Lorsque Abbey Road voit le jour en 1969, il marque l’apogée artistique des Beatles, synthétisant à la perfection leur expérimentation sonore et leur maîtrise harmonique. Parmi les morceaux les plus remarquables de l’album, Because occupe une place singulière, tant par sa construction harmonique que par son inspiration venue de la musique classique.
Tout commence dans l’intimité du domicile de John Lennon et Yoko Ono. Un jour, Yoko, pianiste de formation classique, joue la Sonate au clair de lune de Beethoven. Curieux, Lennon lui demande d’inverser les accords et trouve aussitôt une mélodie qui deviendra Because. Cette approche, bien que simpliste, traduit la manière instinctive et intuitive qu’avait Lennon de composer.
Dans une interview, il expliquait ainsi : « Les paroles parlent d’elles-mêmes. Elles sont claires. Pas de conneries, pas d’images abstraites, pas de références obscures. » Cette sobriété lyrique contraste avec les audaces musicales du morceau, mettant en valeur une harmonie vocale d’une complexité inédite.
Un travail vocal d’orfèvre
L’une des caractéristiques les plus marquantes de Because réside dans son harmonie vocale en trois parties. Lennon, McCartney et Harrison chantent à l’unisson, et leurs voix sont overdubbées deux fois de plus, créant une impression de chœur éthéréen. Au total, ce sont neuf voix qui s’entrelacent avec une précision chirurgicale, conférant au morceau une dimension quasi mystique.
George Harrison, qui considérait Because comme l’une de ses chansons préférées de l’album, révélait dans une interview : « La partie harmonique était assez difficile à chanter. Nous avons dû vraiment l’apprendre. » Cette complexité explique pourquoi le morceau impressionne encore aujourd’hui par son épure et sa technicité.
On peut également entendre cette harmonie à l’état pur, dépourvue d’instrumentation, sur les albums Anthology 3 et Love, ce dernier y ajoutant un fond sonore de chants d’oiseaux.
Un enregistrement minutieux sous la houlette de George Martin
L’enregistrement de Because s’est déroulé les 1er, 4 et 5 août 1969. La première session voit Lennon, McCartney et Martin enregistrer 23 prises de la piste instrumentale, avec la guitare de Lennon, la basse de McCartney et un clavecin électrique Baldwin joué par George Martin. La prise 16 sera finalement retenue.
Ringo Starr, quant à lui, n’a pas de rôle percussif proprement dit sur ce titre. Cependant, pour assurer une précision maximale dans l’interprétation, il garde le tempo en battant la mesure sur un hi-hat que les autres musiciens entendent dans leurs casques. George Martin confiera plus tard : « Nous n’avions pas de boîte à rythmes à l’époque, alors Ringo était notre machine à rythmes. »
Une fois la base instrumentale en place, les harmonies vocales sont enregistrées les 4 et 5 août. C’est aussi lors de la dernière session que George Harrison superpose une piste de synthétiseur Moog, marquant ainsi l’une des premières utilisations de cet instrument sur un disque des Beatles.
Une empreinte Yoko Ono ?
Si Lennon est l’auteur incontestable de Because, certains indices laissent penser que Yoko Ono a pu avoir une influence sur la conception du morceau. Paul McCartney, dans une interview, déclarait : « Je ne serais pas surpris que Yoko ait participé à l’écriture. Le texte ‘le vent est haut, le ciel est bleu, la Terre est ronde…’ ressemble à ce qu’on trouve dans Grapefruit, son recueil de poésie. » Lennon, à cette époque, était en effet fortement imprégné de l’univers artistique et littéraire de sa compagne.
L’héritage intemporel de Because
Au fil des décennies, Because n’a rien perdu de sa magie. Son mélange de rigueur classique et d’harmonies pop reste un sommet dans l’art des Beatles. Le morceau continue d’être une source d’inspiration pour les musiciens et demeure un moment d’introspection envoûtant au sein d’Abbey Road.
Avec ce titre, John Lennon démontre une fois de plus sa capacité à transcender les genres et à capturer l’émotion pure. Que ce soit par son origine curieuse, ses arrangements vocaux ciselés ou son instrumentation raffinée, Because incarne l’une des dernières grandes fulgurances créatives des Beatles en studio.