Stanislas, coureur de fond, et de formes, depuis quarante ans.
Par Hectorvadair
@hectorvadair
Lorsque l'on découvre
l’œuvre
de Stanislas, et plutôt celle en noir et blanc, publiée au détour
d'un petit
album oblong au milieu des années quatre-vingt, ou de
revues
comme Le
Lynxatif,
Lapin
ou bien
encore dans
des petits albums de l'Association dans
les années quatre-vingt-dix,
c'est d'abord l'aspect quelque peu désuet du dessin qui nous
interpelle. Immédiatement, le
lecteur se
sent transporté dans une autre dimension, un autre monde. Un monde
de décor de film des années quarante, là où la banlieue possédait
un fort potentiel d'intrigue ; où des pavillons bien propres
pouvaient cacher de curieux types de brigands
ou savants
fous, prêts à accueillir on ne sait qu'elle invention
abracadabrantesque, voire des êtres venus d'ailleurs. On pense au
Paris dessiné par son aîné Jacques Tardi, avec lequel il a
d'ailleurs réalisé le
Perroquet des Batignolles de
2011 à 2014,
adapté de la
série radio éponyme
co écrite avec Daniel Bouju.
Ce décor posé, il faut parler des
personnages, souvent
gentils, ronds et pleins de malice, aussi
très cinématographiques, comme issus d'un film de Jacques Demy ou de Jacques Tati. On
y trouve des marins, des sirènes, des savants (fous donc), des
enfants joueurs, de belles femmes, des robots, et tous évoluent dans
un univers poétique, où une porte peut amener vers une cour
merveilleuse, où
se retrouvent les habitants du quartier, plus un chien de l’enfer
(Au
Passage
du Pourquoi pas, avec
Anne Baraou)ou
sur un toit vers lequel l'ascension vers les étoiles sera aisée, au
risque de retomber dans une mer souvent salvatrice (Le
galérien, la Fin du Monde).
Stanislas convoque cette magie de l'enfance, où, bien au chaud face
à un périodique, on rêvait de courses poursuites, d'aventures
héroïques, et d'histoire fantastiques qui se terminent bien. D’ailleurs,
à bien y penser, on peut aussi s’interroger sur la course au sens
propre - automobile ici - avec laquelle les premières histoires de
l’auteur ont germées. Un des premiers albums, dans la collection
X
de Futuropolis en 1986, s’intitulait en effet La
Grande course.
On
y découvrait
une Helimob, sorte
de vieille voiture en tôle
et à hélice
qui pourrait trouver son miroir dans celle,
tout aussi improbable et fragile, présente dans les
aventures
délirantes
d’un Hash Barret, par Vincent Hardy, publié exactement la même
année aux éditions Vent d’ouest. Est-ce à dire que Stanislas est
un coureur de fond, ayant su mener à bon port son univers, là où
son collègue, venu lui aussi du fanzinat, n’aurait pas pu franchir
le cap des années quatre-vingt dix ? Précisons
que cet univers s’est répandu dans les pages d’une revue nommée
Lapin,
éditée par une association de jeunes auteurs plein de talents et
d’ambitions, dont
Stanislas à été l’un des piliers, qui
ont justement
franchi tambour battant cette décennie 90-2000, permettant ainsi à
toutes et tous d’arriver saufs
et reconnus jusqu’au nouveau millénaire. On retiendra donc
la
notion de (course de) fond, puisque le dernier album en date au
moment de l’écriture de
ce texte, s’intitule La
fin du monde (le
monde d’avant le nouveau millénaire?) ;
et
cette pérennité, donnant
le sentiment d’une boucle, ou d’une course bien menée, n’est
pas si iconoclaste.
D’autant
plus si on l’associe à la forme (aux formes) souvent joyeuses,
malmenées, d’un monde un peu enfantin que
Stanislas nous dévoile,
comme issu d’une autre époque, où tout aurait été plus simple,
plus poétique. Une
poésie façon Charles Trenet ou Raymond Queneau, accompagnée d’un
air d’accordéon s’échappant parfois d’un bistrot ou de
derrière un muret.Souvent
aussi, la famille offre un havre de paix. Cette
famille tant appréciée des journaux et revues des années quarante
et cinquante, où la morale (chrétienne) était un élément
essentiel des
récits,
qui, lorsqu’ils n’étaient pas historiques, vantaient la bonne
conduite des uns et des autres. Si Stanislas n’a pas besoin d’abbé
pour lui dicter quels personnages respectables inventer
- comme avait pu le faire auprès d’Hergé en
1936
l’abbé Courtois,
responsable
de la revue Cœurs
vaillants,
ce qui amena la création de Jo Zette et Joko - ou placer des
crucifix
et des curés dans ces récits (il
leur préférera une prostitué, mais gentille, comme dans Au
passage...),
il a gardé une douceur et des valeurs « familiales »
dans ses histoires, et ne renie pas ce passé, bien au contraire.
Allant
même
jusqu’à convoquer les parents de Jo et Zette dans
la Fin du
monde. Un
hommage que l’on adorerait voir perdurer de manière officielle
d’ailleurs, tant la « reprise » est réussie et
sincère.Et
si l’on
retrouve dans
la même histoire,
Hergé transformé en personnage robotique, façon univers BPRD de
Mike Mignola (ou plus prosaïquement d’un récit science fictionnel
à la Jules Vernes), sa tête mise dans un bocal, c’est sans doute
pour nous
signifier
que quoi
qu’il arrive, les vrais grands
créateurs
ne meurent
jamais. Alain
Saint Ogan (lui
aussi convoqué comme personnage bibliophile dans la
Fin du monde),
avait
entre
autres créé
Alfred le pinguin et
le chien Serpentin ;
Hergé : Jocko et Milou, tels des mascottes accompagnant leurs
personnages d’aventures. Stanislas aura pour
lui
et
nous son
Hélimob et son Toutinox, son Victor Levallois - sa
propre série d’aventures « à l’ancienne » écrite
par Lauren Rullier -
et ses enfants, son Prince des étoiles et son Galérien,
mais surtout une sirène bienveillante, gardienne de toutes ces
histoires créées
au fil de l’eau. Celles-ci
rendent
heureux ; et
ça, dans le monde dans lequel nous vivons en 2026,
c'est un plus qui fait toute la différence. Bon
anniversaire Stanislas !
FG