«Neurones miroirs» de Julien Boutreux

Par Etcetera

Julien Boutreux a eu l’amabilité de m’envoyer son dernier recueil poétique, paru dans la collection Polder (numéro 207) et j’ai été touchée et flattée de cette attention.
Un recueil parfaitement titré, puisqu’il appelle la réflexion du lecteur et qu’il jongle avec le « je« , le « tu« , le « nous« , le « on« , en de multiples reflets !

Note pratique sur le livre

Éditeur : Polder, Gros textes
Année de publication : automne 2025
Préface de Jean-Marc Proust, illustration de couverture de Christophe Lalanne
Nombre de pages : 52

Quatrième de couverture

Dans ce nouveau recueil de Julien Boutreux, recueil du questionnement et de l’incertain, c’est de l’autre qu’il s’agit, de cet autre sans lequel le « je » ne pourrait se dire, la quête de l’identité serait rendue vaine, de cet autre avec lequel nous pourrions entrer en résonance, dont nous pourrions connaître les émotions grâce à ces neurones miroirs qui donnent son titre à l’ouvrage.

(Préface de Jean-Marc Proust)

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Mon avis

Ce recueil ravira tous ceux qui ont des questionnements philosophiques mais qui veulent – non pas y  répondre mais peut-être y songer – par les moyens de la poésie. Julien Boutreux semble ici dans une quête existentielle qui, pour être grave et sérieuse sur le fond, n’en adopte pas moins, par moments, des allures ludiques, comme dans ce poème aux faux airs de charades intitulé « vingt et un noms de ?« .
Que signifie exister, de quoi se compose notre identité, sommes-nous les miroirs les uns des autres, quel est le sens de notre vie, est-ce que tout se résume au vide, au néant, et comment appréhender ce vide ?
Le poète dit (Page 17) « S’il y a quelque chose à comprendre (…) c’est peut-être dans la mémoire/ce qu’il en reste » mais plus loin (page 25) « tes souvenirs se mélangent, te trahissent », on se « perd dans les méandres » du temps, la mémoire est un gouffre. Le même désenchantement apparaît vis-à-vis du langage (page 24) : « le langage est le verso, or le monde est le recto, et à cause des mots tu te trouves du mauvais côté, encore plus étranger ».
L’un des titres du recueil fait référence à l’Homme approximatif de Tristan Tzara, anciennement chef de file des dadaïstes, et peut-être qu’en effet certaines traces lointaines de la dérision et du sens de l’absurde qui caractérisaient leur groupe peuvent se retrouver dans ces Neurones miroirs.
Un excellent recueil, qui aborde l’essentiel de nos vies, cherchant des chemins, proposant des pistes, allant explorer jusqu’au bout les impasses, sans céder ni aux leurres ni aux espoirs faciles.
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Choix de Poèmes

(Page 21)
de toute façon les mots ne valent pas grand-chose

on avait inventé ce jeu
consistant à résumer sa vie en une seule phrase
qui prenait valeur d’aphorisme

on préférait la profondeur aux péripéties
voilà sans doute pourquoi
le monde nous indifférait tant

pour nous chaque jour devenait
une nuit blanche à la belle étoile
(et l’aurore se tenait à carreau)

on écrivait des poèmes
on n’avait rien trouvé de mieux
tu aimais parfois les miens
les tiens avaient une vraie force
on croyait passer le temps
en fait on passait à autre chose

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(Page 26)

nous-mêmes/noumènes

nous
passons dans un espace froid
étrangers à nos propres contrées
nos maisons ne sont pas les nôtres
n’habitons rien
même pas nos corps
ni nos mots qui sont d’avant nous
ne parlons pas sinon pour ce qui n’a nul besoin d’être dit
ne savons rien
nous qui pensons à nous
qui pensons nous
suivons seulement la solitude d’innombrables avant nous
nos pas dans leurs pas
parfaitement identiques

appelons cela une identité

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