Chronique du monde selon John Irving

Publié le 08 septembre 2008 par Sammy Fisher Jr
J'ai fait la connaissance de Garp l'été dernier, et j'ai tout su sur sa vie en quelques semaines. Garp comment ? Garp tout court. S.T. Garp si vous y tenez, mais ces initiales recouvrent une histoire trop longue pour qu'elle soit contée ici.(1) Garp, c'est un prénom, un nom, parfois une onomatopée ; presque un slogan. Une marque de fabrique en somme. Le monde selon Garp est un roman loufoque et rocambolesque, romanesque au plus ébouriffant sens du terme. C'est un peu long à vrai dire, mais on ne s'ennuie pas une seconde, tant est grande l'envie de découvrir ce qu'il va se passer dans les pages suivantes.
"Un romancier est un médecin qui ne s'occupe que des incurables."
Les personnages ont un petit quelque chose d'irréel, ils sont en quelque sorte plus grands que nature, sans tomber pour autant dans la caricature ; ils sont attachants, humains. Incurablement humains. Ils s'en prennent tellement dans la figure que l'on ne peut que continuer à les regarder vivre, pour savoir comment ils vont se dépêtrer avec leur destin. On pourrait même finir par s'identifier à eux, quand bien même leurs vies ne sont pas des exemples de conformisme : un écrivain médiocre que seule la mort rendra célèbre, un ex-pilier de football américain devenue une femme, et une égérie de la cause féminine devenue telle uniquement par malentendu...

Au-delà de Garp, sa conception extraordinaire(2), sa vie, son oeuvre, ce roman donne encore autre chose à lire, en filigrane. Publié en 1978, c'est aussi un roman sur les femmes, ce sont elles qui mènent cette histoire, ce pauvre Garp étant finalement assez passif dans tout ce qui lui arrive ; l'auteur met en avant un personnage emblématique (la mère de Garp, à laquelle est consacré tout le début du roman), ainsi qu'une inquiétude réelle vis à vis du viol, des violences faites aux femmes, de leur place dans la société, jusqu'à évoquer ceux qui choisissent de devenir une femme. Parallèlement, c'est une satire visant une certaine forme de féminisme. Irving invente un mouvement extrêmiste dont les membres se coupent la langue, à travers lequel il se plait à caricaturer certains excès. Garp se fera assassiner par une de ces fanatiques, tandis que sa mère sera tuée par la caricature du pire macho qui soit. Bref, Irving n'oublie personne et tape sur tout le monde, équitablement.
Mais dans le monde selon Garp, les écrivains sont aussi des pères. Irvong est un père qui écrit, Garp est un écrivain angoissé qui imagine les pires drames, se relève la nuit pour vérifier que ses enfants respirent encore et qui sera, ironiquement, le responsable indirect de la mort de l'un de ses fils dans un accident tragi-comique assez caractéristique du roman. Cette dimension de l'œuvre, la peur des parents envers ce qui pourrait arriver à leurs enfants, n'apparait que quelques temps après avoir reposé le livre, un peu comme une idée enfouie qui remonterait à la surface de ce roman-fleuve.
Dans le monde selon Garp, nous sommes tous des incurables. Incurablement humains.
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(1) S.T. comme "Sergent Tirailleur". Le héros s'appelle donc Sergent Tirailleur Garp. Vous voilà bien avancés, vous allez être obligés de lire le livre pour comprendre !
(2) Là, franchement, si vous n'avez pas envie d'en savoir plus...