Jake Lamar : Viper's dream

Par Gangoueus @lareus

Je me plonge dans l'univers de l'écrivain américain basé à Paris. Je viens de terminer Viper's dream, son roman publié en 2023 chez Rivages. Cette lecture m'a donné envie d'enchainer avec Nous avions un rêve que je viens de récupérer à un point relais de Sartrouville tenu par un congolais...

Le magasin exotique propose des solutions intéressantes dans ce coin des Yvelines. Alors que j'essaie de faire la causerie en donnant des signes de congolitude, l'homme bougonne, il reste renfrogné. Drôle d'accueil, auucun sens du service mais je mets cela sur le compte d'une fin de journée, un dimanche. Revenons à Jake. Je l'ai rencontré pour la première fois à une grande rencontre au musée du Quai Branly, à l'occasion d'un hommage à Présence Africaine, il y a une quinzaine d'années. Ces grands rassemblements woke qui nous manquent cruellement aujourd'hui.

Récemment, j'ai eu plaisir d'échanger avec lui dans de bonnes conditions - en reprenant la formule de Claude Makelele -. Je ne peux être que reconnaissant à l'écrivaine Lucy Mushita d'avoir permis ce très beau moment d'échanges sur lequel je ne m'étendrai sur mon blog.
J'avais entamé la lecture de Viper's dream, le plus récent roman de Jake Lamar pour avoir une idée de son écriture.
J'ai été plongé dans l'univers d'un Harlem mouvant. Je m'explique. Clyde Viper Morton débarque à New-York, la trompette de son défunt père à la main pour faire carrière dans les clubs de jazz. Nous sommes en 1931. Le diagnostic dès le premier casting à Harlem est sans appel. Aucun talent pour l'instrument. Par contre, il est tout de suite récupéré par un homme d'affaires blanc, véreux, tenant le club de jazz qui l'a auditionné, plusieurs commerces, usurier ultra qualifié qui a néanmoins besoin d'un homme de main pour se faire rembourser les créances qui lui sont dues. Viper a 19 ans. Il se montre très convaincant dans ses premiers pas avec la pègre d'Harlem et sa réputation est faite dès sa première intervention musclée. De plus, il fait la connaissance de Mary Warner, princesse des lieux. On la fume avec le sifflement d'une vipère la Marie Jeanne consommée par tous les célèbres jazzmen de l'époque... On accompagnera Viper sur une trentaine d'années d'où l'aspect de ce quartier de Manhattan qui change au fil des années, des stupéfiants qui inondent ses clubs et de sa musique dont la cadence découle des substances ingérées par les artistes...
Jake Lamar sait écrire des polars. C'est-à-dire qu'il tient sa lectrice, son lecteur avec l'hameçon de trois crimes annoncés dont attend l'avènement plus ou moins rapide. Avec un style qui me fait penser aux atmosphères de certains romans de Chester Himes comme La reine des pommes par exemple. En discutant avec l'écrivain américain, il ne rejette pas la référence, bien au contraire. Mais, il offre un regard beaucoup plus complet et distant sur ce Harlem mythique. De par le lieu à partir duquel il écrit : Paris, mais également aussi celle du temps, une publication en 2022. Avec Jake Lamar, le roman est un prétexte réussi pour nous montrer qui tient réellement la pierre, les murs à Harlem. On comprend aussi les évolutions des pratiques de consommation de la drogue et son impact direct sur la création artistique.
Ce que j'aime dans ce polar c'est qu'il nous fait voyager dans le Harlem du jazz, indissociable de la marijuana et malheureusement de l'héroïne. Tous les grands noms du jazz sont passés par Harlem. C. Bird Parker, T. Monk, M. Davis, J. Coltrane. L'influence de la nature de la drogue va participer à l'évolution de la musique. Gros bras extrêmement violent, Viper n'en est pas moins le défenseur d'une certaine philosophie de ce qui doit circuler dans son territoire, lui qui voit dans l'après-guerre une nouvelle vague d'artistes détruits par l'héroïne... Quand on dit cela, on ne vous présente qu'une facette du roman. Avec une écriture très gaie, rythmée comme une bonne ballade de jazz, Jake Lamar construit des personnages traversés par des tensions, des drames, des amours, des incompréhensions, des trahisons. Il nous rappelle que certains rêves sont inaccessibles. Faut-il cependant s'empêcher de rêver ? J'ai beaucoup aimé cette lecture instructive, rafraîchissante, accessible.
Et je terminerai par : "Ah Yoyo!". La femme fatale. Par là, vous comprendrez que je ne vous ai rien dit de l'intrigue de ce polar. L'histoire de cette femme vous suffira si vous n'êtes pas fan de sociologie produite par un romancier.
Bonne lectureJake Lamar, Viper's dreamEditions Rivages/Noir, 2022, une traduction de Catherine Richard-Mas