970_ boualem sansal est libre

Publié le 12 novembre 2025 par Ahmed Hanifi
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Ce beau texte de Muh Muhubi. 12 novembre 2025

𝐐𝐮𝐚𝐧𝐝 𝐥𝐚 𝐥𝐢𝐭𝐭𝐞́𝐫𝐚𝐭𝐮𝐫𝐞 𝐬’𝐢𝐧𝐯𝐢𝐭𝐞 𝐚̀ 𝐥𝐚 𝐠𝐞́𝐨𝐩𝐨𝐥𝐢𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞Il arrive qu’un pays, en voulant défendre son image, en abîme l’esprit. La grâce accordée à Boualem Sansal sur demande allemande aurait pu être un geste apaisé, une manifestation souveraine d’intelligence politique. Elle restera pourtant entachée par l’erreur première : celle d’avoir cru qu’on pouvait enfermer une idée entre quatre murs. Car les idées, qu’elles soient justes ou fausses, ne connaissent ni cadenas ni geôliers ; elles traversent les frontières et finissent toujours par s’asseoir, tôt ou tard, à la table du monde.Boualem Sansal n’est pas un saint, et encore moins un stratège du bien commun. Ses déclarations selon lesquelles “l’ouest algérien appartiendrait au Maroc” relèvent moins de l’analyse que de la provocation. Il a blessé la mémoire collective, et les blessures symboliques comptent dans une nation façonnée par la guerre et la dignité. Mais la réponse de l’État — la prison — fut une erreur de hauteur, non de raison. Ce n’est pas la justice qui fut maladroite, mais la méthode. Car emprisonner un écrivain, c’est transformer sa parole en drapeau ; c’est donner aux idées les plus discutables le prestige de la dissidence. L’Algérie n’avait pas besoin de cet épisode pour affirmer sa souveraineté ; elle avait besoin d’y opposer la force tranquille du débat.Un État fort n’a pas peur des mots : il les affronte, les démonte, les met à nu devant la lumière de la raison. C’est dans l’échange, non dans le silence imposé, que la vérité se fortifie. L’erreur de l’Algérie officielle n’est pas d’avoir voulu défendre son unité, mais d’avoir cru qu’on la préserve en fermant les espaces de parole. Ce réflexe, hérité d’un autre âge, trahit une méfiance envers la maturité de son propre peuple — comme si les Algériens n’étaient pas capables de distinguer l’ivraie du bon grain, la provocation de la pensée. Or, ils le savent mieux que quiconque.Il faut le dire avec franchise : chaque fois qu’un écrivain, qu’il s’appelle Sansal, Daoud ou un autre, se voit condamné pour ses mots, c’est un peu de la respiration collective qu’on suspend. On croit protéger l’État, on l’étouffe. On croit neutraliser le poison, on le distille dans la rumeur mondiale. La censure, partout et toujours, agit comme une publicité gratuite pour ce qu’elle prétend combattre. L’Algérie n’a rien à gagner à emprisonner ses plumes ; elle a tout à gagner à les confronter.L’histoire des grandes nations prouve qu’on triomphe des idées non par la répression, mais par la conversation. Ce n’est pas en fermant les clubs littéraires, les cafés intellectuels ou les journaux qu’on protège la cohésion nationale — c’est en y ouvrant des tribunes. La vitalité d’une nation se mesure à la diversité de ses voix, pas à leur conformité. Et lorsqu’un écrivain franchit la ligne, qu’il blesse ou provoque, la meilleure riposte n’est pas la cellule, mais la parole : un contre-argument, un débat public, une mise au clair.L’Algérie est assez ancienne, assez fière et assez instruite pour accueillir la contradiction sans trembler. Le pays qui a produit Kateb Yacine, Mammeri, Dib et tant d’autres esprits rebelles ne saurait craindre un roman, une phrase, ou même un blasphème littéraire. C’est dans la controverse que se construit la cohésion moderne — non dans le silence ordonné. Si nous voulons que la jeunesse algérienne aime ses écrivains, il faut qu’elle puisse les entendre, les contredire, les lire — pas les craindre.La littérature n’est pas une arme contre l’État ; elle est une boussole, parfois déréglée, mais nécessaire. Quand elle s’invite à la géopolitique, elle met à nu les fragilités narratives des nations : celles qui doutent de leur récit ont tendance à bâillonner les conteurs. Celles qui ont confiance en leur peuple les laissent parler. L’Algérie, si elle veut demeurer grande, doit choisir la seconde voie.Oui, Sansal a franchi des lignes. Oui, Daoud et d’autres ont parfois glissé dans le mépris. Mais une République sûre d’elle ne craint pas la parole excessive. Elle y répond avec intelligence, non par réflexe punitif. L’Algérie n’a pas besoin de prisonniers d’opinion pour être respectée ; elle a besoin d’une agora vivante, d’une presse qui ose, de cafés littéraires où l’on discute avec passion, d’universités où l’on contredit sans trembler. C’est ainsi qu’un peuple se fortifie — par la confiance dans la raison de ses citoyens.Le vrai patriotisme n’est pas celui qui brandit la censure pour protéger la patrie, mais celui qui fait confiance à la maturité de ses enfants. Car une nation n’est jamais menacée par la parole de ses écrivains ; elle l’est seulement quand elle renonce à les écouter. En enfermant un romancier, on enferme un miroir. Et un peuple qui ne veut plus se regarder finit toujours par se perdre.La grandeur de l’Algérie ne réside pas dans ses interdits, mais dans sa capacité à affronter le tumulte du monde sans perdre sa voix. L’État qui saura cela n’aura plus besoin de grâce, car il n’aura plus rien à pardonner — seulement à comprendre, à débattre, et à laisser les idées, comme l’air, circuler librement dans la maison commune.Muḥ Muhubi__________________On ne peut pas dire qu'on est sortis de l'auberge: Lisez:

Je viens de l'apprendre...

N'oubliez pas ces mots que j'ai écrits durant tout le temps du Salon du livre d'Alger28 octobre au 8 novembre 2025. C'est ici:
https://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/2025/10/968.html

La littérature est-elle un outil de contrôle ? Peut-on indéfiniment récrire l’Histoire afin qu’elle corresponde à nos désirs, à ceux du Grand frère ?
Mais alors comment bâillonner la poésie, la libre poésie et les émotions qu’elle véhicule ? Comment défaire le faire (poiein) ? comment défaire « ce monde enfermé dans un homme ». Même s’il est enfermé, agenouillé, bâillonné lui, le poète. Toujours libre.
Lisez l’horreur...
Allez, GO ! 

Mardi 20251028