Dans Jouer le jeu, Fatima Daas explore les zones grises de l’adolescence : l’école comme lieu de domestication, le corps comme champ de violence, l’amour comme trahison. Un roman d’une justesse rare, qui dit la solitude, la rage et la tendresse de celles et ceux qui grandissent à la marge.
Le corps, champ de violence
Kayden refuse la brassière, cache ses seins qui arrivent, ses règles comme une blessure. Elle veut fuir la fin de l’enfance, échapper à l’identité féminine imposée. Elle cherche à respirer dans une zone floue, hors des cases. Mais à l’école, tout est classement, définition, binarisme. Et c’est toujours l’autre, celui qui détient le pouvoir, qui fixe les frontières du « normal ».
La professeure de littérature incarne l’ambiguïté du pouvoir pédagogique : vouloir sauver tout en dominant. Lorsqu’elle choisit Kayden pour une sortie au théâtre, le mot « injuste » de Taoufik vient rappeler combien même la reconnaissance peut être un piège. Kayden aime sa prof. C’est clair, magnifique, désespéré. Mais c’est une tragédie. L’adulte voit et sait, mais laisse faire. Non par innocence, mais par peur et par désir d’être aimée. Ce n’est pas une histoire d’amour impossible : c’est une histoire de pouvoir, et une trahison
Racisme ordinaire et résistances
Le roman dévoile aussi la salle des profs, miroir d’un racisme systémique ordinaire. Une professeure pleure parce qu’elle se sent agressée, mais c’est Djenna qu’on accuse de sauvagerie. Les Noirs et les Arabes sont toujours « trop » trop bruyants, trop visibles, trop insolents, parce qu’ils ne sont jamais « assez » pour être aimés. Et quand ils parlent, ils sont menacés. Djenna ose questionner « vacances de Noël » ou la peur qu’inspire sa voix. Elle sait que la laïcité, dévoyée, est devenue une arme de sélection. Mais face à cela, le roman montre aussi la solidarité. Kayden et Djenna se parlent. Samy s’efface, mais reste là. M. Oussani, le surveillant, refuse d’être un mouchard. Il devient repère, témoin, allié. Son « non » au fichage et au tri est peut-être la plus belle victoire du livre.
Une lettre pour survivre
La fin du roman est une lettre. Une lettre d’amour et de guerre. Une lettre pour survivre. Kayden dit tout. Et elle le dit bien.A nous de bien entendre !
Noor Ziane
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