Après avoir lu et aimé le roman « La Végétarienne » de l’écrivaine coréenne Han Kang (ma chronique sur ce blog dans quelques jours), j’ai eu envie de découvrir également ses poésies. En effet, les éditions Grasset ont fait paraître, en cette année 2025, son recueil « Ces soirs rangés dans mon tiroir« .
Note pratique sur le livre
Editeur : Grasset
Année de publication initiale : 2013 ; de cette traduction : 2025.
Traduit du coréen par Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet
Nombre de pages : 150
Présentation du livre par l’éditeur
Récompensée par le Prix Nobel de Littérature 2024, Han Kang dévoile toute la beauté de sa plume dans ce premier recueil de poèmes traduit en français. Elle y évoque la couleur des fins de journée, le froid, l’absence. Le corps aussi, tantôt affaibli, tantôt vigilant face au miroir. La lune est étrange, la mémoire des morts s’empare des maisons. Jusqu’à ce que la lumière revienne, que les femmes et les hommes quittent l’obscurité.
Après l’immense enthousiasme suscité par ses romans, l’œuvre poétique de Han Kang nous invite à découvrir un nouvel aspect de l’imaginaire de la grande écrivaine coréenne – en écho avec son travail narratif. Par ses thématiques et l’infinie délicatesse de ses vers, Ces soirs rangés dans mon tiroir est une lecture indispensable pour s’imprégner de l’univers si singulier de l’autrice d’Impossibles adieux.
(Source : site internet de Grasset)
Présentation de la Poète
Née en 1970 à Gwangju, HAN Kang a étudié la littérature à l’université de Yonsei, à Séoul. Elle débute sa carrière littéraire comme poétesse puis publie son premier roman à l’âge de 24 ans. C’est en 2016 que le monde entier découvre son travail, lorsqu’elle remporte le très prestigieux Booker Prize pour La Végétarienne (Le Livre de Poche, 2016), avant d’être récompensée par le prix Médicis étranger pour Impossibles adieux (Grasset, 2023). Elle est aujourd’hui considérée comme la plus grande autrice coréenne. En 2024, son œuvre est couronnée par le prix Nobel de littérature.
(Source : site de l’éditeur)
Mon avis en bref
C’est un recueil marqué par la saison hivernale : dans bon nombre de poèmes on trouve des références au froid ou à l’obscurité. Les moments de l’aube et de la tombée du jour semblent également inspirer la poète, s’alliant à des impressions crépusculaires, à des transitions de l’obscurité à la lumière. Le thème du corps humain – du sang, des larmes, du cœur, des veines, des vaisseaux – ou de différentes parties anatomiques qui se brisent ou qui endurent des souffrances, reviennent aussi fréquemment. C’est une poésie où la mort apparaît souvent, qu’il s’agisse de celle du peintre Mark Rothko ou de celle que la poète anticipe pour elle-même, de l’évocation d’un enterrement, de fantômes, ou même de manière plus allusive mais non moins claire. Poésie triste, douloureuse. Parfois, un sentiment d’impuissance parcourt ces pages. Je ne connais pas la langue coréenne mais j’ai l’impression qu’il y a sans doute dans le texte original des choses intraduisibles en français, à cause de certaines répétitions ou de mots sur lesquels on s’interroge. Certains poèmes m’ont beaucoup touchée, comme celui ci-dessous où elle s’adresse à son petit garçon, ou d’autres qui évoquent également des scènes de sa vie quotidienne.
**
Page 59
Esquisse du soir
Certains soirs sont couverts de sang
(Comme s’ils avaient été peints par l’aube)
Si nos yeux pouvaient voir en noir et blanc
Sensibles aux innombrables nuances
Qui s’échelonnent entre le noir et le blanc
L’obscurité revêtirait l’une après l’autre les minces
[couches de notre misère
La tranquillité
De celui qui marche sous l’unique réverbère
Et même l’interminable enfer
Auraient la couleur des fantômes
Le réverbère lui-même serait blanc
L’espace alentour serait plongé dans un mutisme gris-cendré
Et tout ce qui avait mouillé nos yeux
Sombrerait dans un silence noir
**
(Page 73)
A Hyo, hiver 2002
Et si la mer venait jusqu’à moi
S’est demandé l’enfant
Apeuré
Elle déferlait de loin, de très loin
Elle déferlait
L’enfant pensait qu’elle continuerait
De monter jusqu’à nous
La mer n’est pas venue jusqu’à toi
Mais en déferlant
Elle te semblait monter sans fin
Tu t’es abrité derrière mes jambes
Comme si moi
Je pouvais te protéger
De toute chose
Même de la mer
Lorsque tu tousses à t’étouffer
Quand tu rends tout ce que tu as mangé
Tu appelles maman, maman
En sanglotant
Comme si moi
J’avais le pouvoir de te protéger des dangers
Bientôt, hélas
Tu te rendras compte
Que tout ce que je peux faire
C’est me souvenir
De cette houle géante
Du temps qui passe
De ce qui croît
Et face à ce qui disparaît
Et à ce qui naît
Me souvenir que nous étions ensemble
Il s’agit seulement de garder inscrits dans mon corps
Depuis toujours un corps de sable
Ces moments qui sont des perles irisées
Cette intimité d’un temps ensemble étreint
Ne t’en fais pas
La mer n’est pas encore venue
Au point de nous emporter
Nous resterons tous deux ensemble
A ramasser d’autres cailloux blancs, d’autres
[ coquillages
A sécher nos chaussures mouillées par les vagues
A secouer le sable rugueux
Puis de temps en temps
Effondrés
A essuyer nos larmes de nos doigts sales
**