Judith Perrignon – Les faibles et les forts

Par Yvantilleuil

Je n’avais encore jamais rien lu de Judith Perrignon, mais ce roman qui nous plonge au cœur de la Louisiane contemporaine, là où les fantômes de la ségrégation et du racisme ordinaire hantent encore de nombreux esprits, me faisait de l’œil depuis longtemps. À travers le destin tragique d’une famille afro-américaine, l’autrice invite le lecteur à réfléchir sur la transmission des blessures collectives, ainsi que sur la persistance des inégalités dans l’Amérique d’aujourd’hui.

Le roman s’ouvre sur une descente de police dans le baraquement des Baker, une famille noire du nord de la Louisiane. Marcus, le fils, est fouillé, la suspicion plane, la tension est palpable. Pour oublier l’humiliation, la famille décide de passer la journée au bord de la rivière Rouge. Mais ce moment de répit vire au drame, révélant une tragédie dont les racines plongent dans l’histoire ségrégationniste des États-Unis. Par un jeu de retours en arrière, le récit nous transporte en 1949, à Saint-Louis, Missouri, lors de l’ouverture controversée des piscines municipales aux Noirs. Au fil des générations et des époques, une même lutte refait ainsi progressivement surface: celle pour la dignité et l’égalité.

Judith Perrignon construit son roman comme une fresque chorale, donnant tour à tour la parole à Mary Lee, la grand-mère, à sa fille Dana, à son petit-fils Marcus et aux autres membres de la famille Baker. Cette polyphonie narrative permet de saisir la complexité des héritages familiaux et sociaux, tout en ancrant le récit dans une réalité historique précise.

En prenant pour cadre la Louisiane de 2010 et le Missouri de 1949, Judith Perrignon nous plonge au cœur de l’Amérique ségrégationniste. L’autrice excelle à montrer comment la ségrégation, loin d’être un souvenir lointain, continue de façonner les destins individuels. La peur de l’eau, la difficulté d’accès aux piscines et la transmission de traumatismes et d’inégalités de génération en génération constituent autant de fils rouges qui relient habilement passé et présent.

La structure du roman, alternant entre présent et passé, entre récit familial et chronique sociale, m’a happé de la première à la dernière page. On ressent constamment la violence sourde du racisme et l’injustice de ces statistiques qui sont inévitablement favorables aux Blancs, comme une fatalité qui pèse inlassablement sur les personnages.

L’écriture à la fois sobre et puissante de Judith Perrignon frappe par sa justesse et sa capacité à faire résonner l’intime avec l’universel, tout en faisant ressentir l’indignation sans jamais tomber dans le pathos. En moins de 200 pages, l’autrice parvient non seulement à brosser des portraits saisissants, mais surtout à évoquer des décennies d’histoire et à faire ressentir toute l’injustice de cette boucle infernale qu’est le racisme. En utilisant des phrases souvent très courtes, incisives et parfois poétiques, l’autrice parvient à allier une simplicité apparente avec une profondeur débordante de justesse. Son écriture est traversée par une colère contenue, une indignation vibrante qui invite à la réflexion et à l’empathie.

Avec « Les faibles et les forts », Judith Perrignon ne se contente pas de raconter une histoire, elle invite surtout à s’interroger sur la société américaine, ses fractures, ses héritages et sur la persistance des inégalités et des discriminations. Les actuelles exactions de Trump ne font d’ailleurs qu’accentuer cette fracture de la société américaine et démontrent une nouvelle fois la nécessité de se souvenir pour ne pas reproduire les mêmes erreurs… car quand l’Histoire refait surface, de nombreuses valeurs prennent souvent l’eau !

Les faibles et les forts, Judith Perrignon, Éditions Stock, 192 p., 18,50 €

Elles/ils en parlent également : Jean-Paul, Jérôme, Sylire, Clara, Luocine, Andrew

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