Pete Best, le Beatle oublié : gloire, chute et rédemption

Publié le 19 octobre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Le 16 août 1962, à Liverpool, les Beatles prennent une décision dramatique qui va changer le cours de l’histoire du rock. Ce jour-là, leur manager Brian Epstein convoque le batteur Pete Best dans son bureau et lui annonce qu’il est renvoyé du groupe – il sera remplacé dès le lendemain par Ringo Starr. Le geste est brutal : Best, effondré, n’a rien vu venir et les fans locaux sont sous le choc. Pourtant, ce licenciement impitoyable sera rétrospectivement considéré comme un tournant génial propulsant les Beatles vers le succès mondial. Qui était Pete Best, cet « ancien Beatle » écarté aux portes de la gloire ? Comment a-t-il vécu son éviction et quelles furent les conséquences sur sa vie ? Retour sur le parcours d’un musicien passé de l’ombre à la lumière – puis de la lumière à l’ombre – avant de trouver une forme de rédemption des décennies plus tard.

Avant les Beatles : jeunesse, famille et premiers groupes (1941-1960)

Randolph Peter « Pete » Best naît le 24 novembre 1941 à Madras, en Inde britannique (aujourd’hui Chennai) Sa mère, Mona Best, est une Anglo-Indienne au caractère bien trempé. Elle rencontre en Inde un officier britannique, Johnny Best, qu’elle épouse en 1944, peu après la mort du père biologique de Pete pendant la Seconde Guerre mondiale. À la fin du conflit, la famille Best s’installe à Liverpool, la ville d’origine de Johnny. Mona aspire à une vie confortable et repère en 1957 une grande maison victorienne au 8 Hayman’s Green, dans le quartier de West Derby. D’après la légende familiale, elle finance son achat en ayant audacieusement parié toutes ses économies sur un cheval nommé Never Say Die qui remporta le Derby d’Epsom à 33 contre 1 en 1954. Quoi qu’il en soit, les Best emménagent dans cette demeure de 15 pièces, qui va jouer un rôle crucial dans la jeune scène rock locale.

En effet, en août 1959, Mona transforme le sous-sol de la maison en un club musical pour les jeunes, le Casbah Coffee Club. Inspirée par les cafés-concerts londoniens, elle veut offrir aux groupes de Liverpool un lieu pour se produire. Pete, qui est alors adolescent, encourage sa mère dans cette idée afin que ses amis et lui aient un endroit où écouter et jouer de la musique. Le Casbah devient rapidement un repaire du Merseybeat, le bouillonnant rock local. Le soir de l’ouverture, le 29 août 1959, c’est un groupe appelé The Quarrymen – l’une des incarnations primitives des Beatles – qui inaugure la scène dans la cave fraîchement repeinte par leurs soins. On y retrouve un certain John Lennon au chant et guitare, Paul McCartney à la guitare, George Harrison à la guitare, et Ken Brown (ami de Pete) à la guitare rythmique. Après quelques concerts, un différend avec Mona Best au sujet d’un cachet non versé entraîne le départ de Ken Brown et la fin de la résidence des Quarrymen au Casbah en octobre 1959.

Pete, qui a entre-temps obtenu de sa mère une première batterie d’occasion, saisit alors sa chance. Avec Ken Brown et d’autres comparses, il monte son propre groupe, The Black Jacks, qui reprend la place vacante de groupe maison du Casbah. Le jeune batteur apprend son métier sur scène dans l’effervescence des teen-clubs de Liverpool. Au début de 1960, les Quarrymen – renommés entretemps Silver Beatles puis simplement The Beatles – écument divers clubs de la région avec un certain succès, mais peinent à garder un batteur attitré. Plusieurs musiciens se succèdent à la batterie (notamment Tommy Moore, puis Norman Chapman), sans qu’aucun ne s’impose. Lorsqu’une opportunité en or se présente pour le groupe à l’été 1960, Pete Best va se retrouver au bon endroit au bon moment.

En effet, le manager des Beatles de l’époque, Allan Williams, a décroché pour le jeune groupe une série de concerts dans les clubs de Hambourg, en Allemagne de l’Ouest, pour l’automne 1960 Ces engagements représentent une chance unique de progresser, mais il y a un problème : il faut partir à cinq musiciens, et les Beatles n’ont pas de batteur attitré. McCartney, Lennon et Harrison pensent alors à Pete Best, qu’ils ont vu jouer régulièrement au Casbah avec les Black Jacks[. Pete a la réputation d’un batteur solide et puissant, capable de tenir un rythme carré pendant des heures, ce qui est idéal pour les marathons musicaux qui les attendent en Allemagne. Surtout, détail très pratique, Pete possède sa propre batterie et peut se rendre disponible immédiatement. Le 12 août 1960, à la veille du départ pour Hambourg, Paul McCartney convainc Pete de se joindre à eux en lui promettant un salaire de 15 £ par semaine – une somme considérable pour l’époque pour de jeunes musiciens sans le sou. Pete passe une audition rapide dans un club de Liverpool (le Jacaranda, tenu par Allan Williams) et est engagé sur-le-champ En réalité, confiera Williams plus tard, l’audition était superflue : faute de candidat alternatif, les Beatles étaient prêts à embaucher n’importe quel batteur apte à partir à Hambourg

Pete Best, tout juste 18 ans, s’embarque donc avec John, Paul, George (et le bassiste Stuart Sutcliffe) pour ce qui sera la grande école rock’n’roll des Beatles. Le 17 août 1960, il joue son premier concert avec eux sur la scène de l’Indra Club à Hambourg. Commence alors une expérience fondatrice de plusieurs mois dans le chaudron des clubs allemands. Les cinq musiciens jouent sept jours sur sept, jusqu’à huit heures par nuit, dans des conditions souvent éprouvantes. Pete assure avec endurance la cadence effrénée de ces shows interminables : son jeu de grosse caisse sur tous les temps – ce que les musiciens locaux baptiseront plus tard l’« Atom Beat » – donne aux Beatles une assise rythmique puissante qui booste leur son sur scène. Comme il le racontera, “en rentrant d’Allemagne, [il] martelait la grosse caisse très fort pour maintenir un beat bien solide, chose inédite à Liverpool à l’époque où tous les groupes copiaient le style feutré des Shadows. Très vite, la plupart des batteurs de Liverpool – y compris Ringo Starr – ont adopté ce style dit atom beat, tant il contribuait à produire le « gros son » du groupe”

Cette puissance de frappe et ce style sobre mais percutant collent parfaitement à l’énergie brute des Beatles de l’époque. Sur scène, Best est concentré et imperturbable, frappant inlassablement ses fûts sous les sueurs nocturnes. Son attitude cool et distante lui confère une aura mystérieuse qui ne fait qu’attiser la ferveur des fans. À Liverpool comme à Hambourg, Pete devient le plus populaire des Beatles auprès du public, en particulier des jeunes filles. Taciturne et ténébreux, il sourit rarement sur scène – ce qui rend ses rares sourires encore plus précieux aux yeux des admiratrices. Celles-ci l’ont surnommé « Mean, Moody & Magnificent » (« méchant, maussade et magnifique ») d’après une formule de la presse locale, et beaucoup le considèrent déjà comme le « cinquième Beatle ». D’ailleurs, au début des années 1961-62, Pete reçoit plus de courrier de fans que John, Paul et George réunis. Lors des concerts, ses trois acolytes voient souvent une nuée de jeunes filles se ruer vers le fond de la scène pour tenter d’attirer l’attention du beau batteur impassible

Si Pete Best est très en vue du côté du public, il est également précieux au sein du groupe pour des raisons pratiques. Éduqué et réfléchi, Pete a réussi ses examens de fin d’études secondaires – contrairement à John, Paul et George – et c’est lui qui gère plusieurs aspects logistiques des débuts du groupe. En l’absence de manager professionnel, Pete et sa mère Mona jouent souvent le rôle d’agents officieux : ils démarchent des engagements, négocient les cachets et veillent aux intérêts du groupe dans la jungle des clubs de Liverpool. C’est par exemple Mona Best qui, à la fin 1961, se charge de booker la plupart des concerts des Beatles à Liverpool après leur rupture de contrat avec Allan Williams. Par son entregent et son sens maternel, « Mo » Best a beaucoup aidé le groupe à ses débuts – quitte à susciter quelques agacements en coulisses, nous y reviendrons.

Pendant l’année 1961, les Beatles font plusieurs allers-retours entre Liverpool et Hambourg. Chaque retour au pays les voit progresser en cohésion et en popularité. En décembre 1960, leur concert au Litherland Town Hall marque le début de la « Beatlemania » locale : le groupe électrise la salle, et la puissance de jeu de Pete Best est souvent citée comme l’un des moteurs de cette excitation collective. Un musicien ami, Chas Newby, se souvient avoir été frappé par les progrès fulgurants du groupe et par la fougue de Pete à la batterie, qui poussait les autres à jouer plus fort, plus vite. Sur recommandation du DJ Bob Wooler, les propriétaires du célèbre Cavern Club de Liverpool finissent par engager les Beatles début 1961, en partie grâce à la bonne réputation de Pete et de sa mère. Best consolide son statut de coqueluche : lors d’un concert enregistré par la BBC à Manchester en mars 1962, les trois autres Beatles entrent en scène sous des applaudissements polis, mais lorsque Pete apparaît, c’est une explosion de cris stridents qui l’accueille. Après le show, une foule de jeunes filles en extase l’attend et l’entoure à la sortie des artistes, ne laissant que quelques autographes à glaner pour Lennon, McCartney et Harrison, relégués au second plan[ Ce soir-là, le père de Paul McCartney, témoin de la scène, reproche même à Pete d’avoir monopolisé l’attention et de ne pas avoir « appelé les autres pour partager la lumière », le traitant d’égoïste sur le coup. Ce succès de Pete auprès des fans n’est pas sans créer quelques frictions et jalousies latentes au sein du groupe.

Parallèlement, la vie sur la route met en lumière des différences de personnalité. John, Paul et George forment un trio soudé, toujours partants pour faire les 400 coups, écrire des chansons ensemble ou aller boire un verre après les concerts. Pete, lui, est plus réservé : souvent, après le travail, il préfère rentrer seul ou passer du temps tranquillement de son côté plutôt que de participer aux virées et aux blagues potaches de ses comparses

En Allemagne, lorsque le photographe Astrid Kirchherr invite le groupe à une séance photo artistique et à rencontrer ses amis, Pete décline et reste à l’écart, manquant ainsi une expérience qui soudera encore plus les autres Beatles avec leur entourage hambourgeois bohème[. De même, côté look, Pete reste fidèle à sa coiffure en banane gominée (le quiff style années 50) quand les autres adoptent la fameuse coupe « moptop » (frange) suggérée par leurs amis allemands. En réalité, Astrid Kirchherr expliquera qu’avec les cheveux très bouclés de Pete, la fameuse coupe Beatles n’aurait pas tenu – et Pete affirmera qu’on ne lui a de toute façon jamais demandé de changer de coiffure. Quoi qu’il en soit, ces petits décalages alimentent l’impression que Pete « n’est pas tout à fait comme le reste du groupe », comme le dira Paul plus tard. Un humour différent, un tempérament plus calme : Pete est presque trop sage comparé aux trois autres farceurs intrépides.

Malgré ces légères tensions, en ce début 1962 les Beatles sont plus unis que jamais dans l’ambition de décrocher un contrat d’enregistrement. Sous l’impulsion de leur nouveau manager Brian Epstein (qui a pris les rênes fin 1961), ils démarchent les maisons de disques à Londres. Pete Best participe à l’audition du Nouvel An 1962 chez Decca Records à Londres, où le groupe enregistre 15 morceaux en une journée. Hélas, quelques semaines plus tard, Decca refuse de signer les Beatles, une nouvelle qui est apprise par John, Paul et George avant Pete : ce dernier racontera qu’il l’a découverte par hasard, vexé d’avoir été tenu à l’écart pendant deux semaines[ Les trois autres auraient admis avoir craint que Pete prenne très mal la nouvelle d’un échec – signe qu’une distance s’est installée dans la communication interne. Quoi qu’il en soit, Epstein persévère et parvient à intéresser le prestigieux label EMI Parlophone. Le 6 juin 1962, les Beatles passent une session d’essai aux studios Abbey Road sous la supervision du producteur George Martin. Lors de cet enregistrement test (ils jouent notamment Love Me Do et quelques reprises), Martin trouve le groupe prometteur mais émet des réserves sur la batterie. Sans remettre frontalement en cause les compétences de Pete, il estime que le jeu de ce dernier manque de variété et surtout de précision rythmique en studio Habitué aux batteurs de studio très carrés, Martin n’est pas convaincu que Pete soit le meilleur choix pour les enregistrements à venir. Il confie à Brian Epstein qu’en cas de contrat, il préfèrera faire appel à un batteur de session expérimenté pour jouer sur les disques. Cette pratique est courante à l’époque, mais pour les jeunes Beatles, c’est un camouflet potentiel pour leur batteur.

Epstein, d’abord réticent à l’idée de modifier la formation du groupe qui commence à percer localement, va pourtant devoir affronter la question. John, Paul et George, de leur côté, ont aussi leur avis : cela fait un moment qu’ils songent à un autre batteur qu’ils connaissent bien et estiment meilleur – Ringo Starr, du groupe Rory Storm and the Hurricanes. Ringo a déjà dépanné les Beatles à quelques reprises en concert lorsque Pete était indisponible, et à chaque fois l’alchimie musicale avec lui a été évidente. « On est tombés amoureux du jeu de batterie de Ringo, se souviendra Paul McCartney. Une nuit Pete n’a pas pu venir, Ringo l’a remplacé et derrière nous c’était une vraie puissance de feu : il assurait le job bien mieux… On s’est dit “Oh mince…” ». George Harrison confirmera : « Chaque fois que Ringo jouait avec nous, on sentait que c’était ça, la bonne formule ». Quant à Ringo lui-même, il déclare sans ambages : « Je me suis toujours considéré comme un meilleur batteur que Pete ».

D’autres facteurs pèsent en défaveur de Pete Best à l’été 1962. D’une part, son style de jeu est jugé limité techniquement par ses partenaires. « Pete était bon, mais un peu limité », dira McCartney plus tard, ajoutant que la rigueur demandée en studio dépassait ce dont les batteurs “made in Liverpool” avaient l’habitude. John Lennon ira encore plus loin en qualifiant Pete de « mauvais batteur » n’ayant jamais progressé, seulement capable de marteler son quatre-quarts sans fioritures. De fait, des ingénieurs du son de l’audition Decca jugeront ses prestations “peu imaginatives” et rythmiquement instables]. D’autre part, la personnalité de Pete continue de le tenir légèrement à l’écart du noyau Lennon-McCartney-Harrison. “Pete était presque dans le groupe, mais pas tout à fait” analysera Paul, évoquant ce subtil décalage dans l’humour et l’esprit de camaraderie. Là où les trois comparses partagent fou-rires et élans créatifs, Pete reste en retrait, plus sérieux. Mona Best, la mère de Pete, commence aussi à être perçue comme une présence envahissante. Si elle a énormément aidé le groupe, son tempérament autoritaire (“bossy” selon Lennon, qui la compare à sa sévère tante Mimi) et son habitude de s’impliquer dans les décisions agacent Epstein et même certains Beatles. Mona n’a pas rompu ses liens contractuels avec le groupe malgré l’arrivée d’Epstein, ce qui complique les choses : légalement, renvoyer Pete pourrait invalider certains accords. De plus, une situation délicate est survenue au sein de la famille Best : Neil Aspinall, le meilleur ami de Pete et road-manager des Beatles, a eu une liaison avec Mona qui a donné naissance en juillet 1962 à un petit Roag Best Epstein, très à cheval sur l’image, craint qu’un scandale n’éclate autour de cette affaire privée au moment où le groupe s’apprête à conquérir l’Angleterre. Autant de raisons qui, combinées, font pencher la balance vers une décision radicale.

Mi-août 1962, Lennon, McCartney et Harrison se réunissent en secret et conviennent qu’il faut remplacer Pete par Ringo Starr. Trop peu sûrs d’eux (ou trop lâches) pour l’annoncer en face à Pete, ils laissent cette pénible tâche à Brian Epstein. Celui-ci, qui apprécie Pete Best et mesure sa popularité locale, est très hésitant – il a conscience qu’il prend un risque en évincant un membre clé alors que le groupe n’a pas encore percé. Il consulte même le DJ Bob Wooler, pilier de la scène de Liverpool, qui le déconseille vivement de changer de batteur tant Pete est aimé du public. Mais la perspective du contrat EMI et de la réussite nationale pèse plus lourd. Epstein finit par se rallier à l’avis de John, Paul et George : « Si je veux que le groupe reste heureux, Pete Best doit partir » conclut-il

Le jeudi 16 août 1962 au matin, Pete Best se rend au rendez-vous que Brian Epstein lui a fixé à son bureau (NEMS Enterprises, dans l’arrière-boutique du magasin de disques d’Epstein à Whitechapel). Il n’a aucune idée de ce qui l’attend, pensant qu’il s’agit d’une réunion ordinaire pour parler des engagements à venir. Epstein, très mal à l’aise, tourne autour du pot puis finit par lâcher, sincèrement navré : « Pete, les garçons veulent que tu partes. Ils veulent Ringo à ta place. Ils disent que tu n’es pas assez bon batteur pour eux, et George Martin non plus. ». Stupéfait, Pete accuse le coup. Il demande si Ringo est déjà au courant ; Epstein répond que oui, Starr doit les rejoindre d’ici deux jours. Le téléphone sonne pendant l’entretien : c’est un appel demandant si Pete a reçu la nouvelle, ce qui confirme à Best qu’il s’agit d’une décision préméditée et déjà éventée. Epstein propose à Pete de rester provisoirement pour assurer les prochains concerts avant l’arrivée de Ringo. En état de choc, Pete acquiesce d’abord mécaniquement. Il quitte ensuite le bureau, anéanti – « j’ai tenu bon devant Brian, mais quand je suis rentré à la maison et que j’ai annoncé la nouvelle à ma mère, j’ai pleuré comme un bébé », racontera-t-il plus tard. En bas des escaliers, il retrouve Neil Aspinall qui l’attend. Lorsqu’il apprend l’éviction de son ami, Aspinall est furieux : il promet à Pete qu’il va démissionner sur-le-champ de son poste de road-manager pour le suivre dans son futur projet. Best, déjà trahi par ses trois camarades, le supplie de n’en rien faire : « Reste avec eux, ils vont devenir énormes », lui dit-il en substance. Les deux amis vont noyer leur stupeur autour d’une pinte au pub The Grapes, tout proche du Cavern Club, tandis qu’Aspinall digère l’information.

La nouvelle du renvoi de Pete Best se répand comme une traînée de poudre dans Liverpool. Mona Best, folle de colère, essaie en vain de joindre Epstein toute la journée du 16 août. N’obtenant pas de réponse, elle finit par appeler le producteur George Martin à Londres pour entendre sa version. Martin, surpris, lui assure qu’il n’a jamais exigé le renvoi de Pete : il admet avoir suggéré d’utiliser un batteur de studio pour le premier disque, mais dit n’avoir « jamais pensé qu’Epstein allait le virer du groupe pour autant ». Martin confie même qu’il trouvait Pete très « vendeur » physiquement et qu’il était conscient de son impact sur scène : selon lui, « les fans ne font pas vraiment attention à la qualité du batteur en live », laissant entendre que garder Pete pour la scène n’aurait pas posé de problème. Ces paroles, quoique réconfortantes, n’effacent pas la réalité : Pete est dehors. Mona comprend qu’aucune marche arrière n’est possible. Le soir-même, un concert des Beatles (avec un remplaçant de dernière minute à la batterie) a lieu à Chester, sans Pete. Celui-ci, abattu, a finalement décliné de jouer les prolongations : il ne remettra plus les pieds sur scène avec les Beatles.

Le 18 août 1962, Ringo Starr fait ses débuts officiels en concert avec les Beatles, au Cavern. La salle est comble et divisée. Une partie du public – les « Pete Best fans » – manifeste bruyamment son mécontentement. Des cris fusent : « Pete forever, Ringo never ! » (« Pete pour toujours, Ringo jamais ! »). L’ambiance est électrique, presque hostile. George Harrison reçoit même un coup de tête d’un fan en colère, ce qui lui fait un œil au beurre noir[. Epstein a dû engager un garde du corps pour prévenir toute échauffourée. Mais le calme revient progressivement une fois le set lancé. Ringo Starr, par son jeu énergique et son sourire communicatif, gagne vite une partie du public à sa cause. Comme l’avait prévu George Harrison dans une lettre ouverte, « cela fera un peu bizarre pendant quelques semaines, puis la majorité de nos fans auront accepté Ringo ». Effectivement, la fronde pro-Pete Best s’essouffle assez rapidement à mesure que les Beatles, avec leur nouveau batteur, s’envolent vers le succès. Dès octobre 1962 sort le 45 tours Love Me Do, et en quelques mois la Beatlemania embrase le pays – sans Pete.

Officiellement, pour éviter toute polémique, Epstein communique à la presse que Pete Best est parti « d’un commun accord, sans dispute » avec les autres Beatles. Personne n’est dupe. Localement, l’affaire fait grand bruit : le journal Mersey Beat reçoit des centaines de lettres de protestation de fans en colère. Beaucoup trouvent l’éviction de Pete injuste et ingrate, après plus de deux ans de loyaux services. D’anciens collègues musiciens témoignent que Best était un élément clé du succès local du groupe : « Pete a mis les Beatles sur la carte », dira Geoff Nugent du groupe The Undertakers. « On voyait deux ou trois filles autour de Paul, George et John, mais cinquante autour de Pete… Il ne souriait presque jamais et pourtant il était toujours gentil. Sur n’importe quelle photo des Beatles avec Pete, c’est son visage qu’on remarque en premier. ». Cette popularité et l’impact scénique de Pete alimentent l’amertume de ses supporters : selon eux, le groupe a sacrifié « le vital élément » de son identité.

Alors, pourquoi Pete Best a-t-il vraiment été renvoyé ? La question fait couler beaucoup d’encre et restera sans réponse unique définitive. Les Beatles eux-mêmes, au fil des ans, avanceront principalement l’argument musical. « On en avait assez de Pete Best parce qu’il ne s’améliorait pas et qu’on voulait un batteur décent », tranche Lennon, qui admet néanmoins qu’ils ont été « lâches » en laissant Brian annoncer la nouvelle. Paul McCartney reconnaîtra qu’ils se sont longtemps demandé s’ils pouvaient « trahir » leur ami, mais que l’avenir du groupe était en jeu et qu’effectivement Ringo a apporté un plus indéniable. George Harrison avouera de son côté avoir été le comploteur en chef pour installer Ringo à la batterie : « J’ai ma part de responsabilité, confiera-t-il. J’ai conspiré pour faire venir Ringo pour de bon ; j’en ai parlé à Paul et John jusqu’à ce qu’ils se rallient à l’idée » Quant aux raisons plus personnelles – jalousie, inimitiés – les avis divergent. Lennon rejettera comme un « mythe » l’idée qu’ils étaient jaloux du succès de Pete auprès des filles. Pourtant, de l’avis de nombreux proches, cette jalousie a bien pu jouer. Mona Best estimera que les autres étaient envieux de la popularité de Pete et redoutaient qu’il ne devienne le membre le plus en vue du groupe une fois la gloire venue. Il est vrai que dans le Liverpool de 1962, beaucoup de gens parlaient du groupe en disant « Pete Best and the Beatles », ce qui a pu irriter Lennon/McCartney. De même, la forte personnalité de Mona et son influence ont pu inciter Epstein à écarter son fils pour s’en affranchir. Enfin, certains évoquent une possible tension entre Pete Best et Brian Epstein pour des raisons plus intimes : d’après Pete, Epstein lui aurait fait des avances ambiguës un soir (Brian, homosexuel non assumé à l’époque, aurait invité Pete dans un hôtel), avances que Pete aurait déclinées poliment. Pete Best n’a jamais dit que cela expliquait son renvoi, mais cette anecdote – révélée bien plus tard – a alimenté les spéculations sur un Epstein qui aurait pu mal prendre ce rejet. En réalité, il est probable que la décision s’est fondée sur un ensemble de facteurs : les limites techniques de Pete en studio, son léger décalage d’intégration dans le groupe, et l’opportunité d’engager Ringo Starr qui, lui, cochait toutes les cases musicales et personnelles. Mark Lewisohn, historien des Beatles, résumera que même si Pete n’était peut-être pas le batteur rêvé en studio, la manière dont il a été évincé à la veille du succès – après avoir trimé deux ans avec eux – reste « shabby and unforgivable » (minable et impardonnable). Une opinion partagée par de nombreux fans encore aujourd’hui.

Après les Beatles : choc, traversée du désert et renaissance (1962-2025)

Pete Best se retrouve donc brusquement hors du plus grand phénomène musical du siècle naissant – avant même que celui-ci n’explose. Comment rebondir après une telle désillusion ? Dans les jours qui suivent son éviction, Pete encaisse difficilement. « Je suis resté prostré chez moi pendant deux semaines, incapable d’affronter le regard des gens », confiera-t-il plus tard. Dépressif, humilié, il évite toute apparition publique. Brian Epstein, pris de remords, lui propose immédiatement de le recaser comme batteur dans un autre de ses groupes sous contrat, Lee Curtis and the All-Stars. Pete refuse d’abord toute aide d’Epstein – « pas question de repartir à zéro avec un obscur groupe local, et certainement pas sous la coupe de Brian après ce qui s’est passé » dira-t-il en substance. Cependant, Mona Best et des amis finissent par le convaincre d’accepter une offre via un tiers. En septembre 1962, Pete finit par rejoindre le groupe de Lee Curtis, un chanteur de Liverpool, qui cherche justement un batteur.

Le 10 septembre 1962, Pete Best joue son premier concert post-Beatles avec Lee Curtis & The All-Stars au Majestic Ballroom de Birkenhead. Le groupe attire des curieux, notamment grâce à la présence de Pete – devenu une célébrité locale malgré lui. En novembre, lors d’un concert coïncidant avec le 21e anniversaire de Pete, le DJ Bob Wooler lit sur scène un télégramme de félicitations adressé à Pete par « John, Paul, George, Ringo et Brian ». Une attention cordiale sans doute orchestrée par Epstein, tentant de montrer qu’il n’y a pas de rancune. En réalité, Pete avouera qu’il croisera les Beatles deux fois sur des plateaux partagés en 1962-63 (notamment lors d’un grand concert des lauréats d’un référendum populaire de Mersey Beat) : chaque fois, ils se frôlent en coulisses sans s’adresser un seul mot. La cassure est nette et irréversible.

Néanmoins, la présence de Pete dope la popularité des All-Stars : lors du référendum Mersey Beat de 1962, le groupe finit deuxième groupe le plus populaire de Liverpool, juste derrière les Beatles – entièrement grâce à Pete, notera Lee Curtis lui-même. Sentant le bon filon, Curtis et son groupe décrochent un contrat avec Decca Records en 1963. Ironie du sort, c’est Mike Smith, l’auditionneur qui avait recalé les Beatles chez Decca, qui produit leur single ! Decca mise tout sur la notoriété du batteur : à sa demande, le groupe est même rebaptisé The Pete Best Four Leur 45 tours I’m Gonna Knock on Your Door sort en juin 1964 Hélas, malgré la curiosité initiale, le disque est un échec commercial et Decca se désintéresse vite du groupe. Pete Best touche là les limites de sa célébrité : s’il a attiré l’attention, le public semble avoir du mal à le voir autrement que comme « l’ex-batteur des Beatles ».

Toutefois, Pete Best n’abandonne pas immédiatement la musique. Avec deux des All-Stars (Tony Waddington et Wayne Bickerton, deux talentueux compositeurs en devenir) et de nouveaux musiciens, il forme le Pete Best Combo en 1964-65. Cette formation se lance dans une ambitieuse tournée à l’étranger. En 1965, le Pete Best Combo part conquérir les États-Unis : pendant plus d’un an, ils se produisent outre-Atlantique, enregistrent de nombreux morceaux et même font quelques apparitions TV Le groupe joue notamment au Canada en première partie de Roy Orbison, enchaîne les clubs et profite de la vague British Invasion. Les producteurs américains tentent d’exploiter le lien Beatles à fond : ils publient un album du Combo malicieusement intitulé Best of The Beatles (littéralement « Le meilleur des Beatles », ce qui a trompé plus d’un acheteur peu attentif). D’autres disques compilent leurs enregistrements sous des titres évocateurs comme The Beatle That Time Forgot (“Le Beatle qu’oublia le temps”) ou Best of the Beatles donc, et même Pete Best’s Really the Beatles… Malgré ces coups marketing un brin opportunistes, le succès massif n’est pas au rendez-vous. Le Pete Best Combo fonctionne surtout comme un groupe de scène énergique, mêlant reprises de standards 50s et compositions originales. Waddington et Bickerton composent quelques chansons accrocheuses, mais la critique juge la batterie de Pete assez ordinaire dans ces nouveaux morceaux. Signe que la chance ne tourne pas : en 1965, le groupe aurait même manqué de peu une audition pour un nouveau show télévisé américain, The Monkees. D’après Waddington, le Pete Best Combo était pressenti pour passer l’audition (Pete aurait pu devenir le batteur des Monkees à la TV !) mais des problèmes de visa mirent fin au rêve : après un long séjour aux USA, le groupe devait soit rentrer au Royaume-Uni, soit demander la nationalité américaine – ce qui les aurait exposés à la conscription pour la guerre du Vietnam. Ils choisissent de rentrer en juillet 1966, où ils accueillent un public nostalgique au Cavern Club une ultime fois, puis se séparent peu après.

En 1967, après ces tentatives infructueuses, Pete Best quitte le monde de la musique. Il a 25 ans. Marié depuis 1963 à sa petite amie Kathy (rencontrée du temps des concerts au Cavern)père de famille, il décide de chercher un emploi stable pour subvenir aux besoins de ses proches. Pendant un temps, il travaille de nuit dans une boulangerie industrielle, chargeant des camionnettes de pain pour un modeste salaire. Avec l’aide de ses diplômes, il parvient ensuite à décrocher un poste de fonctionnaire : il devient agent à l’ANPE (bureau de l’emploi) de Liverpool, puis gravira les échelons jusqu’à devenir cadre-formateur dans l’administration du travail. Durant toutes ces années 1967-1981, Pete Best mène une vie ordinaire, loin des projecteurs – tandis qu’autour de lui, la Beatlemania explose planétairement. On pourrait craindre qu’il en conçoive une amertume ingérable. En réalité, cette période est très difficile pour Pete. Ses proches rapportent qu’en 1965, au plus fort du succès des Beatles qu’il voit partout à la télévision, Pete traverse une grave dépression. Un soir, incapable de surmonter son chagrin, il tente de mettre fin à ses jours en s’asphyxiant au gaz chez lui. Sa mère Mona et son frère Rory interviennent in extremis, enfonçant la porte de la pièce et le réanimant pendant de longues minutes. Cet épisode dramatique témoigne du profond mal-être qui a habité Pete Best dans les années suivant son départ des Beatles – un sentiment d’avoir tout perdu alors qu’il était si près du but, le spectre d’être « l’homme qui a raté la plus grande occasion de l’histoire du rock ».

Malgré sa détresse, Pete Best n’en veut pas publiquement aux Beatles à l’époque. Il se mure dans le silence sur cette affaire. En 1968, lorsque l’écrivain Hunter Davies vient interviewer les ex-proches du groupe pour la biographie officielle des Beatles, Pete refuse de témoigner – il ne souhaite plus reparler de cette histoire. Il n’en a d’ailleurs pas vraiment l’occasion : les Beatles eux-mêmes évitent soigneusement d’évoquer Pete en interviews, comme s’il n’avait jamais existé. Dans un entretien en 1965 pour Playboy, John Lennon et Ringo Starr lancent même une petite pique mensongère en prétendant que « Ringo jouait de temps en temps avec nous quand notre batteur était malade – malade de façon périodique », ce à quoi Starr ajoute narquoisement « il prenait des petites pilules pour tomber malade ». Cette allusion douteuse laisse entendre que Pete Best était souvent absent ou indisponible, ce qui est faux (il n’avait manqué que deux concerts en deux ans, rappellera-t-il, quand d’autres avaient été absents tout autant pour diverses raisons) Se sentant calomnié, Pete Best décide alors de sortir de sa réserve : en 1968, il poursuit en justice les Beatles pour diffamation, estimant que ces propos dans la presse ont nui à sa réputation en le faisant passer pour un musicien peu fiable voire drogué L’affaire se règlera en 1969 par un arrangement à l’amiable, chaque partie souhaitant éviter un procès public éclaboussant. Pete touchera une indemnité confidentielle (bien loin des 18 millions de dollars qu’il réclamait symboliquement)

À la fin des années 1970, Pete Best commence timidement à réapparaître dans les médias à l’occasion de la nostalgie grandissante autour des Beatles. En 1978, le producteur américain Dick Clark l’invite dans une émission télévisée de réunion de musiciens des sixties. L’année suivante, Pete est même engagé comme conseiller technique pour le téléfilm Birth of the Beatles (1979) de Richard Marquand, retraçant les débuts du groupe Il y apporte un éclairage authentique, même si beaucoup de ses conseils – tout comme ceux de d’autres vétérans de Liverpool – ne seront pas suivis par la production. En 1981, encouragé par un ami journaliste, Pete brise un silence de vingt ans en publiant son autobiographie Beatle! The Pete Best Story (coécrite avec Patrick Doncaster) Le livre revisite sa version des faits et livre des anecdotes inédites sur l’épopée 1960-62. C’est un succès en librairie, preuve que l’« énigme Pete Best » continue d’intriguer les fans.

Il faut dire qu’avec le temps, l’image de Pete Best a évolué. De « pauvre gars viré juste avant la gloire », il devient peu à peu une figure respectée pour sa participation aux jeunes années des Beatles. Dans les années 1980, les conventions de fans et fanzines se multiplient, et beaucoup souhaitent rencontrer celui qui fut le premier batteur du groupe. Pete, qui jusqu’alors avait évité ce milieu, commence à accepter des invitations. En 1988, il fait un retour symbolique derrière les fûts lors d’une convention Beatles à Liverpool – sa première performance publique depuis 20 ans. Aux dires de sa famille, il reprend goût à la musique ce jour-là. Avec son plus jeune demi-frère Roag Best (le fils de Mona et Neil Aspinall), lui aussi batteur, Pete monte peu après un nouveau groupe qu’il baptise The Pete Best Band. Désormais quinquagénaire, Pete renoue avec son passé musical sans complexes. Le répertoire de la Pete Best Band mélange des standards rock ’n’ roll des années 50-60 (ceux-là mêmes que les Beatles jouaient à Hambourg) et des compositions originales. Le groupe tourne régulièrement dans les années 1990 à travers le monde, accueillant partout un public de nostalgiques et de curieux ravis d’approcher un « morceau d’histoire vivante ». En 1995, Pete Best sort même un album studio de chansons originales intitulé Haymans Green (clin d’œil à l’adresse du Casbah Club), prouvant qu’il ne se contente pas d’exploiter le passé mais cherche aussi à créer

La véritable réhabilitation de Pete Best aux yeux du grand public survient toutefois en 1995. Cette année-là, les Beatles restants (Paul, George et Ringo) publient l’album Anthology 1, première salve d’une série rétrospective événementielle. Or, cet album contient pas moins de 10 enregistrements historiques sur lesquels Pete Best joue de la batterie – notamment des titres du fameux audition ratée chez Decca en 1962 et des sessions de 1961-62 Pour la première fois, le travail de Pete au sein des Beatles est officiellement mis en lumière à l’échelle mondiale. Anthology 1 se vend par millions et, conformément aux lois, Pete Best touche des droits d’artistes pour sa participation à ces enregistrements. On parle d’un chèque à sept chiffres (entre 1 et 4 millions de livres) qui lui aurait été versé. « Une manne financière inattendue » après tant d’années, comme le dira la presse, et surtout une forme de reconnaissance tardive de sa contribution Pete Best, qui n’a pas été invité à témoigner dans le documentaire Anthology et n’a pas eu de contact direct avec Paul ou George durant le projet, savoure cependant ce moment. Selon certaines sources, c’est Neil Aspinall (devenu entre-temps le patron d’Apple Corps, la société des Beatles) qui a tenu à ce que Pete soit justement rémunéré et crédité, bouclant à sa manière le cercle du destin Paul McCartney affirmera avoir appelé Pete pour lui annoncer la bonne nouvelle – « Il y a de l’argent qui t’est dû, tu peux le prendre ou le laisser », aurait dit Paul au téléphone– mais Pete Best contestera plus tard cette version en assurant que c’est Aspinall qui l’a prévenu, et qu’il n’a pas parlé à Paul à ce moment-là Quoi qu’il en soit, Pete encaisse le chèque, non sans une certaine fierté. Il apparaît même cette année-là dans une publicité diffusée pendant le documentaire TV Anthology : un spot pour la bière Carlsberg, où l’on voit Pete trinquer devant le slogan humoristique « Probably the Pete Best lager in the world » (« Probablement la meilleure bière – Pete Best – au monde ») La dérision autour de son nom prouve que Pete est redevenu, à sa manière, une figure pop culte.

Les années 2000 et 2010 voient Pete Best jouir pleinement de sa renaissance médiatique. Lui qui fut longtemps amer (dans son autobiographie, il accusait les Beatles d’avoir contribué à sa “destruction” par des ragots imprimés niant qu’il ait jamais vraiment fait partie du groupe a désormais fait la paix avec le passé. « J’ai vécu ma vie sans amertume. J’ai fait partie de quelque chose d’extraordinaire et j’en suis fier », déclare-t-il en 2018. De fait, Pete Best est célébré par les fans hardcore des Fab Four. Liverpool, la ville qui l’a vu naître musicalement, lui rend hommage : en 2007, Pete est intronisé au Hall of Fame musical de Liverpool en tant que membre fondateur. En 2011, la municipalité va même jusqu’à inaugurer deux rues nommées en son honneur – Pete Best Drive et Casbah Close – dans son quartier de West Derby

Par ailleurs, le Casbah Coffee Club, resté propriété de la famille, est classé lieu historique et ouvert aux visiteurs sur rendez-vous ; Pete et Roag Best en ont fait récemment un hébergement insolite (un Bed & Breakfast thématique Beatles) pour les touristes de passage. Sur le plan artistique, Pete continue les tournées avec la Pete Best Band jusqu’à un âge avancé, partageant la scène en alternance à la batterie avec son frère Roag. Le groupe sort quelques albums live, et même un disque studio en 2008 (Haymans Green), salué pour sa qualité par les connaisseurs.

Finalement, en avril 2025, à l’âge de 83 ans, Pete Best annonce qu’il prend sa retraite définitive de la scène. Dans un message plein de gratitude, il déclare avoir « pris du plaisir » tout au long de ce « magnifique voyage », mais qu’il est temps pour lui de tirer sa révérence. Cette fois, la page se tourne vraiment sur la carrière de Pete Best – une carrière aussi sinueuse qu’un roman.

Thème et héritage : l’énigme Pete Best dans l’histoire du rock

L’histoire de Pete Best est unique en son genre et porte en elle une dimension tragique et romanesque qui fascine les aficionados des Beatles. Il est celui qui a connu les débuts obscurs dans les caves de Hambourg, qui a contribué de son mieux à forger le groupe, avant d’en être évincé juste avant l’explosion de la gloire. Ce destin cruel lui a valu le surnom de « Beatle oublié » ou de « plus grand malchanceux de l’histoire du rock ». Pendant longtemps, Pete Best a symbolisé le « et si… » le plus fameux de la musique populaire : Et s’il était resté batteur des Beatles ? Aurait-il connu la Beatlemania mondiale, les tournées sold-out, les cris de foules en délire, les disques d’or et l’argent facile ? La réponse est probablement non – la plupart des historiens s’accordent à dire que le talent de Ringo Starr et son entente avec les autres Beatles étaient des ingrédients indispensables au phénomène planétaire qui a suivi Néanmoins, la question mérite d’être posée, et l’on en a même tiré des œuvres de fiction. En 1995, une pièce de théâtre intitulée BEST! a imaginé une uchronie où Pete Best serait devenu une superstar internationale pendant que les Beatles, sans lui, ne décollaient jamais vraiment. Plus récemment, des films et séries ont incorporé des clins d’œil à Pete Best (le film The Rocker en 2008, avec Rainn Wilson, s’inspire librement de lui et il y fait même une apparition amusée en caméo

Au-delà du « mythe Pete Best », il y a l’homme. Et l’homme, lui, a fini par surmonter cette épreuve. Certes, il a traversé des moments sombres, de la dépression profonde aux petits boulots loin des paillettes, en passant par l’anonymat forcé pendant que d’autres remplissaient les stades. Mais Pete Best a su rebondir, avec dignité et modestie. Il a finalement trouvé sa place en tant que témoin privilégié de l’histoire des Beatles, accueilli avec respect dans la grande famille des fans. Son parcours illustre la résilience et la capacité à pardonner. Au fil des ans, John, Paul et George ont tous exprimé des regrets sur la manière dont l’éviction a été menée, admettant que la situation aurait pu être gérée avec plus de considération Ringo Starr, de son côté, a longtemps évité le sujet, estimant n’avoir « aucune excuse à faire » puisqu’il n’était pas impliqué dans la décision. Mais publiquement, lors des rares fois où on l’a interrogé sur Pete Best, Ringo a toujours fait preuve de respect envers son prédécesseur. En 2024, Pete Best confiait n’avoir « aucune rancune » envers les Beatles, affirmant ne toujours pas connaître la raison précise de son renvoi mais que cela lui était égal désormais. Cette sérénité conquise force l’admiration.

Pete Best n’a pas intégré la légende Beatles par la grande porte, mais il y figure tout de même en bonne place. Son nom est connu de tout fan un peu sérieux du groupe, son visage orne les photos d’époque (souvent avec cette anecdote piquante : sur la pochette-collage de l’album Anthology 1, la tête de Pete sur une photo d’époque a été découpée pour laisser apparaître le visage de Ringo à la place – clin d’œil visuel à son éviction

Il restera pour toujours « le premier batteur des Beatles », membre fondateur de l’aventure. À ce titre, son histoire rappelle que le succès en musique ne tient parfois qu’à un fil – une rencontre, une décision, une alchimie personnelle. Pete Best aura manqué d’un rien d’être de la plus grande aventure du XXe siècle pop. Mais à travers son parcours, fait de gloire locale, de chute brutale et de renaissance tardive, il a gagné une forme d’immortalité différente. Son destin singulier continue d’émouvoir et d’intéresser parce qu’il touche à des thèmes universels : la chance et l’injustice, l’amitié et la trahison, la chute et le pardon.

En fin de compte, si les Beatles ont conquis le monde, Pete Best a conquis quelque chose d’aussi précieux : la paix avec lui-même et l’admiration sincère des connaisseurs. Et comme le chantaient John et Paul, « dans la fin, l’amour que tu prends est égal à l’amour que tu fais ». L’amour que Pete Best reçoit aujourd’hui de la part des fans des Beatles témoigne de l’importance de son rôle, bien que brièvement joué, dans la plus belle histoire du rock. Best était un Beatle, à sa manière, et son histoire restera indissociable de la légende des Fab Four.