Paul McCartney confirme en 2025 que la chanson qu’il aurait aimé écrire est « Just The Way You Are » de Billy Joel. Un hommage cohérent avec son culte de la mélodie et des harmonies raffinées : Rhodes soyeux, iv mineur emprunté, solo d’alto de Phil Woods, Grammys à la clé. L’article replace ce choix dans l’estime réciproque McCartney–Joel, de l’onde Ed Sullivan à la poignée de main de Shea Stadium (2008).
Au soir d’une carrière où Paul McCartney a signé certaines des mélodies les plus célèbres du XXᵉ siècle, l’ex-Beatle continue de surprendre par sa franchise. Interrogé en 2025 autour du documentaire consacré à Billy Joel, le musicien britannique a confirmé, avec un sourire qui sonnait autant l’hommage que l’évidence, qu’il existe au moins une chanson d’un confrère qu’il aurait aimé avoir écrite : « Just The Way You Are ». « Quand on me demande s’il y a une chanson que j’aurais voulu écrire, c’est celle que je cite toujours », résume-t-il. L’aveu n’est pas nouveau chez lui, mais il a pris, ces derniers mois, une résonance particulière auprès du grand public, ravivé par des interviews et reprises médiatiques liées au film Billy Joel: And So It Goes.
Cet aveu s’inscrit dans un trait constant chez McCartney : l’admiration assumée pour les œuvres d’autrui, y compris celles de ses contemporains directs. On se souvient de sa déclaration à propos de « God Only Knows » des Beach Boys – « l’une des rares chansons qui me fait pleurer à chaque écoute » – un éloge qu’il répète depuis des années. Le respect de McCartney pour la plume de Brian Wilson dépasse d’ailleurs la simple courtoisie entre légendes : il touche à la reconnaissance d’un art mélodique « parfaitement » ciselé, où l’harmonie soutient le cœur du propos.
Sommaire
- Pourquoi « Just The Way You Are » ? Le choix qui paraît évident
- Une genèse romanesque, des doutes… et un solo qui change tout
- McCartney, l’admiration en bandoulière : de « God Only Knows » à « Stardust »
- Le miroir inversé : quand les Beatles déclenchent la vocation de Billy Joel
- Quand les routes se croisent : Shea Stadium, 2008
- Les raisons esthétiques d’un « j’aurais voulu l’écrire »
- La vigueur d’un compliment : ce que « Just The Way You Are » dit de McCartney
- Le respect est réciproque : Billy Joel et le chant beatlien
- Le poids des chiffres : quand l’admiration n’empêche pas les records
- Ce que l’histoire retiendra
- Épilogue : une poignée de mains à travers le temps
Pourquoi « Just The Way You Are » ? Le choix qui paraît évident
Parue en 1977 sur l’album The Stranger, la ballade de Billy Joel s’impose comme une évidence lorsqu’on connaît l’amour de McCartney pour les mélodies lumineuses, les harmonies modulantes et une écriture populaire qui flirte avec le jazz. « Just The Way You Are » est en effet une chanson de soft rock aux inflexions smooth jazz, portée par un Fender Rhodes moelleux, une orchestration soignée signée Phil Ramone, et surtout un solo d’alto devenu légendaire, celui du saxophoniste Phil Woods. La critique de l’époque y entendait « une ballade réfléchie, très bien produite, avec un pont au saxophone qui excelle ». On comprend sans peine qu’un mélodiste comme McCartney, si attentif à la mise en scène sonore, ait été saisi par ce mélange de chaleur et d’élégance.
Sur le plan harmonique, le morceau s’installe en ré majeur, mais n’hésite pas à colorer la progression par des emprunts et glissements chromatiques – ce fameux passage G–Gm–D qui donne cette teinte « jazzée » au refrain et installe une douceur mélancolique au cœur de la déclaration amoureuse. Cette écriture, simple en surface, mais subtile dans ses tournures, appartient à cette famille de chansons « pop standard » que McCartney a souvent célébrée.
Le destin commercial du titre vient confirmer l’intuition artistique. « Just The Way You Are » offre à Billy Joel son premier Top 10 américain et son premier Top 20 britannique, culminant n° 3 au Billboard Hot 100 et n° 19 au UK Singles Chart. Deux ans plus tard, la chanson rafle la mise aux Grammy Awards : Enregistrement de l’année et Chanson de l’année. Ce succès fait basculer Joel dans une autre dimension et installe durablement le morceau dans le répertoire de la musique populaire.
Une genèse romanesque, des doutes… et un solo qui change tout
L’histoire de la chanson ajoute une couche de romanesque. Billy Joel l’écrit à l’origine pour Elizabeth Weber, sa première épouse et alors manager, mais doute de sa place sur The Stranger. Deux voisines prestigieuses de studio, Linda Ronstadt et Phoebe Snow, plaident pour qu’elle soit conservée ; la suite prouvera qu’elles ont eu raison. Phil Ramone, producteur, sculpte un écrin sonore où brille le Rhodes et, surtout, convoque Phil Woods, dont le chorus d’alto relie la chanson à une tradition jazz élégante et narrative qui parle autant aux puristes qu’aux amateurs de pop. Même Joel admettra plus tard combien ce solo a contribué à faire du titre un classique.
Il reste que « Just The Way You Are » n’est pas qu’un « son » ; c’est d’abord une idée. Une déclaration d’acceptation, écrite en langage direct, sans fioritures inutiles. Le propos – célébrer l’autre tel qu’il est – rejoint un thème cher à McCartney : l’amour comme fidélité simple, servie par des lignes mélodiques qui s’installent immédiatement en mémoire.
McCartney, l’admiration en bandoulière : de « God Only Knows » à « Stardust »
Si l’éloge à Billy Joel a refait surface en 2025, Paul McCartney dit depuis des décennies son amour tranquille pour des chansons qu’il n’a pas écrites. « God Only Knows » demeure, on l’a dit, une référence absolue pour lui. Il cite volontiers « Stardust » (Hoagy Carmichael/Mitchell Parish) comme un idéal de composition, et il a aussi plusieurs fois confié son admiration pour « Fields of Gold » de Sting, glissant qu’il aurait aimé « la voler » tant elle lui semblait évidente. Cette générosité critique n’a rien d’un effet de manche : elle dit ce que McCartney valorise avant tout – la mélodie chantable, l’architecture harmonique qui soutient l’émotion, le texte clair.
Dans ce cadre, son choix de « Just The Way You Are » ne relève pas du hasard. La chanson de Joel coche toutes les cases : un thème universel, une écriture au cordeau, un pont instrumental mémorable, et une production qui vise la durabilité plus que l’effet de mode.
Le miroir inversé : quand les Beatles déclenchent la vocation de Billy Joel
Le rapprochement McCartney–Joel ne se limite pas à ce compliment. Billy Joel a souvent raconté combien la Beatlemania l’a convaincu, adolescent, que « des gars ordinaires » pouvaient écrire et jouer leur propre musique, sans décor hollywoodien. L’apparition des Beatles au Ed Sullivan Show en février 1964, regardée par l’Amérique entière, reste pour lui un déclic : voilà des musiciens autonomes, auteurs-compositeurs-interprètes, capables d’imposer leur personnalité. Cette scène d’initiation innerve toute son œuvre, du piano « new-yorkais » à la science de la chanson taillée pour le concert.
Sur cet épisode, l’histoire a gardé des images. Le 9 février 1964, l’émission rassemble environ 73 millions de téléspectateurs ; près de 50 000 personnes avaient demandé des places pour un studio qui n’en comptait même pas 800. Dans la salle, des visages d’adolescents incrédules ; l’un d’eux, celui d’Andrea Tebbetts, deviendra l’icône involontaire d’une hystérie joyeuse filmée en gros plan. Ces quelques secondes captent l’onde de choc culturelle qui va, quelques années plus tard, tendre un pont jusqu’aux ambitions du jeune Billy Joel.
Quand les routes se croisent : Shea Stadium, 2008
Le cercle se refermera de façon spectaculaire à New York. En juillet 2008, Billy Joel donne les deux derniers concerts du Shea Stadium – l’enceinte même où, en 1965, les Beatles avaient fait entrer le rock dans l’ère des stades. Paul McCartney surgit en invité-surprise ; ensemble, ils jouent « I Saw Her Standing There » puis « Let It Be », scène immortalisée dans le documentaire The Last Play at Shea et dans l’album/dvd Live at Shea Stadium: The Concert. Quand McCartney s’adresse au public, il souligne la charge symbolique du moment : revenir « sur la dernière nuit » là où l’histoire de la pop moderne a pris un virage. La boucle est parfaite : l’élève de la télévision américaine des sixties salue, au bras du maître mélodiste, l’héritage de l’invention Beatles.
Les raisons esthétiques d’un « j’aurais voulu l’écrire »
Qu’est-ce qui, précisément, peut aimanter Paul McCartney vers « Just The Way You Are » ? D’abord, une mélodie qui coule sans s’épuiser, tissée pour la voix mais pensée avec la tête d’un instrumentiste ; ensuite, un plan harmonique qui surprend en douceur, jouant le jeu de la variété tout en empruntant au vocabulaire du standard. McCartney, auteur de « Here, There and Everywhere » ou « My Love », a toujours défendu une chanson populaire qui ne renonce pas à la sophistication – des ponts modulants, des enchaînements de cadences qui racontent autant que les mots. Chez Joel, l’emploi d’accords empruntés (le iv mineur dans un environnement majeur, les broderies du maj7, la logique « Rhodes + vents ») installe cette « tension apaisée » que l’on retrouve chez McCartney jusque dans ses titres les plus directs.
On peut aussi y lire une affinité de tempera : tous deux savent aller au cœur de la pièce en choisissant l’axe mélodique pertinent et en bannissant l’esbroufe. La chanson de Joel, comme nombre de ballades de McCartney, « respire » ; elle ménage des espaces où l’émotion peut s’installer, un pont où l’harmonie prend le relais du texte, un solo qui parle sans bavarder. À l’arrivée, le morceau tient à la fois du tube et du standard, deux catégories où McCartney – mélodiste universel – a toujours cherché à se loger.
La vigueur d’un compliment : ce que « Just The Way You Are » dit de McCartney
Le « j’aurais voulu l’écrire » de Paul McCartney ne diminue pas son œuvre ; il la contextualise. L’auteur de « Yesterday », « Hey Jude », « Let It Be », ou « Silly Love Songs » n’a jamais caché son goût pour l’artisanat mélodique : la chanson comme architecture claire, faite pour durer, qui sait parler à la fois aux musiciens et au grand public. Billy Joel lui ressemble sur ce point : il est un architecte du pont bien tourné, de la modulation qui fait lever la tête, du refrain susceptible d’entrer en empathie avec une salle entière.
Que McCartney fasse remonter « Just The Way You Are » quand on l’interroge sur ce « fantasme d’auteur » n’a donc rien d’anecdotique. C’est la reconnaissance d’une éthique de la chanson où l’on privilégie l’intelligibilité, la pertinence harmonique, la chaleur de timbres qui servent le sens. Le Fender Rhodes qui caresse, le saxophone qui raconte, le chant qui respecte la respiration : autant d’éléments que McCartney sait, de longue date, reconnaître comme des signes de « bonne écriture ».
Le respect est réciproque : Billy Joel et le chant beatlien
Du côté de Billy Joel, l’influence beatlienne n’a jamais été niée. On la retrouve dans sa façon d’imbriquer couplets et ponts, de jouer avec les contrechants vocaux, et, en concert, dans les reprises assumées du répertoire des Beatles. Le 9 février 2024, au Madison Square Garden, et précisément pour les 60 ans du Ed Sullivan Show, Joel s’offre une version fervente d’« All My Loving », clin d’œil à l’instant fondateur qui lui a montré, adolescent, qu’un songwriter pouvait changer la vie de millions de gens.
Cette circulation de l’inspiration culmine, on l’a vu, lorsque McCartney rejoint Joel à Shea Stadium, en 2008. À la mémoire collective, ces images disent plus que de longs discours : l’héritier rend la scène au pionnier, et le pionnier salue, chez l’héritier, une maîtrise de la chanson qu’il reconnaît comme sienne.
Le poids des chiffres : quand l’admiration n’empêche pas les records
Rendre hommage aux autres n’a jamais empêché Paul McCartney d’empiler les records. Selon Guinness World Records, il demeure, aux côtés de John Lennon, l’un des compositeurs ayant le plus de n° 1 au Royaume-Uni et aux États-Unis ; il est crédité, comme auteur ou coauteur, de 32 n° 1 dans les charts américains. Le Guinness rappelle également le dîner de 1979 où McCartney est célébré comme « most successful songwriter », avec un faisceau de distinctions qui dessinent une constance hors norme. Les synthèses biographiques confirment un autre chiffre souvent cité : 43 chansons écrites ou coécrites ayant dépassé le million d’exemplaires, entre 1962 et 1978. Ces données n’expliquent pas tout, mais elles situent l’aveu d’admiration pour Billy Joel : il vient d’un pair conscient de sa propre stature, et d’autant plus libre de reconnaître la réussite des autres.
De son côté, « Just The Way You Are » continue d’illustrer ce que la chanson populaire peut avoir de plus résilient : une mélodie hospitalière, une harmonie qui respire, une production qui met en valeur sans écraser. Les Grammy Awards de 1979 ont figé cette évidence en trophées ; l’usage, depuis, a fait du morceau un standard que l’on fredonne sans s’en rendre compte.
Ce que l’histoire retiendra
On retient souvent des artistes leurs prises de position, leurs rivalités ou leurs chiffres de vente. Dans le cas de Paul McCartney et Billy Joel, l’histoire retiendra aussi cette circulation de l’estime. Elle éclaire mieux que tout la continuité d’une tradition qui part de Tin Pan Alley, passe par la révolution beatlienne, et s’incarne chez Joel dans une écriture américaine « classique » capable de croiser le jazz sans perdre l’immédiateté de la pop.
Il y a, dans ce « j’aurais voulu l’écrire » au sujet de « Just The Way You Are », une leçon discrète : la chanson demeure un art collégial, où l’on apprend en écoutant l’autre. Si McCartney, qui a tant donné au répertoire mondial, choisit ce titre-là parmi tous, c’est qu’il y reconnaît l’idéal qu’il poursuit lui-même : la simplicité sans simplisme, la sophistication sans pédanterie, l’émotion sans pathos. Et c’est, en filigrane, une manière de transmettre aux nouvelles générations de songwriters une valeur qui dépasse les modes : la mélodie comme vérité première.
Épilogue : une poignée de mains à travers le temps
Des studios londoniens du début des sixties au Madison Square Garden, des amphithéâtres hurlants de l’ère Beatlemania aux salles feutrées où l’on examine un bridge ou un contrechant, la trajectoire croisée de Paul McCartney et Billy Joel raconte, au fond, la même histoire : celle d’un art populaire qui se renouvelle quand il demeure fidèle à ses fondamentaux. La mélodie, l’harmonie, le sens. « Just The Way You Are » en offre une énième démonstration, et l’aveu de McCartney lui donne, à près d’un demi-siècle de distance, un sceau inattendu : celui d’un collègue qui sait reconnaître, chez l’autre, l’évidence d’une bonne chanson.
Que reste-t-il alors ? Une poignée de mains à travers le temps, et une certitude : si Paul McCartney n’a pas écrit « Just The Way You Are », il a, depuis longtemps, contribué à écrire le livre où pareilles chansons trouvent leur place.