Boutès, de Pascal Quignard (Lecture de Isabelle Baladine Howald)

Par Florence Trocmé

« Boutès monte sur le pont et saute.
La où la pensée a peur, la musique pense.
La musique qui est là avant la musique, la musique qui  sait  se « perdre » n’a pas peur de la douleur. La musique experte en « perdition» n’a pas besoin de se protéger avec des images ou des propositions, ni de s’abuser avec des hallucinations ou des rêves.
Pourquoi la musique est-elle capable d’aller au fond de la douleur ? Car elle y gît.
Le chant qui se tient avant la langue articulée – simplement plonge, plonge comme Boutès plonge – dans le deuil de la Perdue. »

Pascal Quignard
Boutès, (Galilée)

Boutès est le marin qui sauta vers le chant des sirènes quand Ulysse boucha ses oreilles et celle de ses passagers avec de la cire. Boutès voulut entendre le chant des sirènes, Boutès plonge, Boutès se noie. Ce petit livre très mélancolique de Pascal Quignard, écrit dans une langue brève, rase et rêche comme la pierre, reprend quelques leitmotivs de l’écrivain, sa passion de l’asocial (Boutès sort du groupe), la nécessité de la solitude (Boutès ne peut plonger que seul, de même que Quignard n’écoute de la musique que seul) et de son corollaire, l’angoisse (séparation originaire, séparation sociale). Mais le même thème est celui du Jadis (le temps de l’eau dans le ventre maternel), de la Perdue (la langue d’avant son articulation), de son retour dans des figures, des instants, des sensations.
« Dernier petit livre voué à la musique » Boutès explore cette figure de « la vieille mise en alerte d’avant les mots ».
« L’eau vient de l’autrefois », la musique cherche à proposer un retour, la musique est orphéique. Sa respiration n’est pas d’air, elle est d’eau, du son dans l’eau de l’origine, « respirant avec l’ouïe ».
La musique s’écrit, avant tout, ne l’oublions pas. Pascal Quignard était musicien, l’écriture l’a volé à la musique, il le regrette, ce regret fend le livre. Quel musicien aurait-il été, je ne le sais pas, mais quel immense écrivain il est, ça, je le sais.

Isabelle Baladine Howald