Meat City : La naissance d’un chaos sonore dans l’univers de John Lennon

Publié le 19 novembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

En 1973, John Lennon continue de tracer sa route en solo, loin des éclats de sa carrière avec les Beatles. Après la fin du groupe, il se livre à une exploration musicale intime, parfois solitaire, parfois partagée avec Yoko Ono. L’album Mind Games, publié le 16 novembre 1973, marque un tournant dans sa carrière. Parmi les titres les plus mémorables de cet opus, « Meat City » se distingue, non seulement par sa place en tant que morceau de clôture, mais aussi par son approche sonore révolutionnaire. Ce titre est une explosion brute, une cacophonie en parfaite harmonie avec l’esprit d’une époque où le bruit et la rébellion se mêlent pour refléter les tensions sociales et personnelles du moment.

Sommaire

« Meat City » : l’aboutissement d’une évolution sonore

Le processus de création de « Meat City » commence bien avant son enregistrement officiel. Dès son arrivée à New York en 1971, Lennon est en quête de nouvelles sonorités. C’est alors qu’il enregistre plusieurs démos, dont « Shoeshine », un morceau énergique inspiré des années 1950 et du rock’n’roll, mais surtout un tremplin vers ce qui deviendra « Meat City ». Avec des paroles comme « Just got to give me some rock ‘n’ roll/Well the people were dancing like they were mad », Lennon capte l’essence même de la rébellion qui caractérisera la chanson quelques années plus tard.

En 1973, lors d’une période où Lennon expérimente intensivement avec son son, « Meat City » prend forme sous la forme d’une démo enregistrée à domicile. Ce premier enregistrement est un boogie blues, où Lennon joue de la guitare électrique, cherchant à capturer l’essence de ce qui l’inspire à New York : un mélange de chaos, de liberté et de bruit. L’intensité du riff initial, qui se retrouvera plus tard dans « Steel and Glass », illustre cette quête sonore que Lennon poursuit.

Une virée dans le chaos sonore

Ce qui distingue « Meat City » des autres morceaux de l’album Mind Games, c’est son absence d’angst introspective et sa charge brute. Alors que l’album regorge de moments plus introspectifs, de ballades douces et de réflexions personnelles (« Mind Games », « Out of the Blue »), « Meat City » arrive comme une explosion sonore, une bouffée d’air frais, et un retour aux racines du rock brut. La chanson incarne l’énergie impétueuse de la ville de New York, une ville qui, pour Lennon, est à la fois déroutante et attirante. Le titre agit comme un miroir de cette ville effervescente : un bruit de fond incessant, une énergie incontrôlable qui, dans l’esprit de Lennon, symbolise l’âme de cette époque.

L’enregistrement de « Meat City » ne se fait pas sans difficultés. Le morceau est capturé après 18 prises au Record Plant studio de New York, les premières versions étant largement expérimentales, avec une instrumentation en constante évolution. La version finale est un véritable patchwork sonore, où la guitare électrique s’entrelace avec un piano désinhibé, un saxophone énergique, et des percussions explosant dans un chaos organisé. Ce morceau est un exemple parfait de l’aptitude de Lennon à manipuler les sons, les bruits et les instruments pour créer une ambiance unique, parfois proche de l’industriel, parfois proche du punk qui n’a pas encore vu le jour.

Une expérience en studio : de la prise brute à l’édition complexe

La production de « Meat City » est un processus méticuleux, fait de couches superposées de sons. Dès le 3 août 1973, Lennon commence à travailler sur le morceau, entouré d’une équipe de musiciens qui contribuent à la richesse de l’arrangement. Lennon y interprète la voix et la guitare électrique, tandis que David Spinozza, guitariste reconnu, ajoute des éléments de guitare lead. Le saxophone de Michael Brecker, le piano de Ken Ascher, et la section rythmique formée de Jim Keltner et Rick Marotta (respectivement aux drums) complètent le tableau sonore, créant une texture musicale dense, parsemée de bruitages et de soli instrumentaux.

Le processus d’enregistrement est découpé en plusieurs phases, avec l’utilisation de quatre bandes distinctes. Le premier enregistrement ne contient qu’une seule prise incomplète, suivi de plusieurs autres prises enregistrées et réenregistrées jusqu’à la perfection. Le montage final de « Meat City » est une fusion complexe, où chaque instrument trouve sa place dans un océan sonore. Des overdubs sont ajoutés, comme des parties vocales supplémentaires, des harmonies vocales, des tambourins et une deuxième guitare électrique, contribuant à l’élargissement du spectre sonore.

Les retouches finales ont lieu au cours du mois de septembre 1973, où des ajustements sont faits sur les 24 et 31 août, puis le 7 et 9 septembre. L’influence de Lennon sur la production est indéniable. Il guide chaque étape de la création, manipulant la console de mixage avec l’intention de capter l’énergie pure du morceau, au point où chaque élément semble destiné à ne faire qu’un, créant une expérience sonore intense.

Une chanson subversive

Lorsque « Meat City » est publié en tant que chanson de clôture de Mind Games, elle représente une sorte de catharsis musicale. Par son son abrasif, elle contraste fortement avec la nature plus douce et plus réfléchie du reste de l’album. Cependant, au-delà de son aspect sonore, elle contient également un message subversif et provocateur, comme en témoigne l’édition en single, qui inclut un message inversé. En écoutant le disque à l’envers, les auditeurs entendent une voix aiguë qui dit : « F**k a pig ». Cette provocation n’est pas anodine, elle se situe dans la lignée de l’attitude anti-establishment de Lennon, qui cherche à choquer et à bousculer les codes de la société en offrant un son brut et sans compromis.

Il est intéressant de noter que « Meat City » n’est pas un morceau qui cherche à apporter des réponses ou à offrir une introspection particulière. Au contraire, c’est un morceau de révolte, une illustration de la colère et de la frustration qui s’emparent de Lennon face à un monde qu’il perçoit comme déconnecté de la vérité brute et de la réalité. Dans un certain sens, « Meat City » n’est pas qu’un simple morceau de musique, mais une sorte de cri primal, un retour aux fondamentaux du rock.

Un héritage sonore et symbolique

Bien qu’il ne soit pas l’un des morceaux les plus connus de l’album Mind Games, « Meat City » reste un morceau emblématique de l’ère post-Beatles de Lennon. Il témoigne de la volonté du musicien de s’affranchir des attentes et des conventions du passé, et de se lancer dans une quête sonore personnelle. Loin de l’image du génie mélodique des Beatles, Lennon se réinvente ici dans une posture plus brute, presque sauvage, qui se distancie de la poésie soignée des morceaux de la Beatlemania.

Mind Games dans son ensemble montre un Lennon en pleine exploration de nouvelles formes musicales, mais c’est « Meat City » qui capte l’essence de ce travail de déconstruction, en offrant aux auditeurs une musique qui est à la fois un reflet de la ville de New York, un miroir de la propre révolte intérieure de Lennon, et une tentative de rendre le son aussi chaotique et désordonné que les événements politiques et sociaux de l’époque.

Ainsi, « Meat City » n’est pas simplement un morceau musical, mais une déclaration. Une déclaration de liberté, de rébellion, et surtout, de la possibilité pour Lennon de se réinventer encore et toujours, au gré de ses inspirations, de ses influences et de ses luttes personnelles. C’est une invitation à explorer le chaos créatif d’un homme qui, malgré ses contradictions et ses luttes, reste l’un des plus grands artistes de son époque.