Sorti en novembre 1973, l’album solo de Ringo Starr marque un tournant post-Beatles grâce à une collaboration inédite réunissant John Lennon, Paul McCartney et George Harrison, ainsi que d’autres artistes prestigieux. Produit par Richard Perry, ce disque pop‑rock au charme convivial mêle rythmes entraînants et ballades mémorables, illustrant la volonté de Ringo de retrouver le succès commercial. Entre anecdotes de studio et rééditions multiples, l’album demeure un témoignage unique d’une ère où la magie des Beatles persistait, séduisant critiques et public à travers le monde. Icône inoubliable!!!!!
En novembre 1973 paraît Ringo, troisième album solo de Ringo Starr, celui que beaucoup considèrent désormais comme
Sommaire
- le
- RETOUR SUR LE PARCOURS DE RINGO APRèS LES BEATLES
- LES ORIGINES DU PROJET ET LE CHOIX DE RICHARD PERRY
- LES MUSICIENS : UNE PLEIADE DE STARS
- L’APPORT DES EX-BEATLES : UN SEMI-RéUNION
- CALENDRIER DES SESSIONS ET LIEUX D’ENREGISTREMENT
- LES CHANSONS, ENTRE POP éLéGANTE ET VARIéTé FESTIVE
- PHOTOGRAPH : LE SINGLE PHARE ET SA RéCEPTION
- SORTIE DE L’ALBUM ET SUCCèS COMMERCIAL
- LES DIFFéRENTES VERSIONS ET LE CAS DE «SIX O’CLOCK»
- LA POCHETTE : UN DESSIN FOUILLU PAR TIM BRUCKNER
- COUVERTURE SANS FIN : LE LIEN AVEC STA*RTLING MUSIC
- LA CRéATION D’UN NOUVEAU STANDARD POUR RINGO
- LA CRITIQUE, ENTRE ACCLAMATION ET SCEPTICISME
- LES RééDITIONS ET L’éVOLUTION DE LA SETLIST
- L’APRES
- RINGO
- : UN MODèLE POUR LES DISQUES SUIVANTS
- L’IMPACT SUR L’HISTOIRE DES EX-BEATLES
- UNE PIERRE ANGULAIRE DE LA CARRIèRE SOLO DE RINGO
- ANALYSE MUSICALE : UNE POP LIMPIDE ET EFFICACE
- BILAN ET POSTéRITé
- LA COUVERTURE ET SES MYSTèRES
- UNE EMPRISE DANS LES CLASSEMENTS ET LE TéMOIGNAGE D’UNE éPOQUE
- CONCLUSION : UN ALBUM ICONIQUE ET JOVIAL
le
chef-d’œuvre de sa carrière post-Beatles. Après avoir tâtonné avec deux disques aux styles divergents – Sentimental Journey (1970), recueil de vieux standards, et Beaucoups of Blues (1970), hommage à la country – Ringo revient sur le devant de la scène musicale avec un album résolument pop-rock. Mais au-delà de l’aspect musical, Ringo marque surtout un moment exceptionnel : c’est l’unique album solo d’un ex-Beatle où l’on retrouve la participation de John Lennon, Paul McCartney et George Harrison, chacun apportant sa pierre à l’édifice, même s’ils ne se retrouvent pas tous les quatre sur le même morceau. Produit par Richard Perry, Ringo se veut un projet collaboratif, réunissant un panel de prestigieux invités. L’album conquiert très vite le public et la critique, et deviendra un succès majeur dans la discographie de l’ancien batteur des Beatles. Cet article, richement documenté, entend retracer l’histoire du disque, éclairer son enregistrement, sa sortie, son impact, sa réédition et l’intrigante pochette aux multiples visages.
RETOUR SUR LE PARCOURS DE RINGO APRèS LES BEATLES
En 1970, lorsque les Beatles se séparent officiellement, chaque membre emprunte une direction différente. John Lennon s’investit dans des disques expérimentaux et engagés avec Yoko Ono, George Harrison propose un triple album spirituel et ambitieux (All Things Must Pass), tandis que Paul McCartney entame sa route solo avant de fonder Wings. Ringo Starr, lui, enregistre deux albums coup sur coup : Sentimental Journey (mars 1970) et Beaucoups of Blues (septembre 1970). Le premier est un assemblage de standards pré-rock, arrangés par divers compositeurs ; le second plonge Ringo au cœur de la country à Nashville, sous la houlette de Pete Drake. Malgré l’intérêt historique de ces projets, les fans sont souvent déconcertés : l’un est jugé trop passéiste, l’autre trop déroutant.
En parallèle, Ringo sort deux singles qui obtiennent un franc succès : «It Don’t Come Easy» en 1971 et «Back Off Boogaloo» en 1972, tous deux coécrits et produits par George Harrison. Ces 45 tours, pourtant, ne s’accompagnent d’aucun album. Ringo préfère alors se consacrer à sa carrière d’acteur. Mais en 1973, il se résout enfin à enregistrer un véritable album pop-rock, avec l’objectif de retrouver le succès qui semble lui tendre les bras quand il se lance dans des compositions plus modernes.
LES ORIGINES DU PROJET ET LE CHOIX DE RICHARD PERRY
En février 1973, Ringo Starr décide qu’il est temps de proposer un album plus «rock» à son public. Il se souvient avoir déjà travaillé avec Richard Perry, producteur très en vue à Hollywood, pour l’une des chansons de Sentimental Journey. Perry, qui a collaboré avec Barbra Streisand, Carly Simon ou Harry Nilsson, est réputé pour sa capacité à organiser des sessions avec de multiples invités. Ringo lui propose donc de produire son nouveau disque, ambitionnant de réunir autour de lui un casting prestigieux. L’idée germe alors : pourquoi ne pas convier autant de musiciens célèbres que possible, y compris ses anciens camarades des Beatles ?
Selon Ringo, l’album doit avoir une couleur pop-rock, avec des touches de variété, éventuellement des clins d’œil au style qu’il affectionne. Son plan : enregistrer des titres inédits, susciter la contribution de John Lennon, George Harrison et Paul McCartney, tout en ouvrant la porte à d’autres talents. Richard Perry, séduit par l’enthousiasme de Ringo, commence à organiser des sessions à Los Angeles, où il réside. C’est ainsi qu’au mois de mars 1973, Ringo pose ses valises à Sunset Sound, un studio fameux dans la Cité des Anges.
LES MUSICIENS : UNE PLEIADE DE STARS
Une des caractéristiques de Ringo est la foule d’invités qui défilent au fil des morceaux. Outre les trois ex-Beatles, on croise ainsi :
- Marc Bolan (leader de T. Rex)
- Robbie Robertson et Levon Helm du groupe The Band (Reprenant la tradition, la quasi-totalité du groupe, hormis Richard Manuel, est impliquée : Rick Danko, Garth Hudson, etc.)
- Billy Preston, Nicky Hopkins et James Booker, pianistes de renom
- Klaus Voormann, ami de longue date des Beatles, à la basse
- Jim Keltner à la batterie sur certains titres
- Tom Scott aux cuivres
- Harry Nilsson, Linda McCartney, Martha Reeves, Merry Clayton aux chœurs
- Des musiciens de session réputés, comme Steve Cropper (guitariste de Booker T. & the M.G.’s) ou Chuck Findley (trompettiste)
Cette effervescence évoque la méthode employée par George Harrison pour All Things Must Pass. Ringo, de son côté, adopte un style plus direct et un format pop plus concis. Richard Perry coordonne l’ensemble, assurant la cohérence de la production et un climat de bonne humeur, essentiel à la réussite du projet.
L’APPORT DES EX-BEATLES : UN SEMI-RéUNION
L’argument majeur de Ringo réside dans la participation, à différents degrés, de John Lennon, Paul McCartney et George Harrison. Aucun titre ne réunit les quatre Beatles simultanément, mais trois d’entre eux se retrouvent sur «I’m The Greatest», composée par Lennon (crédité seul) et enregistrée le 13 mars 1973. John Lennon est au piano, George Harrison à la guitare, Klaus Voormann à la basse, et bien sûr Ringo au chant. On se souvient que John a d’abord pensé jouer lui-même «I’m The Greatest», mais il a reconnu que la phrase «I’m the greatest» pouvait passer pour de l’arrogance venant de lui, alors que dans la bouche de Ringo, cela devient une boutade sympathique. Les rumeurs vont bon train : la presse parle d’une réunion des Beatles, mentionne la possible intégration de Voormann pour remplacer Paul McCartney. En réalité, Paul n’est pas de la partie sur ce titre mais se rattrapera plus loin.
George Harrison demeure très présent. Il cosigne avec Ringo «Photograph», magnifique ballade pop qui deviendra un single numéro un aux états-Unis, confirmant la force du tandem Starr-Harrison. George lui offre également «Sunshine Life For Me (Sail Away Raymond)», sorte de morceau country-folk festif. Enfin, il coécrit avec Mal Evans (et Ringo, indirectement) la conclusion de l’album, «You and Me (Babe)».
Paul McCartney, bloqué par des soucis de visa et de justice (il ne peut pas se rendre aux états-Unis aisément, en raison d’arrestations antérieures pour possession de drogue), propose donc une session spéciale à Londres. Le 16 avril 1973, Ringo et le producteur Richard Perry se rendent à Apple Studios (Savile Row), où ils retrouvent Paul et Linda. Paul offre une composition inédite, «Six O’Clock», sur laquelle il joue du piano et du synthétiseur. Linda ajoute des chœurs, tandis que Ringo assure le chant principal. Paul en profite aussi pour faire un clin d’œil humoristique sur la reprise de «You’re Sixteen» (reprise de Bob & Dick Sherman) où il imite un solo de kazoo avec sa voix, effet marquant et ludique.
CALENDRIER DES SESSIONS ET LIEUX D’ENREGISTREMENT
Le travail sur Ringo s’étale principalement du 5 mars au 30 avril 1973, avec une ultime phase de mixage et de surimpressions jusqu’en juillet de la même année. à Los Angeles, Ringo occupe Sunset Sound, Burbank Studios, The Sound Lab, et Producers’ Workshop. Pendant près d’un mois, il multiplie les prises et reçoit la visite de musiciens ou amis de passage. George Harrison, par exemple, se trouve déjà sur la côte ouest pour discuter affaires avec Capitol Records et tombe sur les sessions. John Lennon, lui, se déplace également à L.A. pour des raisons contractuelles, ce qui facilite sa présence ponctuelle sur «I’m The Greatest».
Une fois l’étape californienne franchie, Ringo rentre à Londres pour finaliser «Six O’Clock» avec McCartney. Il en profite pour enregistrer quelques touches additionnelles (comme la séquence de tap dancing sur «Step Lightly», effectuée le 16 avril). De retour à L.A., l’équipe de Perry se charge de fignoler les orchestrations, parfois dirigées par Tom Scott, Jim Horn ou Jack Nitzsche, et de finaliser le mixage. Le 24 juillet, le mix définitif est gravé.
LES CHANSONS, ENTRE POP éLéGANTE ET VARIéTé FESTIVE
Le contenu musical de Ringo propose un bel équilibre entre compositions originales, reprises et contributions externes. L’album commence avec «I’m The Greatest» (John Lennon), un titre énergique où la complicité Lennon-Harrison-Ringo saute aux oreilles. Suit «Have You Seen My Baby» de Randy Newman (initialement créditée «Hold On» par erreur), dynamique et ponctuée de la guitare de Marc Bolan. On enchaîne avec «Photograph», titre phare coécrit par Ringo et George Harrison, qui deviendra un single majeur et un hymne nostalgique.
Quatrième piste, «Sunshine Life For Me (Sail Away Raymond)» incarne la veine folk-country chère à Harrison, agrémentée de l’accordéon de Garth Hudson et du banjo de David Bromberg, créant une ambiance maritime et festive. La face A (version vinyle) se clôt sur la reprise de «You’re Sixteen», où Ringo livre une performance joyeuse et un solo vocal façon kazoo signé Paul McCartney, rendant la chanson mémorable.
La face B démarre avec «Oh My My» (Starkey, Poncia), pépite pop entraînante qui deviendra le troisième single aux états-Unis. Suit «Step Lightly», une ballade légère à la mélodie sautillante, sur laquelle Ringo place quelques pas de tap dance. La contribution de Paul et Linda McCartney s’illustre alors sur «Six O’Clock», morceau pop doux-amer, agrémenté de claviers. On découvre ensuite «Devil Woman», un rock plus incisif, avant de conclure avec «You And Me (Babe)», signée George Harrison et Mal Evans, qui ferme l’album dans une ambiance de camaraderie, Ringo remerciant, dans le texte, les musiciens et le public.
Cette tracklist présente une grande variété de rythmes et d’ambiances : on y trouve du rock léger, de la pop colorée, un brin de country-folk et même quelques accents R&B. Les textes, souvent simples et directs, mettent en valeur la personnalité accessible de Ringo. Les harmonies vocales, assurées par Harry Nilsson, Linda McCartney, Martha Reeves ou encore Merry Clayton, ajoutent de la richesse à l’ensemble.
PHOTOGRAPH : LE SINGLE PHARE ET SA RéCEPTION
Avant même la sortie de l’album, «Photograph» sort en single le 24 septembre 1973 aux états-Unis, accompagné sur la face B de «Down And Out». La chanson, véritable ode à la mélancolie d’une photo qui rappelle un amour perdu, séduit immédiatement le public. C’est un grand succès, atteignant la première place du Billboard Hot 100, offrant à Ringo un nouveau numéro un (après «It Don’t Come Easy» et «Back Off Boogaloo» qui, eux, étaient classés hauts, mais pas forcément numéro un). Le clip, tourné à Tittenhurst Park (ancienne demeure de John Lennon, désormais propriété de Ringo), est diffusé une seule fois sur la BBC. Malheureusement, la bande est perdue depuis, si bien que cette performance filmée demeure quasi introuvable.
En Europe, la sortie du single se fait plus tardivement, le 19 octobre, soit un mois après l’album au Royaume-Uni. Néanmoins, la chanson obtient un bel accueil international. Dans la foulée, Lennon envoie à Ringo un télégramme humoristique : «Congratulations. How dare you? And please write me a hit song.» Preuve de l’esprit de rivalité amicale et de l’admiration réciproque entre ex-Beatles.
SORTIE DE L’ALBUM ET SUCCèS COMMERCIAL
Ringo paraît officiellement le 2 novembre 1973 aux états-Unis, et le 23 novembre au Royaume-Uni (certains mentionnent le 9 novembre ou le 21 novembre comme date alternative). La critique salue l’album, le public est curieux : un ex-Beatle qui réunit Lennon, McCartney et Harrison sur un même disque ne peut qu’éveiller les convoitises. Rapidement, l’opus triomphe dans plusieurs pays. Il décroche la première place au Canada, en Espagne, en Suède. Aux états-Unis, il se hisse au numéro 2 du Billboard 200, barré de la première place par Goodbye Yellow Brick Road d’Elton John. En revanche, il atteint le sommet des classements Cashbox et Record World, signe d’une reconnaissance massive. Au Royaume-Uni, Ringo grimpe jusqu’à la 7e place, ce qui demeure une performance notable.
La presse anglo-saxonne, par la voix de Rolling Stone ou du New York Times, estime que c’est le premier album solo de Beatles qui respire la convivialité, la légèreté et l’exubérance, par opposition au militantisme de Lennon, à la spiritualité d’Harrison ou au style, parfois jugé «précieux», de McCartney. Loraine Alterman, du New York Times, parle d’un «instant knockout» ; Ben Gerson, de Rolling Stone, y voit certes une forme de «rambling and inconsistent», mais conclut que l’album est «airy and amiable».
Le succès des singles se poursuit avec «You’re Sixteen» (3 décembre 1973 aux états-Unis) et «Oh My My» (18 février 1974 aux états-Unis), qui deviennent des hits radiophoniques. Au Royaume-Uni, «You’re Sixteen» arrive le 8 février 1974, se plaçant aussi en bonne position. L’album se vend par millions, décroche un disque d’or au Royaume-Uni et devient platine aux états-Unis. C’est la consécration pour Ringo, qui n’avait pas encore connu un tel raz-de-marée commercial en tant qu’artiste solo.
LES DIFFéRENTES VERSIONS ET LE CAS DE «SIX O’CLOCK»
Sur la version vinyle d’origine, la chanson «Six O’Clock» dure 4 minutes et 6 secondes. Or, certaines cassettes ou 8-tracks de l’époque proposent une version plus longue (environ 5 minutes et 26 secondes), dont la fin inclut un segment supplémentaire avec Paul McCartney. Quelques rares exemplaires promotionnels vinyle intègrent aussi cette version longue, avant que la production ne revienne à la version standard. D’où la confusion sur les timings parfois indiqués en pochette (5:26) sans correspondre à la réalité de l’édition stock. Cette version longue ne figurera pas en bonus lors de la réédition du CD Ringo (1991), mais apparaîtra plutôt sur la réédition de Goodnight Vienna (1974) ultérieurement.
LA POCHETTE : UN DESSIN FOUILLU PAR TIM BRUCKNER
La pochette originelle de l’album attire immédiatement l’attention. Proposée sous forme de gatefold (pochette ouvrante) dans sa version vinyle, elle inclut un livret de 24 pages illustrées par Klaus Voormann, contenant paroles et dessins. Sur le recto, on découvre une peinture de Tim Bruckner représentant Ringo sur une scène, entouré d’une foule de personnages occupant un balcon. Le tout est rehaussé de la mention «Duit on mon dei», une déformation humoristique du slogan royal anglais «Dieu et mon droit». On sait que cette phrase, adoptée plus tard par Harry Nilsson pour son album Duit on Mon Dei (1975), amuse beaucoup le cercle d’amis de Ringo.
Dans le décor foisonnant du dessin, on repère divers proches de Ringo, collaborateurs du disque, figures du show-biz, et amis des Beatles (Peter Sellers, Terry Southern, Mal Evans, etc.). Tim Bruckner, l’artiste, a expliqué qu’il n’y avait pas de concept préalable, mais qu’il avait proposé plusieurs esquisses, et que Ringo avait retenu celle avec un balcon rempli de visages. Selon Bruckner, 26 portraits identifiables ornent le balcon, dont les quatre Beatles, Linda McCartney, Klaus Voormann, Robbie Robertson, etc. D’autres silhouettes sont purement fictives, ajoutées pour meubler la foule.
Au verso, on retrouve des illustrations, tandis qu’à l’intérieur du gatefold, on découvre un concept presque théâtral. Le package, sous la direction artistique de Barry Feinstein, propose une immersion dans l’univers festif de Ringo. De multiples rééditions (Music for Pleasure, etc.) altéreront ensuite l’œuvre d’origine, supprimant la mention Apple, réduisant le livret, voire changeant la qualité du pressage.
COUVERTURE SANS FIN : LE LIEN AVEC STA*RTLING MUSIC
En 1975, l’album Ringo connaît une curieuse suite. David Hentschel, musicien et ingénieur du son, propose une version instrumentale du disque, intitulée Startling Music*. Il s’agit d’un hommage aux orchestrations, diffusé sur le label Ring O’, créé par Ringo. Sorti le 18 avril 1975 au Royaume-Uni, Startling Music* reste une curiosité, n’ayant jamais rencontré un large écho commercial. Il faudra attendre 1979 pour qu’il paraisse aux états-Unis. Hentschel y reprend les compositions de Ringo en version instrumentale, y ajoutant parfois des claviers ou des synthétiseurs. L’initiative amuse les fans les plus passionnés, mais ne fait guère de bruit dans la presse généraliste.
LA CRéATION D’UN NOUVEAU STANDARD POUR RINGO
Avec Ringo, le batteur prouve qu’il peut monter un projet de grande envergure, s’entourer d’artistes majeurs, et produire un album de qualité, tout en assumant ses limites vocales. Au lieu de viser la performance technique, Ringo joue la carte de la sincérité, de l’amusement et de l’amitié. Les chansons sont simples, accrocheuses, souvent signées de plumes illustres (Lennon, McCartney, Harrison, Newman), ou coécrites par Ringo et son ami Vini Poncia. La mayonnaise prend à merveille, et le public se réjouit de voir qu’il y a encore une forme de complicité entre ex-Beatles. Certains journalistes, un brin moqueurs, qualifient Ringo de «plus gros fan des Beatles», dans la mesure où il parvient à faire venir ses anciens complices sur son propre disque, alors que les tensions entre Lennon, McCartney et Harrison ne sont pas encore totalement apaisées.
Deux singles majeurs, «Photograph» et «You’re Sixteen», se hissent au sommet des classements américains, confirmant l’attrait populaire du disque. De nombreux critiques, dans les mois suivants, soulignent que Ringo surpasse, sur le plan de l’accueil du public, la plupart des albums solos de Lennon, Harrison ou McCartney parus jusqu’alors, à l’exception de certains succès ponctuels. Il atteint la première place dans plusieurs pays, se classe deuxième aux états-Unis, septième au Royaume-Uni. Pour Ringo, c’est une véritable renaissance, lui qui n’avait pas connu de grand triomphe depuis la dissolution des Beatles.
LA CRITIQUE, ENTRE ACCLAMATION ET SCEPTICISME
La majorité des journalistes se montrent enthousiastes, louant la production léchée de Richard Perry, la convivialité qui se dégage des morceaux, et l’esprit festif d’ensemble. Certains pointent cependant un manque de profondeur : ils jugent que, au-delà de l’effet «ex-Beatles réunis», les chansons restent assez simples. Mais c’est précisément cette simplicité qui séduit beaucoup d’auditeurs. L’album s’adresse à un large public, les mélodies sont immédiatement mémorisables, et la voix de Ringo, bien que limitée, confère un côté «attachant» à l’œuvre.
Ben Gerson, du magazine Rolling Stone, parle d’un album «rambling» (désordonné) mais attachant et lumineux. D’autres critiques soulignent la production, jugée comme l’une des plus abouties de 1973, en phase avec un certain classicisme pop-rock (cuivres, chœurs, guitares électriques, pianos). John Lennon, quant à lui, glisse avec humour à propos du triomphe de «Photograph» : «Félicitations. How dare you?» Ce qui laisse entendre un mélange d’admiration et de plaisanterie, symbole de l’affection entre Ringo et Lennon.
LES RééDITIONS ET L’éVOLUTION DE LA SETLIST
Au fil des années, Ringo est réédité plusieurs fois. En 1980, EMI (Music For Pleasure) propose un pressage en pochette simple, dépourvu du superbe livret. Les mentions à Apple sont réduites, et l’on retire l’illustration en gatefold. En 1991, l’album revient en CD chez Parlophone (Royaume-Uni) et Capitol (états-Unis), agrémenté de trois bonus : «It Don’t Come Easy», «Early 1970» et «Down And Out» (la face B de «Photograph»). Cette réédition, qui sort en mars 1991 au Royaume-Uni et en mai 1991 aux états-Unis, modifie légèrement la fin de l’album, introduisant un crossfade entre «Devil Woman» et «You And Me (Babe)». En outre, la piste «Down And Out» se retrouve parfois intercalée en quatrième position, perturbant l’ordre initial. On peut regretter que la version longue de «Six O’Clock» ne soit pas ajoutée, restant cantonnée à la réédition de Goodnight Vienna en 1992.
Plus tard, Ringo figure parmi les albums réédités dans les coffrets célébrant la carrière solo de Ringo Starr, parfois remis en lumière lors d’événements ou de rassemblements de fans. Les amateurs de vinyle fouillent les bacs à la recherche d’une pochette gatefold intacte, avec le livret, tant celui-ci est emblématique de l’expérience originelle. Les historiens du rock y voient souvent un tournant, un instant rare où l’ancienne dynamique Beatles ressurgit de manière positive et sereine, avant que les relations ne se compliquent à nouveau.
L’APRES
RINGO
: UN MODèLE POUR LES DISQUES SUIVANTS
Le succès colossal de Ringo stimule l’ex-batteur pour les années à venir. Conforté dans l’idée qu’une approche collaborative attire le public, Ringo récidive dès 1974 avec Goodnight Vienna, qui reprendra une recette similaire : guests de renom, ambiance fun, production dynamique. Bien qu’il ne réitère pas l’exploit d’avoir John, Paul et George en même temps, il reçoit encore l’appui de Lennon, qui lui offre la chanson «(It’s All Da-Da-Down To) Goodnight Vienna». Dans sa carrière ultérieure, Ringo insiste souvent sur l’importance d’avoir un entourage musical complice pour insuffler de la joie et du rythme à ses disques.
à la fin des années 1970 et dans les années 1980, la popularité de Ringo décline, mais Ringo demeure sa référence, «l’album qu’il faut égaler». Les critiques ou livrets biographiques y reviennent régulièrement, pointant le pic créatif de Starr, impulsé par la dynamique post-Beatles. à plusieurs reprises, lors de ses concerts All-Starr Band (entamés en 1989), Ringo puise dans le répertoire de Ringo pour satisfaire les fans, interprétant régulièrement «Photograph», «You’re Sixteen» ou «I’m The Greatest».
L’IMPACT SUR L’HISTOIRE DES EX-BEATLES
Il convient de replacer Ringo dans le contexte de 1973 :
- John Lennon a sorti Mind Games à la même période, un disque moins engagé politiquement que Some Time in New York City.
- George Harrison a publié Living in the Material World quelques mois plus tôt, en mai 1973, confirmant son succès après All Things Must Pass.
- Paul McCartney, après Red Rose Speedway (1973) et une tournée, commence à préparer Band on the Run (paru en décembre 1973).
Chacun trace sa route, mais on sent encore une curiosité du public pour un éventuel rapprochement des Beatles. Ringo entretient le fantasme d’une reformation, car il parvient à mettre sur un même album des compositions signées Lennon, McCartney et Harrison, et même à les faire jouer ensemble en partie (cas de «I’m The Greatest»). Les journaux titrent sur la perspective d’un «come-back», ou évoquent la rumeur selon laquelle Klaus Voormann remplacerait McCartney si un groupe se reformait. Rien de tout cela n’arrivera, mais l’album sert de point d’ancrage, témoignant que les ex-Beatles ne sont pas en guerre totale, contrairement aux spéculations médiatiques.
UNE PIERRE ANGULAIRE DE LA CARRIèRE SOLO DE RINGO
Ringo est plus qu’un simple album pop-rock. Il symbolise la réussite d’un ex-Beatle qui, malgré des capacités vocales moindres que ses anciens collègues, parvient à cristalliser un enthousiasme collectif. Le disque est réalisé dans la bonne humeur, comme le confirment les nombreuses anecdotes : Ringo invitant John et George sur un même morceau, Paul faisant le pitre avec un pseudo-kazoo, Marc Bolan déposant sa guitare sur un titre de Randy Newman, etc. Pour Ringo, cette synergie rejaillit clairement dans le résultat final : un album chaleureux, éclectique, où chaque invité apporte sa touche personnelle tout en servant la personnalité simple et généreuse du maître des lieux.
Les chiffres ne mentent pas : numéro 2 aux états-Unis, numéro 1 sur certains autres classements, numéro 1 au Canada, numéro 7 au Royaume-Uni, un double single numéro 1 dans le Billboard Hot 100 («Photograph» et «You’re Sixteen»). C’est la consécration commerciale, et le plus grand succès d’album solo pour Ringo Starr, surpassant toutes ses autres productions en termes de ventes. Mieux, il reçoit des certifications or et platine, le hissant à la hauteur des meilleurs disques solo issus de l’éclatement des Beatles.
ANALYSE MUSICALE : UNE POP LIMPIDE ET EFFICACE
Sur le plan purement musical, Ringo alterne morceaux lents et entraînants, entremêle la guitare rock, le piano, les claviers vintage, des cuivres, le tout soutenu par la section rythmique de Ringo, parfois secondé par Jim Keltner. Les harmonies vocales sont souvent travaillées, grâce à Harry Nilsson, Linda McCartney, et d’autres choristes. Les arrangements de Tom Scott (saxophoniste réputé) et Jim Horn (pour certains cuivres) donnent du relief. L’énergie positive de l’album transparait dans la plupart des pistes :
– «I’m The Greatest» : un rock sarcastique où la voix de Ringo, portée par l’écriture ironique de Lennon, fait mouche.
– «Photograph» : ballade pop élégante, alliance parfaite entre mélancolie et refrain puissant.
– «Oh My My» : titre funk/rock dansant, agrémenté des claviers de Billy Preston, qui deviendra un single populaire.
– «You’re Sixteen» : relecture fraîche d’un standard de 1960, transformé en tube par l’humour et la participation de Paul.
Au final, on y retrouve l’esprit festif d’un White Album en miniature, mais avec une unité de production assurée par Richard Perry, qui maîtrise la direction artistique. Ringo est un disque qui s’écoute facilement, sans prétendre à une ambition philosophique ou politique. Il vise à divertir et à célébrer des retrouvailles amicales. Nombreux sont ceux qui, plus tard, affirmeront qu’il s’agit de l’album solo «le plus Beatlesque» réalisé par l’un des quatre, car il encapsule la joie et la simplicité de ces anciens complices.
BILAN ET POSTéRITé
Avec Ringo, Richard Starkey prouve qu’il peut sortir de l’ombre des Beatles en réactualisant, pour un temps, la magie de la collaboration. L’album, grâce à ses singles à succès et sa pléthore d’invités, demeure l’un des plus gros succès commerciaux de 1973-1974, confirmant la popularité de Starr sur la scène internationale. Loin d’être un exploit isolé, il assoit la réputation de Ringo comme un showman capable d’amener le public à taper du pied, sans prétendre rivaliser en songwriting avec Lennon ou McCartney. Ses limites vocales deviennent presque une force : elles renforcent la sympathie qu’il suscite, d’autant plus qu’il est parfaitement entouré.
Aujourd’hui, beaucoup considèrent Ringo comme un passage obligé pour quiconque veut comprendre la dynamique post-Beatles. Il illustre la capacité de ces musiciens à collaborer sporadiquement et à produire de la musique de haute tenue, malgré leurs différends historiques. Les historiens soulignent que l’album a soufflé sur les braises de la rumeur d’une reformation (certains journaux titraient «The Beatles are back?»), alors même qu’un retour complet n’était pas à l’ordre du jour. Sur le plan purement artistique, Ringo a donné naissance à deux n°1 aux états-Unis, un fait rare pour un ex-Beatle (en dehors de Paul, qui en a obtenu plusieurs avec Wings).
LA COUVERTURE ET SES MYSTèRES
Le dessin chatoyant de Tim Bruckner sur la couverture donne lieu à d’innombrables spéculations. On y voit Ringo sur scène, un balcon rempli de figures diverses, certaines identifiées (Mal Evans, Marc Bolan, Peter Sellers, Robbie Robertson, John Lennon, Linda McCartney, Paul McCartney, George Harrison, Harry Nilsson, etc.), d’autres étant de simples inventions ou des personnes moins connues (amis, financiers, etc.). Le slogan «Duit on mon dei» s’affiche en haut, clin d’œil transformé de la devise royale «Dieu et mon droit». Bruckner affirme qu’il n’y avait pas de concept initial, mais qu’il a présenté plusieurs ébauches, et c’est Ringo qui a choisi l’idée d’un théâtre bondé.
Le travail graphique intérieur – le livret de 24 pages – est confié à Klaus Voormann pour les illustrations et à Barry Feinstein pour la photographie et la direction artistique. On note qu’à l’intérieur, on trouve des allusions à l’univers Beatles, comme des clins d’œil au passé, sans pour autant rendre la pochette trop Beatlesque. C’est un mélange de fantaisie, de private jokes et de références au microcosme de Ringo, devenu ici le héros d’une saynète grandiose.
UNE EMPRISE DANS LES CLASSEMENTS ET LE TéMOIGNAGE D’UNE éPOQUE
Au-delà de son succès immédiat, Ringo cristallise l’état d’esprit du début des années 1970, quand les ex-Beatles cherchent leur voie. Harrison a posé un jalon avec All Things Must Pass et le Concert for Bangladesh, Lennon explore la vie new-yorkaise et l’activisme politique, McCartney affûte Wings pour conquérir les stades. Ringo, plus discret jusque-là, surgit avec un album à la fois léger et incontournable, où chacun semble y prendre du plaisir. Il atteint la deuxième place du Billboard 200, la septième place au Royaume-Uni, domine les charts canadiens, suédois, espagnols. L’album est certifié platine dès 1973 aux états-Unis. Il s’en vend des millions d’exemplaires dans le monde. Deux singles deviennent n°1 dans le Billboard Hot 100 : «Photograph» et «You’re Sixteen». Un troisième, «Oh My My», grimpe également dans le top 10. On estime qu’au total, Ringo a permis à Richard Starkey d’entrer de plain-pied dans le cercle restreint des ex-Beatles capables de dominer les classements, à l’instar de Paul et George.
Les télégrammes et messages d’encouragement fusent entre les ex-camarades. Les fans de l’époque se ravissent qu’à travers un projet de Ringo, on retrouve un petit bout de la camaraderie Beatles. Il est vrai qu’il n’existe, dans l’histoire post-Beatles, qu’un autre album rassemblant les quatre : Vertical Man (1998) n’y parvient pas vraiment, ni George Harrison (1979), ni Tug of War (1982) de McCartney. En réalité, Ringo demeure le seul album où John, Paul et George apparaissent tous, même si ce n’est pas sur une même piste.
CONCLUSION : UN ALBUM ICONIQUE ET JOVIAL
En définitive, Ringo (1973) est un disque qui illustre à merveille l’aptitude de Ringo Starr à réunir autour de lui une constellation d’amis musiciens. Sa force réside dans la simplicité de ses mélodies, l’efficacité de ses arrangements pop-rock, et la participation symbolique (sinon déterminante) de Lennon, McCartney et Harrison. Porté par le single «Photograph», l’album s’impose rapidement comme un triomphe commercial et critique, gravant dans le marbre l’idée qu’un ex-Beatle peut accomplir de beaux scores au sommet des charts sans être un compositeur né.
D’un point de vue artistique, Ringo s’avère une parfaite synthèse de ce que le public recherche alors : la réminiscence de la magie Beatles, la convivialité d’une session partagée, la pop accrocheuse et de légers élans rock, le tout exécuté par un batteur-chanteur charismatique et attachant. Les décennies qui suivront continueront de célébrer cet album comme le plus grand moment de gloire solo de Ringo Starr, un moment où l’alchimie des rencontres et des collaborations a permis de dépasser les clivages pour produire un disque heureux, intemporel, et toujours apprécié. Malgré la brièveté relative de son œuvre, Ringo a su, avec ce troisième album, imprimer sa marque dans la galaxie post-Beatles, prouvant que lui aussi savait tirer parti de l’héritage et de l’amitié qui unissaient encore, d’une certaine manière, les quatre garçons dans le vent.