L’utopie contrariée de « Born In A Prison » : Yoko Ono et la rébellion poétique

Publié le 18 décembre 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Lorsque Some Time In New York City paraît en 1972, l’album de John Lennon et Yoko Ono se veut un manifeste musical, un cri de révolte contre les injustices sociales et politiques du moment. Parmi les titres engagés de ce double album, Born In A Prison se distingue par son approche métaphorique, qui tranche avec la radicalité directe des chansons de Lennon. Composée et interprétée par Yoko Ono, cette chanson explore les notions de liberté individuelle et de conditionnement social, dans une veine poétique qui rappelle ses travaux conceptuels.

Sommaire

Une critique du carcan sociétal

Dès les premiers vers, Ono pose les bases de sa vision : « Nous naissons dans une prison / Nous grandissons dans une prison / Nous sommes envoyés dans une prison appelée école. » En quelques lignes, elle dénonce une société qui conditionne les individus dès l’enfance, les enfermant dans des structures rigides qui limitent leur liberté de pensée. Si cette idée rappelle Working Class Hero de Lennon, le ton et le style diffèrent radicalement. Là où Lennon adoptait une approche brute et factuelle, Ono préfère l’allégorie et l’image poétique.

Sa critique prend une tournure encore plus abstraite avec des vers tels que « Le bois devient une flûte quand il est aimé / Le miroir devient un rasoir quand il est brisé. » Ces images, qui renvoient à la philosophie zen et aux méditations introspectives, laissent une large place à l’interprétation, mais elles peinent à transmettre un message politique clair. Si certains y voient une invitation à transcender les limites imposées par la société, d’autres y perçoivent une abstraction excessive qui dilue l’impact du propos.

Un paradoxe incarné

L’engagement démontré par Born In A Prison et par l’ensemble de l’album Some Time In New York City se heurte à une critique récurrente : le décalage entre le discours militant de Lennon et Ono et leur mode de vie privilégié. Yoko Ono, issue d’une famille japonaise aisée, a bénéficié d’une éducation prestigieuse, d’abord à la Gakushuin School de Tokyo, puis à l’université de Sarah Lawrence aux États-Unis. En 1972, elle vit à New York aux côtés de John Lennon, jouissant d’une indépendance financière et d’une notoriété qui la placent loin des réalités qu’elle dénonce dans ses chansons.

Ce paradoxe résume l’une des critiques majeures adressées à Some Time In New York City : l’impression que le militantisme affiché y relève davantage d’une posture intellectuelle que d’une expérience vécue. Dans le cas de Born In A Prison, l’utilisation d’une poésie évasive, loin de renforcer le message, tend plutôt à l’affaiblir en le rendant trop distant du concret.

Une exécution musicale minimaliste

Musicalement, Born In A Prison se démarque par sa sobriété. La chanson est portée par une instrumentation simple, dominée par la guitare de Lennon, le piano d’Adam Ippolito et le saxophone de Stan Bronstein. La voix d’Ono, parfois perçue comme déroutante voire désincarnée, reste ici relativement mesurée, loin des performances avant-gardistes qui caractérisent d’autres de ses compositions.

La présence de l’Elephant’s Memory Band, groupe accompagnant Lennon et Ono sur cet album, confère à la chanson une texture rock assez classique, bien que dépouillée. Pourtant, l’impact émotionnel reste limité, et Born In A Prison peine à s’imposer comme une pièce forte de l’album.

Une brève existence sur scène

La chanson n’aura qu’une existence scénique fugace. Born In A Prison n’a été interprétée en concert que deux fois, lors des spectacles One To One organisés au Madison Square Garden le 30 août 1972. Ces concerts caritatifs en faveur des enfants handicapés marquent une des dernières apparitions scéniques de Lennon avant son exil médiatique. Toutefois, la chanson ne sera pas retenue pour l’album Live In New York City paru en 1986, bien qu’elle apparaisse dans la version vidéo du spectacle.

L’héritage contrasté de Born In A Prison

Si Born In A Prison n’est pas la chanson la plus marquante du répertoire de Yoko Ono, elle illustre bien son approche artistique et philosophique. En mêlant critique sociale et poésie abstraite, elle tente de proposer une réflexion sur la liberté et le conditionnement. Pourtant, en raison de son message flou et du contexte paradoxal dans lequel elle s’inscrit, elle peine à convaincre pleinement.

Aujourd’hui, elle reste un témoignage intéressant de l’engagement de Yoko Ono et John Lennon dans les années 70, mais aussi de leurs limites en tant qu’artistes militants. Born In A Prison résume ainsi tout le dilemme de Some Time In New York City : une ambition politique sincère, mais une exécution souvent maladroite et déconnectée des réalités qu’elle entend dénoncer.