où il rappelle avoir été présent et acteur de ces moments fondateurs, là où d’autres n’en ont eu qu’un écho lointain. C’est une manière douce d’affirmer son vécu unique et de faire taire, sans acrimonie mais fermement, ceux qui prétendent mieux savoir que lui ce qui s’est passé.
Musicalement, le morceau reste très épuré du début à la fin. La guitare acoustique en fingerpicking occupe le devant, avec un accompagnement minimal : on perçoit par moments une contrebasse feutrée et un harmonium discret qui entrent en soutien (sans doute ajoutés par Ethan Johns pour donner un peu de corps dans les graves), ainsi que quelques harmonies vocales fantomatiques dans le lointain sur la fin du morceau. Pas de batterie présente, seulement éventuellement un léger frappement de pied ou quelques percussions ténues pour marquer la cadence – l’intention étant clairement de conserver un écrin spartiate autour de la voix et de la guitare. D’ailleurs, l’anecdote entoure cette prise : on raconte qu’Ethan Johns a insisté pour garder une version où la voix de Paul est légèrement cassée et tremblante, estimant que cette sincérité brute vallait plus que toute performance techniquement “parfaite”. Le résultat lui donne raison : rarement McCartney aura semblé aussi vulnérable et humain sur un enregistrement studio récent. Quand, sur la fin, sa voix monte dans les aigus pour chanter “By the look of this guy, we might have something cooking, early days”, on perçoit dans sa fragilité l’écho du temps qui passe – l’homme de 71 ans chante avec l’ombre du jeune homme de 17 ans en lui, et l’émotion est palpable.
Early Days constitue un véritable cœur émotionnel pour l’album New. En le plaçant en milieu de disque, McCartney offre aux auditeurs un moment de pause introspective, comme un chapitre central dans un livre de souvenirs. Beaucoup considèrent ce morceau comme l’un des plus beaux que Paul ait composés dans les années 2000, tant il allie la beauté mélodique (cette balade à trois accords est d’une simplicité touchante) à la profondeur du propos autobiographique. C’est une chanson qui, sans artifices, rappelle que derrière la superstar se cache un homme capable de se confier avec pudeur sur ce qui l’a construit. Dans le contexte de New, elle apporte une gravité bienvenue, une sorte de solennité humble qui fait contrepoids aux morceaux plus légers ou fougueux. Si New est souvent un album joyeux, Early Days en est la pièce méditative, contemplative, où McCartney semble faire la paix avec son passé tout en affirmant son droit à ses propres souvenirs. C’est un moment de grâce, suspendu dans le temps, qui résonne particulièrement pour les fans érudits du compositeur, conscients de toute l’histoire qu’il y a derrière ces « jours anciens ».
New
Après l’émotion à fleur de peau de Early Days, l’album rebondit avec son titre-phare, New, qui vient illuminer l’atmosphère d’une pop enjouée et résolument optimiste. Choisie comme premier single de l’album, New est produite par Mark Ronson et se présente comme un irrésistible clin d’œil au style des Beatles période milieu des années 60. En effet, dès les premières mesures, le morceau évoque immanquablement la patte classique de McCartney : un piano mélodique en levée, des harmonies vocales en “oooh” légères en arrière-plan, un tempo enjoué et surtout une mélodie principale d’une immédiateté désarmante. On pourrait presque se croire transporté à l’ère de Penny Lane ou Got To Get You Into My Life – d’autant que New intègre de pétillants cuivres dans son arrangement, rappelant l’amour de Paul pour la soul et la pop baroque des sixties. Des trompettes et saxophones viennent ponctuer certains passages, notamment après le refrain, ajoutant un éclat cuivré qui renforce le côté “rétro-Beatlesque” du morceau.
La chanson respire la joie et la fraîcheur. Son titre, New, est à prendre au sens littéral comme au figuré : c’est une ode au renouveau, à la sensation grisante d’un amour tout neuf ou d’un nouveau départ dans la vie. Paul a confirmé que c’était en partie inspiré de sa relation avec Nancy, sa « nouvelle » épouse, et les paroles reflètent cette béatitude amoureuse : “You came along and made my life a song…”, “All my life, I never knew what I could be, what I could do, then we were NEW.” Le choix du mot “new” renvoie non seulement à la nouveauté de l’amour, mais sert aussi de mantra simple et universel, facile à chanter en chœur. Le refrain est d’une simplicité volontaire : la voix de Paul y est doublée de chœurs style doo-wop, dans une progression d’accords ensoleillée. D’aucuns diront que c’est bubblegum, presque naïf dans l’esprit, mais c’est précisément cette candeur qui fait mouche. À plus de 70 ans, McCartney ose un titre à la jovialité juvénile, sans cynisme ni filtre, ce qui lui confère une sincérité touchante au second degré.
Mark Ronson, en producteur avisé, a soigné chaque détail pour que New sonne à la fois authentiquement “vintage McCartney” et parfaitement rafraîchissant en 2013. On note par exemple l’usage d’un clavecin (ou clavicorde électrique) audiblement présent sur les couplets : ce timbre cristallin donne un petit air baroque-pop rappelant In My Life ou For No One. De même, la basse de Paul est mélodique et bondissante, très en avant dans le mix comme sur les enregistrements des Beatles où McCartney aimait faire chanter son Höfner. La production reste cependant épurée, sans surenchère : c’est vraiment la mélodie et la voix qui mènent la danse, soutenues par un arrangement classique (basse-batterie-piano-cuivres) parfaitement équilibré. Ronson s’est avéré un excellent choix pour ce morceau car il connaît sur le bout des doigts ce langage musical des années 60 et sait le restituer sans que cela sonne daté. New pourrait presque figurer sur la bande-son d’un film d’époque tant il capture une essence nostalgique, mais paradoxalement son enthousiasme débordant le rend très actuel dans le contexte de l’album – comme une capsule temporelle pleine de vitalité.
Au-delà de sa confection astucieuse, New remplit pleinement son rôle de pivot central de l’album. C’est le genre de chanson qui redonne le sourire et qu’on se surprend à fredonner dès la fin de la première écoute. Certains critiques ont pu estimer qu’elle était un peu “légère” ou autoparodique, tant elle renvoie aux tics du style McCartney (le pont en falsetto harmonisé, la progression d’accords optimiste, le final en fade-out chaleureux). Il est vrai que New ne cherche pas la complexité : elle vise l’efficacité pop la plus pure. Mais comment reprocher à Paul McCartney d’être trop bon dans son propre domaine ? Placée au cœur du disque, cette chanson apporte un éclairage crucial : elle affirme que l’album, s’il explore le passé et la nouveauté, se veut avant tout un plaisir pop immédiat. New est un morceau qui peut sembler trivial aux oreilles blasées, mais qui représente en réalité un tour de force de simplicité rayonnante. Surtout, il incarne l’état d’esprit général de l’album : un McCartney heureux, amoureux, confiant, qui regarde l’avenir avec l’enthousiasme intact de ses 20 ans.
Appreciate
Le voyage sonore de New prend une tournure inattendue avec Appreciate, septième piste de l’album, produite par Giles Martin. Après la légèreté classic-pop de New (la chanson), Appreciate plonge l’auditeur dans une ambiance moody, moderne et expérimentale, démontrant que McCartney n’a pas peur de s’aventurer hors de sa zone de confort traditionnelle. Dès l’ouverture du morceau, on perçoit que quelque chose de différent se trame : Appreciate débute par un beat de boîte à rythmes lancinant, quasi électronique, sur lequel vient se poser une ligne de basse lourde et groovy. L’atmosphère est sombre, avec des sonorités spatiales qui planent en arrière-plan, à mille lieues de la pop sucrée habituelle. McCartney module sa voix ici dans un registre plus doux et feutré, presque parlé-chanté par moments, avec un effet légèrement filtré qui apporte une texture inhabituelle à son timbre (certains y entendent même un soupçon de vocodeur ou d’auto-tune subtil, utilisé non pas pour corriger la voix mais pour créer une couleur vocale synthétique, clin d’œil aux musiques R&B contemporaines).
Le morceau s’installe sur un riff circulaire obsédant, répétitif, qui lui confère un côté hypnotique inédit pour Paul. On pense à des influences comme le trip-hop ou certaines productions indé des années 2000. La comparaison qui est souvent revenue est celle du groupe The Beta Band ou même de Radiohead dans leurs phases les plus groovy : un groove mid-tempo, sombre, avec une batterie électronique en boucle et des accords mineurs planants. Et puis surgit un élément particulièrement surprenant : un solo de guitare à l’envers. Au milieu de la chanson, Giles Martin et McCartney incorporent un solo dont les notes semblent remontées à l’envers, créant un effet psychédélique strident, presque avant-gardiste. C’est un clin d’œil appuyé aux expérimentations des Beatles (le solo inversé de “I’m Only Sleeping” en 1966, ça vous dit quelque chose ?), tout en s’insérant parfaitement dans ce contexte résolument moderne. Ce solo, grinçant et anguleux, apporte une touche d’électricité abrasive au milieu de la texture électronique feutrée, réveillant l’attention de l’auditeur de manière saisissante.
Par petites touches, Appreciate accumule ainsi les trouvailles sonores : on distingue par exemple çà et là un guitare slide lointaine, des claviers éthérés proches du drone, et même des bruits blancs ou des crépitements électroniques discrets qui texturisent le tout. L’arrangement est riche sans être surchargé – chaque son semble avoir sa place dans ce paysage nocturne. La structure du morceau est assez libre, moins formatée couplet-refrain que la plupart des titres de l’album. Certes, il y a un refrain identifiable (lorsque Paul chante “Appreciate, appreciate” avec un groove plus appuyé), mais celui-ci se fond dans la progression globale plutôt que de s’en détacher franchement. Le message de la chanson est, comme son titre l’indique, une injonction à apprécier – apprécier quoi exactement ? C’est assez ouvert, peut-être la vie, autrui, les moments présents. Le texte, relativement minimaliste et répétitif, sert davantage à poser une ambiance qu’à raconter une histoire précise. L’accent est clairement mis sur l’atmosphère sonore et rythmique.
En osant une telle incursion dans des sonorités quasi urbaines et électro, McCartney surprend agréablement. Appreciate est sans doute le morceau de New le plus déroutant pour les fans de la première heure, mais il témoigne de l’audace artistique de Paul en 2013 : à son âge, beaucoup seraient restés sur des schémas convenus, lui s’amuse à intégrer des éléments de musique électronique contemporaine dans sa palette. Et loin d’être un gadget, l’expérience est assez convaincante. Appreciate dégage un envoûtement singulier et une sorte de coolness que l’on n’attendait pas forcément. Lors des premières écoutes, on peut être surpris, voire désarçonné par ce titre, mais il a le potentiel de grandir avec le temps. D’ailleurs, la critique a souvent salué Appreciate comme l’une des réussites majeures de l’album, prouvant que McCartney sait encore innover. En somme, placée en ouverture de la face B de l’album (si l’on pense en termes de vinyle), cette piste manifeste le versant le plus aventureux de New. Elle élargit le spectre du disque, confirmant qu’après la célébration nostalgique de New (la chanson), Paul est aussi capable de nous emmener dans un trip auditif inattendu.
Everybody Out There
Retour à une ambiance plus directe et épurée avec Everybody Out There, huitième morceau produit par Giles Martin. Ici, McCartney vise clairement l’efficacité en concert et la communion avec le public. Everybody Out There démarre sur un riff de guitare acoustique en accord ouvert, enjoué et un brin folk, soutenu rapidement par un battement de batterie franc. On pense dès les premières mesures aux grands hymnes de scène que Paul affectionne depuis les années Wings : une rythmique simple et entraînante, des accords majeurs fédérateurs et un chant qui s’adresse directement à l’auditeur. D’ailleurs, le titre en lui-même est une apostrophe : “Everybody out there” – littéralement “tout le monde là-bas”, comme on lancerait à la foule « Est-ce que tout le monde est là ? ». On comprend immédiatement que cette chanson a été pensée pour être reprise en chœur par une audience.
Le couplet, relativement dépouillé, voit Paul chanter avec énergie sur ses guitares acoustiques agrémentées de quelques nappes de fond. Puis survient un pré-refrain où il clame “There’s a lot of people suffering tonight, from what they need”, montrant que le morceau se veut aussi un message unificateur et bienveillant : McCartney invite chacun à faire un geste (“do some good before you say goodbye”), dans un esprit presque caritatif ou humaniste. On n’est pas dans la subtilité poétique, mais dans le slogan généreux et simple, un peu à la manière d’un Hey Jude qui répétait “better, better, better” pour encourager.
Le refrain arrive comme une évidence, composé presque uniquement de “Woah-oh-oh” chantés en groupe, sur une mélodie ascendante facile à chanter. Ces “oh-oh” résonnent de manière à ce que n’importe qui puisse les attraper au vol et les entonner. On peut imaginer les stades reprenant ces “whoa-oh” bras en l’air, tant cela semble taillé pour. Derrière la voix de Paul, on entend effectivement un chœur prononcé : il s’agit de son groupe et même, petite anecdote savoureuse, des membres de sa famille (baptisés pour l’occasion “McCartney Family Chorus”) qui ont été conviés en studio pour chanter les réponses et chœurs. Cette inclusion familiale renforce le côté chaleureux et universel de la chanson : c’est littéralement tout le monde – y compris la famille de Paul – qui se réunit derrière ce refrain rassembleur.
Musicalement, Everybody Out There n’est pas la composition la plus complexe de l’album, loin s’en faut. Les accords sont basiques, la mélodie est fruste et répétitive, et l’arrangement demeure assez brut (une structure couplet-refrain-pont très standard, un solo de guitare acoustique un peu improvisé vers le milieu sans fioriture). Cependant, l’efficacité du titre repose sur son énergie brute et son honnêteté. Il y a un côté campfire song – la chanson qu’on chante autour d’un feu de camp – dans ce morceau, et McCartney l’assume entièrement. On pourrait reprocher à Everybody Out There son côté un peu générique ou cliché (après tout, des “la-la” et “woah-oh” pour faire chanter le public, c’est une recette éprouvée qui peut sembler facile). D’ailleurs, certains critiques ont vu dans ce titre l’influence des tendances folk-pop grand public du début des années 2010 (style Mumford & Sons ou ho hey des Lumineers), avec ses chœurs massifs et son stomp rythmique. Cette remarque n’est pas infondée : Paul semble ici s’approprier ces codes populaires pour les intégrer à sa sauce. Cela donne un résultat certes peu original musicalement, mais diablement entraînant.
En contexte d’album, Everybody Out There joue pleinement son rôle de piste exutoire et positive après l’expérimentation plus lourde d’Appreciate. On revient à quelque chose de simple, lumineux, presque campagnard dans l’esprit (on imaginerait bien la chanson jouée en plein air lors d’un festival d’été). La production de Giles Martin reste mesurée : quelques flûtes légères surgissent dans l’arrière-plan du pont musical pour apporter une touche folk bucolique, et les voix multiples remplissent l’espace sonore sans le saturer. Au final, on adhère ou pas à cette chanson en fonction de son goût pour ce genre d’hymne unificateur un peu facile. Mais on ne peut nier que McCartney sait y faire pour composer des airs à chanter ensemble. Everybody Out There est un appel à l’unisson, un moment de communion sans prétention qui, bien qu’il n’atteigne pas la profondeur artistique d’autres pistes de New, remplit honnêtement sa mission : rassembler tout le monde dans un élan de positivité. En concert, le morceau s’avèrera d’ailleurs très efficace, confirmant que Paul l’avait bien calibré pour ces instants privilégiés avec son public. Sur l’album, c’est peut-être une pièce plus anecdotique, mais elle contribue à la diversité de tonalités qui fait la richesse de New.
Hosanna
Changement de décor à nouveau avec Hosanna, neuvième piste de New, produite par Ethan Johns. Après l’énergie extravertie de Everybody Out There, Hosanna propose une ambiance nettement plus intériorisée, mystérieuse et feutrée. Ce morceau mid-tempo se présente comme une sorte de ballade amoureuse vaporeuse, baignée d’une aura quasi mystique. Le titre Hosanna lui-même intrigue : ce terme, emprunté au vocabulaire liturgique, signifie en hébreu « sauve-nous » ou est utilisé comme acclamation de joie dans un contexte religieux. McCartney utilise ce mot non pas pour faire une chanson religieuse à proprement parler, mais plutôt pour conférer au morceau une dimension spirituelle dans l’expression de l’amour – comme si l’être aimé était élevé au rang de divinité apportant le salut.
Dès l’introduction, Hosanna enveloppe l’auditeur dans des sonorités éthérées. Une guitare acoustique délicatement arpégée trace la trame harmonique de base, rejointe par un droning en fond sonore, sorte de bourdonnement continu qui rappelle le son d’une tamboura indienne ou d’un synthétiseur planant. En réalité, il s’agit d’un effet élaboré par Ethan Johns en studio, possiblement via une application iPad simulant des percussions ou un bourdon (Johns ayant mentionné l’utilisation d’une app pour générer un son de tamboura ou de tambourin inversé). Quoi qu’il en soit, ce drone confère à Hosanna un côté psychédélique subtil, dans la lignée des expériences sonores des Beatles fin 60s, mais de manière beaucoup plus minimaliste et feutrée.
La voix de McCartney arrive alors, presque chuchotée, sur le premier couplet. Il adopte un timbre doux, intime, comme s’il confiait une prière ou un secret. L’effet est immédiatement envoûtant : on tend l’oreille pour saisir chaque mot. La mélodie est sinueuse, elle ne se révèle pas instantanément mais se déploie petit à petit, avec des inflexions orientales dans certaines notes tenues qui viennent épouser le drone de fond. Le refrain (si on peut l’identifier clairement) voit Paul chanter le mot “Hosanna” sur une suite d’accords mineurs, la voix légèrement doublée d’un écho, créant une impression d’incantation hypnotique.
L’arrangement de Hosanna est très épuré, quasiment dépouillé à l’extrême. Outre la guitare acoustique et le drone mentionné, on perçoit par moments ce qui pourrait être des loops inversés ou des bruits de bandes passées à l’envers – notamment en arrière-plan vers le dernier tiers du morceau, de discrètes nappes inversées ajoutent une texture fantomatique (on pourrait penser à des fragments de voix ou de guitare joués à l’envers, technique chère aux Beatles sur Revolver). La section rythmique est inexistante : pas de batterie traditionnelle, peut-être juste quelques discrets coups de percussions ou de tambourin lointain pour marquer la mesure de façon fantomatique. Tout concourt à préserver une ambiance flottante, presque méditative.
L’effet global est que Hosanna flotte dans l’air comme une fumée d’encens sonore. C’est une chanson qu’on écoute en fermant les yeux, se laissant porter par sa langueur et sa spiritualité diffuse. McCartney n’avait pas proposé de pièce aussi atmosphérique depuis un certain temps – on peut la comparer, pour l’ambiance, à des titres comme “Footprints” (sur Press to Play, 1986) ou “After the Ball” (sur McCartney II, 1980) qui exploraient des textures sonores oniriques, bien que Hosanna ait sa propre identité.
Du point de vue du propos, Hosanna semble exprimer l’espoir d’un amour rédempteur, d’où l’utilisation de cette imagerie sacrée. Paul chante par exemple des phrases comme “Come now, set me free, baby, can’t you see, you’re the one for me” (librement traduites), liant l’idée d’être libéré, sauvé, à la présence de l’être aimé. C’est à la fois très simple et enrobé dans ce voile poétique du terme Hosanna. Le contraste entre la ferveur quasi sacrée du mot et la simplicité d’une déclaration d’amour donne à la chanson un charme singulier.
Hosanna est un morceau qui peut passer inaperçu aux premières écoutes de l’album, tant il est discret et nuancé après des titres plus accrocheurs. Pourtant, pour ceux qui s’y attardent, il révèle une grande beauté cachée. Il apporte en tout cas une couleur supplémentaire à la palette de New : celle d’un McCartney contemplatif, légèrement psychédélique, qui ose le dépouillement et la lenteur dans un album autrement assez pop. En cela, Hosanna joue un rôle semblable à Early Days dans l’équilibre de l’album, bien que dans un registre très différent : c’est un îlot de quiétude et de mystère, une délicate incantation d’amour qui montre la face spirituelle et introspective de Paul. Beaucoup de fans apprécient Hosanna justement pour ce côté “deep cut” envoûtant, moins immédiat mais très élégant et subtil dans sa réalisation.
I Can Bet
Le dixième titre, I Can Bet, ramène l’auditeur sur des terres plus familières et légères après la parenthèse brumeuse de Hosanna. Produite par Giles Martin, I Can Bet est sans doute le morceau de New le plus ancré dans la tradition rock “à l’ancienne” de McCartney. D’emblée, l’introduction met en place un groove pop-rock enjoué : un coup de batterie sec, une ligne de basse qui roule avec assurance et un riff de clavier rétro (un Fender Rhodes électrique faisant écho aux sonorités 70s) nous embarquent dans une ambiance qui pourrait sortir d’un album de Wings de la grande époque. On pense en particulier à l’album Band on the Run (1973) ou Wings At The Speed of Sound (1976), ces années où Paul concoctait des titres rock accessibles, entraînants, avec ce mélange de guitares et de claviers très caractéristique. D’ailleurs, certains observateurs n’ont pas manqué de noter que I Can Bet sonne comme une chanson perdue de Wings, avec son optimisme communicatif et son arrangement sans prétention.
Le couplet, soutenu par un rythme rock médium assez dansant, voit McCartney délivrer une mélodie vocale confiante, presque souriante. Le texte joue sur l’expression “I can bet” (« je parie que… ») de manière très légère : Paul égrène toute une série d’affirmations où il se montre sûr de lui en amour, en gros il “parie” qu’il saura satisfaire et étonner sa partenaire. C’est une approche lyrique assez maline qui renoue avec le Paul taquin des années 70, celui qui pouvait chanter “Listen to What the Man Said” ou “Silly Love Songs” avec un clin d’œil. On retrouve ici ce ton où la confiance flirte avec l’espièglerie.
Musicalement, le refrain apporte un surcroît d’énergie : McCartney y hausse le ton en proclamant “I can bet, I can bet”, soutenu par des chœurs et une accélération légère du groove. Ce refrain est efficace, bien que relativement simple. La véritable surprise du morceau réside dans son bridge instrumental : soudain, un synthétiseur surgit avec un son très marqué années 1980, proposant une courte envolée mélodique un peu kitsch et fun. Ce synthé a un côté presque “jeu vidéo vintage” ou eighties pop inattendu dans un contexte de rock classique – et justement, cette touche anachronique amuse et revigore le morceau. On voit là sans doute la patte de Giles Martin, qui a pu se permettre d’ajouter cette fantaisie pour donner du caractère à la chanson. Ce passage ne dure que quelques secondes, mais il reste en tête tant il détonne légèrement (sans nuire à la cohésion toutefois). Il rappelle que McCartney, même quand il fait du “classique”, glisse volontiers un petit grain de sel expérimental.
La fin du morceau est gérée de manière très classique : un solo de guitare électrique, chantant et mélodique, vient se superposer au dernier refrain, puis la chanson se termine de façon franche, sans fioritures. Pas de fade-out ici, I Can Bet conclut net, comme pour appuyer son propos direct.
Au global, I Can Bet est un titre fort sympathique qui, s’il ne brille pas par son innovation, apporte ce vent de familiarité rock dont l’album avait besoin en cette fin de parcours. Après plusieurs morceaux aux atmosphères distinctes, c’est un retour à une pop-rock ensoleillée, quasi nostalgique dans son approche. Les fans de la période Wings y trouveront un agréable écho, et ceux qui découvrent McCartney via New y entendront simplement un bon petit morceau de rock rétro mais indémodable. Peut-être que I Can Bet manque d’un petit supplément d’âme pour prétendre au rang des classiques – on pourrait lui reprocher de filer sans laisser de trace mémorable, comparé à des titres plus marquants de l’album. Néanmoins, sa légèreté assumée et son groove efficace en font un morceau attachant. C’est un de ces titres “feel-good” que Paul sait composer les yeux fermés, et qui, sans être révolutionnaire, contribue à faire de New une collection variée où chaque titre a sa saveur. I Can Bet a la sienne : celle d’un McCartney souriant, joueur, misant sur l’amour et la musique avec l’assurance détendue d’un vétéran qui n’a plus rien à prouver mais beaucoup de plaisir à partager.
Looking At Her
L’avant-dernière piste de l’album, Looking At Her, est un petit bijou caché qui vient surprendre l’auditeur par sa structure et son audace sonore. Produite par Giles Martin, cette chanson démarre de façon assez classique pour McCartney, puis bifurque vers des territoires inattendus, offrant l’une des expériences d’écoute les plus originales de New.
Le morceau s’ouvre sur une ambiance feutrée : une ligne de clavier électronique douce (probablement un synthétiseur ou un orgue planant) pose un tapis harmonique sobre, tandis que Paul entame le premier couplet d’une voix apaisée, quasi susurrée. “Looking at her, I feel like in a dream” – dès les paroles, on comprend qu’il s’agit d’une chanson d’admiration amoureuse. McCartney décrit l’effet presque hypnotique que la vision de la femme aimée a sur lui. La mélodie du couplet est délicate, sinueuse, avec un accompagnement minimal : quelques accords tenus, une basse discrète, et une batterie légère tenue en retrait. L’ambiance générale évoque un peu les ballades synthétiques de la fin des années 70 ou du début des années 80, une période où Paul expérimentait déjà avec les claviers (on pense fugitivement à des morceaux de McCartney II ou Press to Play qui exploitaient des textures synth-pop intimistes).
Arrive alors le refrain, qui pour le coup est d’une candeur mélodique absolue : “Looking at her, I’m losing my mind, cause I know that I can’t have her” – Paul chante cela sur une suite d’accords majeurs très classiques, presque guillerets, et un rythme qui s’ouvre un peu plus. C’est sucré, cela pourrait presque être le refrain d’une comptine amoureuse tant c’est direct et lumineux mélodiquement. Mais attention, Looking At Her est un titre trompeur : tout ce qui a été établi dans ces premières minutes “gentilles” va être remis en question par la suite du morceau, de manière brillante.
En effet, après le second refrain, au moment où l’on s’attendrait à un pont ou un solo dans la continuité, la chanson explose son carcan et bascule brusquement dans un passage instrumental totalement inattendu : surgit un synthétiseur au son acidulé et distordu, qui entame une séquence mélodique frénétique, presque chaotique. La rythmique change aussi – la batterie se fait plus syncopée, et la basse déroule un motif répétitif et obsédant. Durant quelques mesures, Looking At Her se métamorphose en un morceau électro-rock expérimental : le son de synthé évoque l’acid house ou la techno de la fin des 80s, avec ce timbre de basse filtrée résolument électronique (certains y ont vu une influence de la French Touch ou même des musiques 8-bit). Cette cassure dans la chanson est saisissante : c’est comme si l’univers poli de la ballade était fissuré de l’intérieur par une poussée de tension brutale.
Puis, tout aussi soudainement, la vague électronique se retire et on revient au calme du motif initial, à la ballade amoureuse. Paul reprend son chant, peut-être avec un peu plus d’intensité dans la voix, comme si l’éruption émotive s’était produite en lui mais qu’il la contenait à nouveau. Cette alternance se reproduira encore : Looking At Her joue ainsi sur le contraste entre la surface placide d’une admiration amoureuse et le bouillonnement intérieur presque obsessionnel qu’elle provoque. On peut y lire une symbolique habile : les couplets et refrains doux représentent l’image idéalisée de la femme et le calme apparent de l’admirateur, tandis que les segments électro agressifs expriment la passion intense, le conflit intérieur voire la jalousie ou la frustration que cet amour impossible engendre (“cause I know that I can’t have her” chante Paul – cette phrase prend tout son relief dans le contexte de ces passages tourmentés).
Au niveau de la production, Giles Martin a pris manifestement plaisir à sculpter ces contrastes. Les segments électroniques bénéficient d’un son impeccable, très moderne, presque déroutant tant il se détache du reste de l’album. L’utilisation de filtres sur le synthé, de squelches typiques de l’acid house, montre qu’on a cherché à surprendre l’auditeur. On retrouve un procédé similaire à ce que McCartney avait fait en 1980 avec “Temporary Secretary” (qui mêlait mélodie pop et séquence électronique répétitive), mais ici intégré de façon narrative dans la chanson.
Looking At Her se conclut sans flamboyance excessive : après la dernière alternance, la chanson s’éteint presque timidement, comme si l’aveu amoureux retournait à sa discrétion initiale. C’est l’effet global qui marque l’auditeur : l’impression d’avoir traversé les méandres de l’esprit de Paul regardant cette femme, entre ange et démon, calme extérieur et volcan intérieur. Cette composition audacieuse fait partie des pépites que recèle New et qui justifient amplement l’écoute approfondie de l’album. Pour les fans pointilleux, Looking At Her est un régal d’inventivité structurelle et sonore, prouvant que McCartney, loin de se reposer sur ses lauriers, aime encore jouer avec les attentes et dynamiter la forme couplet-refrain quand bon lui semble. C’est un titre qui peut désarçonner de prime abord, mais qui s’impose comme l’un des plus novateurs de l’album.
Road
Enfin, New se conclut (du moins officiellement avant la piste cachée) avec Road, douzième titre coécrit et produit par Paul Epworth. Road est un choix intrigant pour fermer l’album : là où l’on aurait pu s’attendre à une ballade épique ou un message d’adieu grandiloquent, McCartney opte pour une pièce atmosphérique, sinueuse, qui laisse l’auditeur dans un état songeur. Road porte bien son nom : c’est un morceau qui évoque le voyage, le mouvement continu, peut-être même l’errance nocturne sur une route infinie.
L’introduction installe une ligne de basse profonde et insistante, presque menaçante, qui servira de colonne vertébrale tout du long. Une batterie au groove lent mais appuyé entre en scène, posant un rythme régulier qui imite un battement de cœur ou le roulis d’un train en marche. Quelques nappes de synthé ou de guitare traitée flottent en arrière-plan, donnant une sensation d’espace nocturne, d’asphalte filant sous les roues. On est dans une ambiance résolument plus sombre que le reste de l’album, rappelant un peu l’expérimentation électro-rock de Appreciate, mais dans un registre plus mélancolique et lancinant.
McCartney commence à chanter d’une voix légèrement voilée, presque lointaine, comme s’il était au volant en pleine nuit, se parlant à lui-même. Les paroles de Road restent assez énigmatiques, mais évoquent le fait de suivre un chemin, de ne pas savoir exactement où il mène mais de continuer malgré tout. On peut y voir une métaphore de la vie d’artiste de Paul (ou de la vie en général) : toujours sur la route, à avancer vers l’inconnu, porté par on ne sait quelle force. L’ambiance générale a quelque chose de cinématographique, presque dramatique – on imagine bien ce morceau en bande-son d’une scène de film où un personnage conduit sous la pluie, éclairé par les néons lointains d’une ville, en proie à ses réflexions.
Musicalement, Road est bâtie de manière progressive. Aux couplets dépouillés succèdent des montées instrumentales où la texture sonore s’enrichit : ici un ajout de chœurs synthétiques discrets, là une guitare électrique qui vient gémir quelques notes bluesy noyées dans la réverbération, plus loin un effet de clavier planant qui souligne un changement d’accord. Paul Epworth, qui a coécrit le morceau, apporte sans doute son expérience des climats un peu trip-hop ou post-rock, car Road s’inscrit dans ce type de registre atmosphérique. Le morceau ne possède pas de refrain pop évident ; c’est plutôt un long crescendo émotionnel. À un moment, McCartney répète le mot “road” de façon incantatoire, sa voix se fondant dans le décor sonore, ce qui fait office de refrain hypnotique.
Dans le dernier tiers, la tension monte d’un cran : la batterie se fait plus présente, la voix de Paul s’exclame avec plus de force (presque un cri étouffé, comme un appel dans la nuit), et une guitare saturée se fraie un chemin, jouant un motif grinçant en boucle. On atteint une sorte de climax instrumental intense où tous les éléments convergent – c’est à la fois chaotique et maîtrisé, donnant la sensation d’être arrivé à un tournant décisif sur cette route imaginaire. Puis, sans crier gare, Road commence à s’évanouir : les instruments se retirent progressivement, ne laissant que la basse et quelques échos s’éteindre dans le silence. L’effet est saisissant : l’album semble se terminer sur cette note suspendue, comme un voyage qui n’a pas de destination finale, un fondu au noir laissant l’auditeur réfléchir à ce qu’il vient de traverser.
En tant que conclusion officielle de l’album, Road est un choix audacieux et judicieux. Il rassemble en lui plusieurs des thèmes de New : le goût de l’expérimentation sonore (Road est probablement l’un des morceaux les plus modernes et audacieux de la discographie récente de Paul), la réflexion intime (cette idée de chemin parcouru, de ne pas savoir où l’on va, qui renvoie à la fois à l’errance et à la persévérance), et la cohésion par la voix de McCartney qui, même traitée ou lointaine, reste l’âme du titre. Road n’est pas immédiatement facile d’accès, mais il laisse une impression durable, un peu comme un rêve dont on se souvient partiellement au réveil. Il montre un McCartney capable de s’éloigner de la pure pop song pour peindre des paysages auditifs plus abstraits, ce qui est une facette moins connue du grand public mais appréciée des fans aventureux (on pense à ses projets plus expérimentaux comme The Fireman).
Notons qu’après quelques instants de silence suivant Road, l’album recèle un dernier cadeau caché…
Scared (piste cachée)
En effet, New comporte une piste cachée intitulée Scared, qui se déclenche après Road sans être listée sur la pochette. Scared est en quelque sorte le véritable épilogue de l’album, un court morceau intimiste qui vient clore le voyage émotionnel entamé plus tôt. Là où Road laissait l’auditeur en suspens, Scared le recueille dans une sorte de confession en tête-à-tête avec Paul.
La chanson démarre sans apprêt : on entend McCartney seul au piano, jouant quelques accords sobres dans un enchaînement classique de ballade. L’enregistrement paraît volontairement dépouillé, presque maquette : le piano sonne de manière naturelle, avec la résonance de la pièce, et la voix de Paul entre, nue et vulnérable. Scared est une ballade d’amour d’une franchise désarmante, dans laquelle Paul avoue sa peur de dévoiler l’étendue de ses sentiments. Le refrain – si on peut l’appeler ainsi – le dit sans ambages : “I’m scared to say I love you”. Il répète cette phrase, la voix légèrement tremblante, et l’on ne peut s’empêcher de penser que c’est un message direct à Nancy, son épouse, ou plus généralement à l’être aimé. Après tant d’années, malgré son statut de légende, McCartney révèle qu’il a encore des insécurités, qu’il peut être effrayé par la vulnérabilité que suppose l’amour véritable. C’est un aveu à la fois humble et profondément touchant.
Musicalement, Scared reste dans un registre minimal du début à la fin. Pas de basse, pas de batterie, aucun arrangement superflu – juste la voix et le piano, et parfois quelques discrets accompagnements de cordes synthétiques en fond vers le point culminant émotionnel (peut-être un très léger voile de cordes ou d’orgue, difficile à discerner, tant c’est subtil). Cette retenue sert parfaitement le propos : tout l’accent est mis sur l’émotion brute de la performance de Paul. Et quelle performance : on l’entend chanter doucement, presque sur le fil, modulant ses intonations avec pudeur. Par instants, sa voix trahit une fêlure, comme sur le “I love you” qu’il finit par laisser échapper ; on croirait presque qu’il est sur le point de pleurer tant l’émotion affleure.
La structure de Scared est très courte, moins de trois minutes. C’est comme une lettre glissée furtivement à la fin du livre. L’effet de surprise lorsqu’on la découvre (si l’on ne s’y attendait pas) renforce son impact : après le long périple de New, on pense l’album terminé, et voilà que Paul revient, seul sous le projecteur, pour un dernier rappel d’honnêteté émotionnelle. D’une certaine manière, Scared fait écho à Early Days dans la sincérité, mais sur un thème différent : non plus le passé et l’amitié perdue, mais le présent et la peur de s’abandonner à l’amour.
En terminant sur Scared, McCartney choisit la confidence plutôt que la grandiloquence. Pas de final tonitruant, pas de chœurs flamboyants : juste un homme au piano qui dit ses doutes et ses espoirs. C’est un choix qui, pour un album intitulé New, sonne juste : après avoir exploré la nouveauté, la jeunesse d’esprit, l’expérimentation et la nostalgie, Paul conclut en toute humilité, nous rappelant qu’à cœur ouvert, il reste un être humain comme les autres, avec ses peurs et son besoin d’amour. Pour les fans de toujours, c’est une conclusion profondément émouvante, qui donne envie de replonger immédiatement dans l’ensemble de l’album pour en goûter chaque nuance avec ce nouvel éclairage.
(Notons que l’édition deluxe de l’album offre par ailleurs quelques pistes bonus – “Turned Out”, “Get Me Out of Here” – et qu’une édition collector de 2014 ajoutera même d’autres chansons inédites enregistrées durant les sessions, comme la très expérimentale “Struggle” ou les enjouées “Hell To Pay” et “Demons Dance”. Ces extras, bien que non indispensables à l’appréciation de New, constituent un intéressant complément pour qui veut prolonger l’exploration de cette période créative foisonnante de McCartney. Mais pour le cadre de cette chronique, nous nous concentrons sur l’album standard et sa piste cachée, qui forment un tout cohérent.)
New dans la discographie de McCartney : continuité et renouvellement
Afin de mesurer pleinement la portée de New, il est utile de le situer dans le contexte de la discographie récente de Paul McCartney. L’album arrive après une série de disques studios parus dans les années 2000 qui ont chacun leur identité propre, avec des fortunes critiques diverses. Trois albums en particulier, sortis respectivement en 2001, 2005 et 2007, permettent d’éclairer le positionnement de New : Driving Rain, Chaos and Creation in the Backyard, et Memory Almost Full. Chacun de ces opus a exploré une facette de McCartney et préparé le terrain à sa manière pour New.
En 2001, Driving Rain marquait le début d’un nouveau chapitre pour Paul. C’était son premier album studio après le décès de Linda (1998) et son remariage avec Heather Mills. Entouré d’un nouveau groupe plus jeune (déjà avec Rusty Anderson et Abe Laboriel Jr. qui deviendront ses fidèles partenaires de tournée), McCartney semblait chercher à retrouver une spontanéité rock. L’album, produit par David Kahne, comportait des morceaux longs, parfois jams (comme le marathonien “Rinse the Raindrops”), et un son brut, quasi live en studio. Driving Rain n’a pas fait l’unanimité : jugé un peu décousu et trop généreux (16 titres, plus d’une heure, ce que certains ont trouvé excessif), il reflétait un Paul tâtonnant entre l’envie de modernité (le single “From a Lover to a Friend” aux arrangements dépouillés et électroniques surprenants) et des ficelles plus convenues. Néanmoins, on y percevait déjà cette volonté de ne pas se reposer sur ses acquis. New, douze ans plus tard, partage avec Driving Rain cette idée d’ouverture aux autres (plusieurs musiciens, envie de sons du moment) et d’énergie juvénile. Cependant, New corrige les faiblesses de Driving Rain : il est bien plus concis et focalisé, et bénéficie d’une écriture globalement plus solide. Là où Driving Rain partait dans toutes les directions sans filtre, New canalise sa diversité grâce à la direction artistique assurée de Giles Martin. On pourrait dire que New est l’album que Driving Rain aspirait à être : frais, varié, collaboratif, sans tomber dans l’éparpillement.
En 2005, Paul prend tout le monde à contre-pied avec Chaos and Creation in the Backyard. Cet album, produit par Nigel Godrich (connu pour son travail avec Radiohead), est l’antithèse de Driving Rain. McCartney y joue pratiquement de tous les instruments, sous l’insistance de Godrich qui veut le pousser dans ses retranchements créatifs. Le résultat est un disque introspectif, mélancolique, très cohérent dans son ambiance douce-amère. Chaos and Creation… a été salué comme l’un des sommets artistiques de McCartney post-Beatles, grâce à des compositions de haute volée (“Jenny Wren”, “Too Much Rain”, “Riding to Vanity Fair”) et une production épurée mettant en valeur la vulnérabilité de Paul. Dans une large mesure, Chaos explorait le versant intime et adulte de McCartney, loin de la volonté de plaire à tout prix. Par rapport à New, les différences sont marquantes : New est bien plus éclectique et extraverti, il ne cherche pas la même unité de ton que Chaos. On n’y retrouve pas le côté uniformément feutré et introspectif de l’album de 2005. En revanche, New apprend de Chaos l’importance de la qualité d’écriture et d’une production soignée. Même si quatre producteurs se relaient sur New, l’album n’a pas sacrifié la rigueur de composition sur l’autel du fun – la plupart des chansons de New tiennent très bien la route en version dépouillée, preuve qu’elles ont une ossature mélodique et harmonique solide (ce que Chaos avait remis au centre). On peut noter que New est moins personnel dans ses thèmes que Chaos, qui abordait le poids du temps et des regrets de façon plus frontale. Early Days ou Scared sur New sont des exceptions introspectives au sein d’un ensemble plus léger. Ainsi, New n’atteint peut-être pas le degré d’émotion retenue et d’originalité de Chaos and Creation, qui reste pour beaucoup un chef-d’œuvre tardif de McCartney. Mais New offre un équilibre différent : enjoué là où Chaos était introspectif, multiple là où Chaos était minimaliste. Pour un fan, New peut apparaître comme le pendant lumineux et joueur de Chaos, moins audacieux sur le plan de l’unité artistique mais plus généreux en diversité sonore.
Enfin, en 2007, Memory Almost Full est venu prolonger la veine entamée par Chaos, mais avec un autre producteur (David Kahne, de nouveau) et une tonalité plus nostalgique et fougueuse à la fois. Memory Almost Full est un album étrange, où McCartney semble à la fois célébrer son héritage et prendre conscience du temps qui passe – c’est l’album qui contient “The End of the End”, chanson dans laquelle Paul envisage sa propre mort avec optimisme, ainsi que des morceaux évoquant des souvenirs (le très entraînant “That Was Me”). Sur le plan sonore, Memory Almost Full a été critiqué pour sa production parfois trop chargée et compressée (il a souffert du fameux “loudness war”, donnant un son un peu écrasé). Malgré tout, l’album regorgeait de vitalité, comme un dernier baroud d’honneur avant une pause discographique assez longue. New se situe dans la continuité de Memory Almost Full par certains aspects : on y retrouve la thématique de la mémoire et du bilan (Paul évoque son passé clairement dans Early Days, On My Way to Work, tout comme il le faisait dans That Was Me ou Vintage Clothes sur Memory), et une énergie positive, presque revancharde, face au temps qui file. Cependant, New bénéficie d’un son plus aéré et moderne. L’apport des jeunes producteurs et de Giles Martin a apporté de la clarté là où Memory pouvait sonner saturé. De plus, New semble plus optimiste globalement – là où Memory Almost Full oscillait entre euphorie et mélancolie crépusculaire, New est largement tourné vers l’optimisme et le renouveau, probablement en raison de la situation personnelle de Paul (période heureuse de remariage) et de l’angle créatif choisi (faire du neuf, s’amuser en studio). On pourrait dire que New est un peu le Memory Almost Full “version améliorée” en termes de cohésion et de production : il reprend l’idée d’un McCartney hyperactif, qui veut tout dire – le passé, le présent, l’amour, la fête – mais le fait de manière plus cohérente et excitante.
En définitive, New s’inscrit dans la lignée des meilleures réussites de McCartney des années 2000, tout en possédant son identité propre. Il n’a pas la gravité artistique de Chaos and Creation, ni tout à fait la dimension émotionnelle de certains passages de Memory Almost Full, mais il synthétise un peu de tout cela avec en prime une dose de fraîcheur retrouvée. Beaucoup de critiques en 2013 n’ont pas hésité à dire que New était le meilleur album de Paul depuis bien longtemps – pour certains, depuis Flaming Pie (1997) ou Chaos justement. Cet enthousiasme s’explique par le fait que New offre ce qu’on attend d’un album de McCartney tout en y ajoutant juste ce qu’il faut de nouveauté pour ne pas être un simple exercice de style. Comparativement, Driving Rain était trop inégal, Memory Almost Full un peu brouillon dans sa production, Chaos sublime mais trop sérieux pour certains – New arrive comme un album équilibré, qui donne autant de plaisir immédiat qu’il suscite l’intérêt à long terme. Pour un fan érudit, il s’agit d’un opus charnière, qui prouve qu’au seuil de ses 70 ans, Paul McCartney pouvait encore non seulement livrer d’excellentes chansons, mais aussi se remettre en question en collaborant avec la jeune génération, et obtenir un résultat très pertinent.
Bilan critique : un McCartney rajeuni et inspiré
Au terme de cette exploration détaillée, quel bilan tirer de New sur le plan artistique et musical ? Globalement, l’album apparaît comme une réussite éclatante dans la carrière tardive de Paul McCartney. Il parvient à conjuguer ce qui semblait antinomique : la nostalgie et le renouveau. Nostalgie, car New est truffé de regards vers le passé – que ce soit dans les textes (Early Days, On My Way to Work) ou dans certaines sonorités vintage (mellotron, harpsichord, harmonies 60s). Renouveau, car Paul s’y entoure de talents contemporains, expérimente avec des genres actuels et ose des arrangements peu conventionnels pour lui (Appreciate, Looking At Her, Road). Ce mariage entre tradition et modernité donne à l’album une richesse particulière : il s’écoute à plusieurs niveaux, parlant autant au fan de la première heure qui retrouvera des clins d’œil familiers qu’à l’auditeur plus jeune ou curieux qui sera surpris par l’audace et la fraîcheur de certaines pistes.
Sur le plan de la composition, McCartney fait preuve d’une forme resplendissante. Les mélodies de New sont inspirées et souvent mémorables – du refrain galvanisant de Queenie Eye à la douceur entêtante de Early Days, en passant par la vivacité pop de New (chanson) ou la mélodie sinueuse de Alligator. Il y a très peu de véritable « déchet » mélodique sur cet album : chaque morceau possède son identité propre et témoigne du savoir-faire mélodique intact de Paul. Si l’on devait pointer un faible relative, on pourrait citer Everybody Out There, dont la mélodie et le refrain sont plus basiques et répétitifs que le reste – mais sa simplicité est voulue pour le côté hymne, ce qui la rend difficile à juger avec les mêmes critères que des morceaux plus élaborés. De même, I Can Bet n’est pas la chanson la plus révolutionnaire de l’album, mais elle demeure agréable et bien écrite dans son style rétro. En fait, New impressionne par son éclectisme maîtrisé : ce n’est pas un album concept ou un cycle de chansons interconnectées, c’est presque une collection de singles potentiels tant chaque piste pourrait vivre indépendamment. Et pourtant, l’ensemble ne donne pas une impression de patchwork fouillis – ce qui est un petit miracle compte tenu des multiples producteurs et genres abordés. L’astuce réside dans l’unité de ton (un optimisme global, une énergie positive) et l’unité de la voix (la présence charismatique de McCartney au chant sur chaque titre, reconnaissable entre mille même quand il module son style).
En parlant de la voix, il faut saluer la performance vocale de Paul sur New. À plus de 70 ans, certes, son timbre a vieilli : il est plus voilé, parfois un peu rocailleux dans les aigus, et certains enregistrements laissent entendre des faiblesses inhabituelles chez lui (Early Days étant l’exemple flagrant où sa voix tremble sur certaines notes). Mais loin de nuire à l’album, cette patine de l’âge apporte souvent une profondeur supplémentaire. McCartney et ses producteurs ont intelligemment choisi quand exposer la voix sans fard (sur les morceaux intimistes où cela sert l’émotion) et quand la soutenir ou la doubler pour conserver son impact mélodique (sur les refrains puissants ou les titres rythmés, on a souvent des chœurs doublés, des effets légers pour épaissir la voix). Le résultat, c’est que Paul sonne encore incroyablement dynamique sur les rock comme Save Us ou Queenie Eye, angélique sur New (où il retrouve presque ses intonations de jeunesse par moments), et touchant sur Early Days ou Scared. L’interprétation est sincère d’un bout à l’autre et prouve que s’il n’a plus la perfection vocale d’un trentenaire, McCartney reste un chanteur plus qu’efficace et expressif.
En termes d’arrangements et de production, New brille par son inventivité et sa finesse. Chaque producteur a apporté sa palette sans écraser la personnalité de l’artiste. La réalisation globale – supervisée par Giles Martin – parvient à être à la fois moderne et respectueuse du style McCartney. Moderne par l’incorporation de sons électroniques, de techniques de mixage actuelles (la basse bien présente, les percussions traitées, l’usage parcimonieux d’effets de studio innovants) ; respectueuse car jamais la production ne prend le pas sur la mélodie ou la voix, et de nombreux arrangements renvoient à des instruments organiques ou à des sonorités vintage chères à Paul (les cuivres, l’accordéon, la guitare acoustique, etc.). L’album est également bien équilibré au niveau du son : comparé à Memory Almost Full, par exemple, New respire mieux. La dynamique n’est pas sacrifiée, on peut monter le volume sans agression, et chaque élément se détache avec clarté. On sent qu’une attention particulière a été portée à la qualité sonore, ce qui pour un album de 2013 (période pas toujours tendre avec la dynamique musicale) est appréciable.
Quant au contenu lyrique, McCartney n’est pas réputé pour être le plus grand poète de la pop, mais sur New, il livre des textes qui, s’ils restent simples, collent parfaitement aux chansons et offrent quelques aperçus de sa vie et de son état d’esprit. Il alterne entre légèreté (la joie amoureuse dans New ou I Can Bet, l’appel à l’unité simple de Everybody Out There) et réflexions plus profondes (Early Days sur la mémoire, Alligator sur le besoin d’aide intérieure, Scared sur la vulnérabilité amoureuse). L’ensemble est cohérent avec l’âge et la situation de McCartney : c’est un homme heureux et reconnaissant, mais conscient du poids de son histoire, qui s’exprime. Il n’y a pas de message révolutionnaire ou de prouesse littéraire majeure, mais une honnêteté et une fraîcheur qui rendent l’album attachant. On pourrait dire que New réussit là où on n’attendait plus forcément Paul : être personnel sans être lourd, être positif sans être niais. En cela, il évite le piège de l’auto-caricature ou du radotage que certains artistes de longue carrière rencontrent. Au contraire, il y a une certaine sincérité juvénile dans New qui fait plaisir à entendre.
Le verdict critique porté sur New lors de sa sortie a d’ailleurs reflété cette réussite. L’album a été très bien accueilli par la presse anglophone et francophone, beaucoup saluant un des meilleurs disques de McCartney depuis des lustres. Certains magazines sont allés jusqu’à le classer parmi les meilleures sorties de l’année 2013, et à juste titre : rare sont les artistes de plus de 70 ans capables de livrer un album de pop aussi alerte, varié et pertinent. Sur le plan commercial, le public a suivi, faisant de New un succès dans plusieurs pays (Top 3 aux USA et UK, n°2 en France, n°1 dans certains pays nordiques), preuve que le nom McCartney, associé à un contenu de qualité, restait synonyme d’engouement populaire. Mais au-delà des chiffres, c’est dans le cœur des fans que New a trouvé sa place : beaucoup y voient l’ultime preuve que Paul n’a jamais perdu la flamme. Là où d’autres légendes se contentent de tourner sur leur répertoire ancien, lui continue de créer, de surprendre et de se faire plaisir – et par extension, de nous faire plaisir.
En conclusion de cette chronique, on peut affirmer que New est un chapitre tardif particulièrement réussi de l’immense histoire discographique de Paul McCartney. Ce n’est peut-être pas un album révolutionnaire au sens où Sgt. Pepper ou Band on the Run ont pu l’être en leur temps – et McCartney lui-même ne cherche pas ici à réinventer complètement sa musique. La nouveauté de New est plus subtile : elle réside dans une évolution, une actualisation par petites touches du style McCartney, prouvant que l’artiste sait rester pertinent sans renier son essence. New déborde de vitalité, d’idées et d’émotions sincères. C’est l’œuvre d’un musicien légendaire qui, au lieu de ressasser son glorieux passé, choisit d’en jouer comme d’un tremplin pour aller de l’avant. Pour les fans érudits des Beatles et de McCartney, New offre un passionnant jeu de miroirs entre hier et aujourd’hui – un rappel que l’histoire se poursuit et que la créativité de Paul, même après un demi-siècle de carrière, est toujours bien vivante. Et pour les autres, c’est tout simplement un excellent disque pop-rock, généreux et inspiré, qui prouve que le “jeune” Paul McCartney a encore bien des choses à dire et à chanter. Un album neuf, et un nouvel éclat dans la couronne déjà bien fournie de Sir Paul.