Edvige, fille illégitime de ses détracteurs

Publié le 10 septembre 2008 par Roman Bernard
Neuf Telecom n'ayant toujours pas installé ma ligne, plus de cinq semaines après le début de mes démarches à cet effet - ce qui explique la faible fréquence de publication depuis -, j'ai découvert ce matin la décision de Nicolas Sarkozy de demander au gouvernement une concertation "suivie de décisions pour protéger les libertés publiques". Et suis consterné par l'hypocrisie des pétitionnaires.
Si ce n'est pas encore un "recul" du pouvoir, comme l'estimait ce matin Laurent Joffrin dans les colonnes de Libération, c'est assurément une victoire pour la "société civile", cette nébuleuse d'associations, de syndicats, de think-tanks, de groupes de pression, censés représenter une opinion publique muette car insaisissable. Désormais, le gouvernement, obligé par la promesse présidentielle, devra composer avec les exigences de ces représentants auto-proclamés de la vigilance populaire. Et il n'est pas improbable que, comme à son habitude, Sarkozy impose au gouvernement d'escamoter le décret incriminé, sans pour autant le retirer complètement. Pour l'ex-candidat de la rupture avec l'immobilisme chiraquien, une telle reculade serait impossible.
On se demande pourquoi Nicolas Sarkozy, de retour de l'ex-URSS où il est venu exprimer les velléités de l'Union européenne (dont il n'est pas interdit de préciser qu'il ne la "préside" pas), a subitement changé d'avis. Je n'oserais en conclure que ses positions ne sont pas si éloignées de celles que lui ont opposées cette société civile, ni, bien sûr, que le procès en fascisme qui lui avait été intenté pendant la campagne (et qui continue malgré sa chiraquisation croissante) était excessif.
Non, j'en conclus plutôt que Nicolas Sarkozy, effrayé, une fois de plus, par le risque que fait peser la campagne de protestation à l'encontre d'Edvige sur sa fluctuante cote de popularité, a préféré sacrifier à cette dernière toute volonté politique, alors qu'il approche du tiers de son quinquennat et qu'il serait périlleux, aujourd'hui, de vouloir trouver une cohérence à son action à l'Elysée.
Le chef de l'Etat se pose donc en garant des libertés individuelles. Fort bien. Je n'ai pourtant rien lu, dans tous les compte-rendu du décret que j'ai pu me procurer dans la presse ou sur Internet, qui puisse laisser penser que la liberté des personnes "fichées" pourrait d'une quelconque manière être mise en péril par Edvige.
Et il me semble qu'il n'est pas inutile de dire que toute liberté implique un risque. C'est vrai en matière criminelle comme en matière économique. Lorsque, au cours des années 1970, il a été décidé, sous la pression de la société civile, que les fous qui ne représentaient pas un danger immédiat devaient être libérés, les sociétés occidentales assumaient un risque réel. De la même manière, et les récidives multiples de certains criminels sont là pour nous le rappeler, la volonté de "dépasser" la peine carcérale a conduit à la libération dans la nature d'individus potentiellement dangereux. Il serait inconséquent de penser que le risque pris par la société n'implique pas, en contrepartie, des assurances. A cet égard, il n'est pas anodin de noter que Londres, capitale du pays de l'habeas corpus, est l'une des villes les plus vidéosurveillées du monde. A moins de souhaiter intimement un développement du crime et de la violence, il est hypocrite de s'opposer, au nom de la liberté, aux outils qui visent à en prévenir les risques.
Roman Bernard

Criticus est membre du Réseau LHC.