Jean-Louis Trudel, en 2018
Quand j'ai appris la nouvelle du décès de Jean-Louis, mardi dernier, j'ai refusé d'y croire. Impossible. Pas Jean-Louis, voyons! J'échangeais encore avec lui sur les réseaux sociaux quelques jours plus tôt. On avait longuement discuté lors du dernier Congrès Boréal, en septembre dernier! Je suivais la relation qu'il faisait quasi quotidiennement sur son séjour en résidence littéraire à Vilnius.Et il avait mon âge! En fait, il était même un an plus jeune que moi, et je ne lui connaissais aucun problème de santé majeur!
Le choc, la tristesse, les pleurs, je tentais de m'accrocher à quelque chose, une erreur d'identification, son silence du à des problèmes internet en Lituanie, quelque chose allait venir expliquer que toute l'affaire relevait d'un malentendu...
Mais non. La confirmation de la nouvelle m'a jeté à terre. Jean-Louis, ce pilier du milieu, qui y était déjà bien présent lors de mon arrivée comme jeune auteur débutant, Jean-Louis était parti.
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J'avais déjà lu Jean-Louis, bien sûr, puisqu'il avait commencé à publier bien avant moi, et son nom revenait souvent lors de ma découverte des revues et fanzines de SFFQ de l'époque; Temps Tôt, CSF, Solaris, il y apparaissait déjà régulièrement au sommaire. Au fil des ans, plus je le lisais et le côtoyais, plus j'avais de l'admiration pour lui.
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La première fois où j'ai partagé le sommaire avec lui, c'était en novembre 1991 (merci à l'ami et éditeur Christian Martin qui a retrouvé le numéro pour moi), dans Temps Tôt #15 (vol 3, no.3). Puis, en 1992, nous avons à nouveau partagé un sommaire, en professionnel cette fois, dans Solaris 102. Ma nouvelle avait été classée en second position du Prix Solaris, et grâce à la patience et au talent de directeur littéraire de Joël Champetier, j'étais parvenu à une version «publiable». Jean-Louis avait remporté le Prix Solaris cette année-là (pour sa nouvelle «Les instincteurs de cruauté») et nos deux textes avaient été publiés dans le numéro 102 de Solaris.
Si j'ai souvent partagé le sommaire avec Jean-Louis, c'est que la majorité de mes nouvelles littéraires professionnelles des 25 dernières années ont été publiées dans les pages de Solaris, et que Jean-Louis est l'auteur qui y a publié le plus de fictions de toute l'histoire de la revue. J'étais déjà convaincu de cette statistique mais je suis allé valider mon impression dans l'index de la revue, et j'ai non seulement eu confirmation de ce fait, mais en plus, j'ai calculé qu'il avait publié à peu près le double de la moyenne des auteurs les plus publiés de Solaris. Compte tenu du fait que vu son jeune âge, il n'a commencé à publier dans les pages de Solaris qu'au numéro 71 de la revue, c'est un accomplissement impressionnant.
Notre dernière apparition commune au sommaire d'une publication était dans Solaris 217, à l'hiver 2021. Trente ans après notre première.
Trente ans de confrèrerie.
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À partir de 2005, je suis devenu un lecteur assidu de son blogue, «Culture des futurs». Comme moi ici, il explorait divers aspects de sa vie dans ce "Journal de bord littéraire, politique et philosophique" en ligne. La cadence avait diminuée il y a quelques années - comme tous les blogues après l'arrivée des réseaux sociaux où se sont retrouvés les lecteurs et les échanges - mais il continuait d'y publier à l'occasion, et moi, de l'y lire.
Je ne compte plus les échanges que nous avons eu en privé ou en public sur les réseaux sociaux, où il n'hésitait pas à intervenir avec de longues publications (heureusement, il était capable d'écrire à une bonne vitesse!), éclairant de son savoir toujours bien documenté, tel ou tel enjeu. Dans une soupe internet souvent pleine d'à peu près et de commentaires flous ou mal informés, les publications et réponses de Jean-Louis étaient un baume, un phare, ancrées dans la science et supportée par des faits. Et comme Jean-Louis avait beaucoup voyagé et voyageait encore, et qu'il était un grand amateur de marche à pied, d'histoire et de généalogie, nous avions beaucoup d'autres intérêts communs à part la SF! Le lire redonnait toujours confiance en l'humanité; on aurait voulu cent Jean-Louis au lieu d'un.
(Les lecteurs de ce blogue auront d'ailleurs peut-être reconnu son nom, car je le citais assez souvent, soit d'une conversation, soit d'un extrait de Culture des futurs, ou lorsque je parlais de ses publications).
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Le départ soudain de Jean-Louis n'est pas la simple disparition d'un auteur. Son implication, son intelligence encyclopédique, sa maitrise des sciences, son amitié loyale et sincère, tout ça représente une immense perte, pour les littératures de genre, pour les littératures tout court, et pour tous ceux et celles qui l'ont connu et apprécié.
Il nous laisse tous avec un très grand vide, un vide qu'il nous sera impossible de combler., tant il était unique en son genre.
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Jean-Louis, tu vas beaucoup me manquer. Nos échanges, nos conversations vont me manquer. Aucun Boréal à venir ne sera plus pareil sans toi mon ami.
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Note: Je n'ai pas accès à toutes mes archives photos, d'où l'illustration de ce billet par les couvertures de revues. Solaris 102, illustration de Sv Bell. Temps Tôt #15, illustration de Pierre D. Lacroix. Solaris 217, illustration de Émilie Léger.