Le film documentaire Let It Be, sorti en 1970, capte les derniers moments créatifs des Beatles, alors que le groupe se déchire en plein enregistrement. Initialement conçu comme un concert télévisé, il devient un témoignage brut de leurs tensions internes et de leur dernier concert sur le toit d’Apple Corps. Malgré des critiques partagées à sa sortie, il reste un document précieux sur la fin du groupe, et sa version restaurée en 4K en 2024 permet de mieux comprendre la dynamique interne du groupe.
Au tournant des années 1970, alors que la carrière des Beatles touche à son crépuscule, un film-documentaire vient capter les ultimes éclats de créativité du quatuor britannique. Sorti en 1970, Let It Be se veut le témoignage, presque brut, de séances d’enregistrement qui ont mené à l’album du même nom. Conçu initialement comme un projet de concert télévisé, ce film bascule, au fil de tensions internes et de décisions de dernière minute, vers une chronique du groupe en plein questionnement. Réalisé par Michael Lindsay-Hogg, Let It Be s’impose comme l’un des documents les plus directs sur les Beatles, offrant un regard rare sur leur dynamique de groupe dans les mois précédant leur séparation.
Sommaire
- Genèse d’un projet d’abord conçu pour la scène
- Tensions à Twickenham : les premières séances de répétition
- Changement de décor : sessions à Apple et arrivée de Billy Preston
- L’apothéose sur le toit : dernier concert des Beatles
- Montage, divergence d’opinions et retouches finales
- Sortie en salles, accueil mitigé et Oscar de la meilleure partition
- Disparition du marché vidéo et polémiques autour de la ressortie
- Regards rétrospectifs sur un film-cauchemar ou un témoignage sincère
- La place de Let It Be dans la filmographie des Beatles
- Un testament filmé, désormais restauré
Genèse d’un projet d’abord conçu pour la scène
Après avoir signé l’album The Beatles (également appelé « White Album ») fin 1968, Paul McCartney, sentant que l’ambiance est devenue chaotique en studio, propose une idée : revenir aux sources du groupe. L’objectif est simple : concevoir un nouvel album enregistré en conditions proches du live, sans overdubs ni artifices de studio, et le dévoiler lors d’un grand concert retransmis à la télévision. Cette démarche de retour à la spontanéité doit, selon McCartney, relancer une cohésion artistique malmenée par les sessions tendues de The Beatles.
John Lennon approuve dans un premier temps ce plan, trouvant alléchant le concept d’un spectacle accompagné d’un documentaire. George Harrison, lui, vient de passer quelque temps à l’étranger et paraît moins convaincu, même s’il concède qu’un nouvel élan serait bénéfique. L’idée fait son chemin : on prévoit d’abord un grand concert dans un lieu insolite. Plusieurs emplacements sont envisagés : un amphithéâtre en Libye, un bateau de croisière, voire un moulin à l’abandon. Les avis divergent, rien ne fait l’unanimité.
Néanmoins, le temps presse, car Ringo Starr s’est engagé à tourner dans le film The Magic Christian, ce qui limite la fenêtre disponible. Denis O’Dell, responsable de la branche cinématographique d’Apple, suggère alors de filmer les répétitions au jour le jour, en 16 mm, en vue de les compiler dans un documentaire pour la télévision. Plus tard, si un concert a lieu, ce matériel pourra servir. Les Beatles valident l’idée. Michael Lindsay-Hogg, qui avait déjà tourné des clips promotionnels pour « Paperback Writer », « Rain », « Hey Jude » et « Revolution », devient le réalisateur attitré.
Tensions à Twickenham : les premières séances de répétition
Dès le 2 janvier 1969, l’équipe se retrouve à Twickenham Film Studios, à Londres, un vaste plateau de tournage plus adapté au cinéma qu’à la convivialité musicale. L’idée : filmer, chaque jour, tous les moments-clés des répétitions. Les instructions pour l’équipe technique sont claires : enregistrer en continu du matin au soir, saisir la moindre note jouée, la moindre conversation.
Très vite, l’ambiance s’avère pesante. Twickenham est froid, inhospitalier, et les Beatles ne sont pas habitués à travailler tôt le matin. Les tensions déjà latentes rejaillissent, en particulier entre McCartney, qui tente d’orienter le travail, et Harrison, qui tolère mal qu’on lui dicte ses parties de guitare. Yoko Ono, constamment aux côtés de Lennon, attire aussi les regards et les critiques, même si le film ne se focalise pas explicitement sur elle.
Une scène, qui restera fameuse, montre McCartney essayant d’expliquer à Harrison la façon de jouer la guitare sur « Two of Us ». Harrison, irrité, rétorque qu’il est prêt à ne pas jouer si c’est ce que McCartney souhaite, tant il se sent infantilisé. Les caméras, placées de manière peu envahissante, enregistrent ce moment de malaise, témoignant des conflits internes qui minent le groupe.
Le 10 janvier 1969, la situation empire. Harrison claque la porte : il quitte les Beatles, provisoirement. Les caméras tournent encore, mais l’épisode ne figure pas dans le montage final. Lennon, exaspéré, laisse entendre qu’ils pourraient demander à Eric Clapton de remplacer George si ce dernier ne revient pas. Cette phrase, captée sur bande, reflète le climat électrique régnant au sein du quatuor.
Malgré ce contexte, le tournage continue durant quelques jours sans Harrison, s’appuyant sur de simples jams ou sur un duo piano-batterie improvisé par McCartney et Starr. Harrison, de son côté, compense sa frustration en composant « Wah-Wah » chez lui, un titre exprimant son ras-le-bol.
Finalement, un accord est trouvé : George revient, mais sous conditions. Exit l’idée d’un grand concert exotique. Le projet va désormais se poursuivre dans les locaux d’Apple à Savile Row, dans un tout nouveau studio. Le film, lui, n’est plus un simple documentaire télévisé mais un long-métrage de cinéma.
Changement de décor : sessions à Apple et arrivée de Billy Preston
À partir du 21 janvier 1969, les répétitions reprennent au sous-sol d’Apple Corps, aménagé tant bien que mal en studio d’enregistrement. C’est un espace plus chaleureux que Twickenham, même si l’insonorisation et l’équipement restent sommaires. George Harrison propose d’inviter Billy Preston, un claviériste de talent qu’il a rencontré lors d’une tournée avec Little Richard, pour ajouter des touches d’orgue et de piano électrique.
Cette arrivée contribue à apaiser les tensions. Preston, appelé « le cinquième Beatles » pour l’occasion, amène un regard neuf et une énergie positive. John Lennon dira plus tard que la simple présence d’un musicien extérieur les force à se comporter de façon plus professionnelle. Les caméras continuent à tourner, selon le principe du « fly on the wall », sans interviews ni commentateurs.
Dans les jours qui suivent, de nombreux titres sont joués, certains pour la première fois. On trouve des embryons de ce qui deviendra plus tard Abbey Road (« I Want You (She’s So Heavy) », « She Came in Through the Bathroom Window ») ou des compositions que McCartney, Lennon et Harrison développeront en solo après la séparation (« Every Night », « Gimme Some Truth », « All Things Must Pass »). Pourtant, le film Let It Be se concentre surtout sur quelques morceaux phares : « Two of Us », « The Long and Winding Road », « Let It Be » ou « For You Blue », et sur la dynamique de groupe qui les entoure.
Le réalisateur Michael Lindsay-Hogg cherche néanmoins un final marquant. Puisque le projet initial d’un concert scénique est abandonné, il propose une solution inattendue : jouer en live sur le toit même du bâtiment Apple. Cette performance surprise, non annoncée, marquera peut-être l’histoire comme ultime prestation publique du groupe.
L’apothéose sur le toit : dernier concert des Beatles
Le 30 janvier 1969, malgré le froid mordant, les Beatles, accompagnés de Billy Preston, s’installent sur le toit d’Apple Corps. Ils entament « Get Back » sous les regards amusés ou stupéfaits des passants dans la rue. Les caméras, disposées en contrebas et sur le toit, filment l’événement sous divers angles. Les policiers arrivent vite, dérangés par le brouhaha qui perturbe l’activité des commerces voisins.
Cette séquence dure environ 42 minutes, dont une bonne partie figure dans le film. Le public, capté au sol, propose des réactions variées : certains s’émerveillent de cette initiative, d’autres râlent pour le bruit. Au total, on entend cinq chansons : « Get Back », « Don’t Let Me Down », « I’ve Got a Feeling », « One After 909 » et « Dig a Pony », certaines jouées plusieurs fois.
La prestation se conclut quand la police intimide les techniciens pour couper l’électricité. McCartney improvise alors quelques paroles dans « Get Back », mentionnant la présence policière. Lennon, en terminant, lance une phrase restée célèbre : « I’d like to say thank you on behalf of the group and ourselves, and I hope we passed the audition! ». C’est la dernière fois que les Beatles jouent devant un public en direct.
Le lendemain, 31 janvier, ils enregistrent au studio trois versions définitives de « Two of Us », « The Long and Winding Road » et « Let It Be », captées par les caméras comme conclusion du documentaire.
Montage, divergence d’opinions et retouches finales
Au printemps 1969, Michael Lindsay-Hogg se retrouve avec des dizaines d’heures de rushes filmés à Twickenham, à Apple, et sur le toit. Il prépare un montage initial d’environ 2 heures 30. Les Beatles visionnent une première ébauche en juillet 1969. Pour assouplir le propos, et sans doute pour ne pas trop exposer leurs disputes, ils demandent de supprimer certaines séquences, en particulier celles où Harrison quitte brusquement le groupe et celles montrant trop d’histoires personnelles autour de Lennon et Yoko Ono.
De son côté, Lennon se plaint que le montage met trop en valeur McCartney. Il accuse le réalisateur, ou le montage final, de servir les intérêts de Paul, ce que Lindsay-Hogg dément. Il explique qu’il a voulu conserver la dynamique du groupe, y compris ses frictions, mais qu’il devait aussi composer avec les exigences d’Apple Corps.
Alors que les sessions se sont initialement déroulées sous le titre Get Back, le film prend définitivement le nom Let It Be, en cohérence avec la sortie du single éponyme en mars 1970. Par la même occasion, l’album qui compile les chansons de cette période se voit rebaptisé Let It Be.
Le film passe du format 16 mm original au 35 mm pour la diffusion en salles, imposant un recadrage qui, combiné à l’aspect granuleux déjà présent, ne fait qu’accentuer le côté brut et peu poli des images. Les dialogues ne sont pas retravaillés, les séquences ne sont pas introduites par des cartons explicatifs : le choix assumé est de plonger le spectateur dans les coulisses sans médiation.
Sortie en salles, accueil mitigé et Oscar de la meilleure partition
Premières projections et réactions
_ Let It Be_ est projeté pour la première fois à New York le 13 mai 1970. Une semaine plus tard, la première britannique a lieu à Liverpool, puis à Londres. Aucun Beatle n’assiste à ces premières, signe du détachement du groupe, qui est alors en plein éclatement. Lennon, Harrison et Starr estiment que ce film arrive trop tard, alors que McCartney, en désaccord artistique, annonce sa séparation d’avec le groupe depuis avril 1970.
Au moment de sa sortie, la critique est partagée. Certains saluent la sincérité du documentaire, qui montre les Beatles au travail, tentant de retrouver une cohésion créative. D’autres pointent le caractère morcelé, la tension sous-jacente, ainsi que la façon dont le film illustre la rupture imminente. La presse britannique se montre particulièrement dure, parlant parfois d’un climat lugubre et d’un documentaire révélant le côté sombre de la Beatlemania.
Récompenses et reconnaissance
À la surprise générale, Let It Be remporte l’Oscar de la « Meilleure Partition Originale » (Best Original Song Score), une catégorie aujourd’hui disparue. Quincy Jones se charge de récupérer la statuette au nom de Lennon, McCartney, Harrison et Starr, symbolisant la reconnaissance de leur travail musical dans le contexte cinématographique. Le disque associé, produit par Phil Spector, deviendra également l’un des points de discorde majeurs entre McCartney et les autres, McCartney désapprouvant les ajouts orchestraux imposés par Spector sur « The Long and Winding Road ».
Bien qu’il gagne un Oscar, le film ne fait pas l’objet d’un plébiscite général : la plupart des spectateurs retiennent surtout le malaise qui transparaît, l’absence de vraies interviews, et la relative monotonie de certaines séquences de répétition. Néanmoins, pour les fans, le moment du concert sur le toit est un apogée chargé d’émotion : un dernier baroud d’honneur du groupe le plus célèbre de la planète.
Disparition du marché vidéo et polémiques autour de la ressortie
éditions en VHS et LaserDisc
Au début des années 1980, Let It Be sort sur VHS et LaserDisc, notamment via Magnetic Video. Les transferts, jugés moyens, reprennent la version recadrée en 4:3, rognant encore l’image déjà recadrée. Aux états-Unis, comme dans plusieurs pays européens, on trouve ces cassettes pendant quelques années, puis elles disparaissent du catalogue, laissant le film en proie aux bootlegs.
Au fil du temps, l’absence d’une édition DVD officielle suscite la curiosité et la frustration des amateurs. Les projets s’accumulent, notamment en 2003, lors de la publication de l’album Let It Be… Naked, qui aurait pu s’accompagner d’un DVD restauré. Les rumeurs d’une version spéciale agrémentée de scènes coupées (baptisée officieusement « Let It A, B, C ») fleurissent, sans aboutir à une sortie concrète.
Réticences et controverses internes
Les informations laissent entendre que Paul McCartney et Ringo Starr hésitent à valider une ressortie, craignant que la publication intégrale des tensions ternisse l’aura du groupe. Un dirigeant anonyme d’Apple Corps suggère que ce film montre trop de conflits et que ses images « ne servent pas la légende » des Beatles. D’autres, comme McCartney lui-même, déclarent qu’il ne se sent pas à l’aise en voyant la façon dont il apparaît à l’écran, parfois directif à l’égard de ses collègues.
En parallèle, des fan-restorations circulent sur Internet et en DVD piratés : The Get Back Chronicles, ou des versions remontées à partir du matériel issu des sessions. Ces bootlegs, même s’ils manquent d’une véritable remastérisation professionnelle, entretiennent la flamme autour de ce film mythique.
Vers une résurrection : le projet Peter Jackson et la réédition en 2024
Au fil des années 2010, Paul McCartney et Ringo Starr laissent entendre qu’ils ne sont plus fondamentalement opposés à une re-sortie de Let It Be, tant que le montage peut être contextualisé. En septembre 2018, McCartney évoque la possibilité d’une version rafraîchie pour l’anniversaire des cinquante ans, un film qui montrerait aussi des passages inédits, contrepoint éventuel à l’image sombre du groupe.
En janvier 2019, une annonce fait sensation : Peter Jackson, réalisateur de la trilogie Le Seigneur des anneaux et déjà salué pour son travail de restauration et de colorisation sur They Shall Not Grow Old, va se plonger dans les 55 heures d’archives filmées lors des sessions de 1969. L’objectif est de proposer un nouveau documentaire, désormais connu sous le nom de The Beatles: Get Back, enrichi de séquences inédites, offrant un éclairage plus complet et moins focalisé sur les disputes.
Jackson mène alors un travail de titan, triant d’innombrables rushes audio et vidéo, afin de construire un récit plus nuancé, mettant en valeur l’humour, la complicité qui, parfois, subsiste encore entre Lennon, McCartney, Harrison et Starr. The Beatles: Get Back sort finalement en 2021 sur Disney+, sous forme de mini-série, acclamée par la critique.
Pour boucler la boucle, Apple Corps annonce qu’une version restaurée en 4K de Let It Be suivra, permettant au public de découvrir le montage original de 1970 dans des conditions optimales. Ainsi, le 8 mai 2024, Let It Be devient pour la première fois accessible en streaming, toujours via Disney+. Cet évènement suscite un vif intérêt, car le film n’avait pas été officiellement disponible depuis les années 1980, en dehors des copies pirates.
Cette restauration, réalisée par les équipes de Jackson, propose une image nettement améliorée. Toutefois, le contenu reste celui de 1970, y compris les coupes et la chronologie voulues par Lindsay-Hogg et Apple. L’idée étant d’assumer la dualité : Get Back pour la vision plus longue et plus nuancée, Let It Be pour l’œuvre historique telle qu’elle est sortie en salles.
Regards rétrospectifs sur un film-cauchemar ou un témoignage sincère
Un film « non fini » ou un indispensable ?
Les avis demeurent contrastés. Certains critiques estiment que Let It Be est un objet un peu bâclé, trop marqué par les conflits pour briller artistiquement : on voit surtout des répétitions laborieuses, peu de communication réelle. D’autres y voient un précieux document, rare dans l’histoire de la musique, où l’on surprend le plus grand groupe du monde en pleine autocritique, cherchant à surmonter ses désaccords.
Leonard Maltin, critique américain, lui attribue trois étoiles sur quatre, jugeant que la musique sauve un film parfois « inégal et traînant ». Le TLA Video & DVD Guide, également trois étoiles, évoque une « plongée fascinante dans les derniers jours du groupe de rock le plus célèbre au monde, ponctuée de chansons mémorables et de la séquence légendaire du concert sur le toit ».
Le point de vue des Beatles
Dans le camp des ex-Beatles, les réactions se nuancent avec le temps. Lennon, encore vivant en 1970, considère que le film était « monté pour Paul », lui donnant selon lui le rôle principal. Il regrette aussi que la version diffusée n’ait pas rendu la lourdeur du climat encore plus évidente, mais reconnaît qu’il ne s’était guère investi dans le montage final. Harrison, lui, dit avoir détesté Let It Be, trouvant qu’il lui rappelait une époque de grande souffrance personnelle.
McCartney, à plusieurs reprises, admet qu’il ne prend aucun plaisir à revoir ce documentaire. Pourtant, c’est lui qui, dans les dernières années, plaide en faveur d’une réédition, arguant que c’est un témoignage de l’histoire du groupe, malgré son caractère peu flatteur. Starr semble plus détaché, déclarant simplement qu’il accepterait la ressortie si elle était accompagnée d’un contexte clair et honnête sur les tensions du moment.
Les fans entre fascination et gêne
Pour les amateurs, Let It Be incarne un paradoxe : c’est un film musical où l’on retrouve le style unique des Beatles, mais aussi une œuvre emplie de non-dits et de lassitude. La partie finale sur le toit est un moment de grâce, symbolisant la dernière étincelle du groupe en tant qu’entité scénique. Ce contraste entre la désunion latente et l’éclair de génie final explique, en partie, la fascination durable pour Let It Be.
La place de Let It Be dans la filmographie des Beatles
Avant Let It Be, les Beatles avaient tourné A Hard Day’s Night (1964), classique en noir et blanc à l’énergie juvénile, puis Help! (1965), comédie loufoque sous la houlette de Richard Lester. Par la suite, Magical Mystery Tour (1967), bien que télévisé, avait déçu la critique. Yellow Submarine (1968) est un film d’animation, splendide, auquel les Beatles ne participent que marginalement comme doubleurs (et encore).
Let It Be conclut donc la filmographie du groupe, mais dans un tout autre registre : c’est un documentaire sans fard, tourné dans l’urgence, reflet de la fragmentation des Beatles. L’œuvre n’avait, au départ, rien de prestigieux : un plateau improvisé, des répétitions en continu, une équipe filmant au jour le jour. Mais avec le recul, l’authenticité brute de ces images fascine et en fait sans doute l’une des pièces les plus marquantes sur l’histoire interne d’un groupe mythique.
Un testament filmé, désormais restauré
Même si le film a longtemps souffert d’un statut semi-officiel, s’échangeant sous le manteau en VHS ou DVD pirates, l’arrivée de la version restaurée en 4K sur Disney+ en 2024 comble un vide et permet, enfin, au public de le (re)découvrir légalement. Les controverses internes sont devenues de l’histoire ancienne, et l’on peut désormais considérer Let It Be comme un chapitre essentiel pour comprendre la trajectoire des Beatles : de la fougue juvénile des débuts à la maturité parfois douloureuse d’un groupe au bord de la séparation.
Le contexte actuel, où The Beatles: Get Back de Peter Jackson triomphe, éclaire davantage ce film d’origine. Jackson lui-même souligne que Let It Be représente la vision « courte » (un récit d’environ 80 minutes), tandis que Get Back, plus fleuve, constitue la « grande fresque ». Les deux cohabitent désormais, permettant une lecture plus complète de janvier 1969, ce mois crucial dans la légende des Beatles.
En définitive, Let It Be n’a jamais été une œuvre soigneusement conçue ni un spectacle flamboyant : c’est un documentaire sincère, parfois maladroit, mais fondateur dans la représentation documentaire de la musique pop. Cette authenticité, combinée à la force évocatrice des morceaux du quatuor et à l’épilogue magistral du rooftop concert, en fait un classique dans le genre, même si son atmosphère générale reste teintée de nostalgie et de tristesse. Pour le public qui l’aborde, c’est l’occasion de comprendre, à travers le prisme de la répétition et des regards échangés, que la magie des Beatles cohabite alors avec la lassitude, la rancune et la fierté blessée.
Aujourd’hui, ceux qui regardent Let It Be enchaînent souvent avec Get Back pour mieux saisir l’ensemble de ces sessions. Cette complémentarité nuance l’idée d’un documentaire strictement austère : oui, les Beatles traversent des conflits, mais ils continuent de plaisanter, d’improviser, de chercher la perfection musicale, rappelant que, jusqu’au bout, la musique reste leur ciment. C’est peut-être la plus grande leçon de Let It Be : en dépit de la fin annoncée, la flamme créative brille encore, matérialisée par le chant spontané de McCartney, la rythmique implacable de Starr, l’ironie mordante de Lennon et l’ingéniosité discrète de Harrison.
Cette étape a scellé le destin du groupe, officialisé peu après par la sortie de l’album Let It Be, par l’annonce de la séparation et par la parution, plus tard en 1970, de Abbey Road comme ultime témoignage d’une cohésion musicale. Ainsi, voir Let It Be à l’aune de l’histoire complète des Beatles, c’est assister à un crépuscule teinté de beauté : l’épuisement d’une aventure hors du commun, mais dont les derniers rayons contiennent encore assez de lumière pour illuminer la postérité.