L’enseignement doit-il traiter de créationnisme?

Publié le 15 septembre 2008 par Timothée Poisot

La Royal Society a nommé à la tête de son département d’enseignement un prêtre pratiquant, Michael Reiss. Dans sa note sur le sujet, OldCola cite l’introduction d’un article de Reiss :

Teachers need to accommodate the differing world views of students from Jewish, Christian or Muslim backgrounds — which means openly discussing creationism and intelligent design as alternatives to evolutionary theory.

Cette introduction doit aboutir à se poser au moins deux questions : le créationnisme et le dessein intelligent sont-ils des alternatives à la théorie évolutive, et l’enseignement doit-il se plier à la vision du monde de ceux qui le reçoivent?

Aux deux questions je répond non, et pour des raisons très proches. L’évolution est un fait, et s’il existe encore des discussions agitées dans la communauté scientifique, ce n’est jamais que pour savoir comment elle se produit. Le créationnisme consiste à prendre au pied de la lettre le premier livre de la genèse : Au commencement, dieu créa le ciel et la terre, et à refuser de considérer les observations directes. Le dessein intelligent est une couche supplémentaire ajoutée au créationnisme, qui tombe dans la pseudo-science, et qui est dirigé par des religieux fondamentalistes. D’un côté une science, de l’autre un mythe et sa “version deux”, la pseudo-science. D’un côté le doute, de l’autre la certitude.

Le créationnisme et le dessein intelligent ne sont en aucun cas des alternatives à la théorie évolutive, de même qu’il n’y a pas de controverse entre évolution et dessein intelligent. Il y a d’une part la science, et d’autre part un moyen d’insuffler de la religion dans la société. Reconnaître au créationnisme ou au dessein intelligent le droit d’exister en tant qu’alternative est une erreur épistémologique grave; cela revient à considérer la science comme un corpus de faits et de théories, et non comme ce qu’elle est, un système de questions. Rappelons nous de Poincaré, qui disait qu’on fait la science avec des faits comme une maison avec des pierres, mais une accumulation de faits n’est pas plus une science qu’un tas de pierres n’est une maison. Il ne suffit pas présenter des faits pour acquérir le statut de théorie scientifique. Il faut que ces faits soient construits en examinant, et pas en partant d’un attendu trouvé dans la bible.

Et nous en arrivons à ma réponse négative à la deuxième question : faut-il prendre avec des pincettes la vision du monde de ceux qui reçoivent l’enseignement? Il s’agit ici de respecter strictement le NOMA, autrement dit le fait que la religion et la science ne sont pas comparables, qu’il y a la méthode scientifique et la croyance, et que ces deux domaines n’ont pas à interagir. Je ne vois pas quel argument on peut opposer au fait que l’enseignement n’a pas à se soucier des croyances des étudiants — ce qui ne signifie pas qu’il faille les piétiner, simplement établir une distinction claire entre ce qui est du domaine de la raison, et ce qui est du domaine de la passion.

Il aurait été dommage, cependant, de limiter l’article de Reiss, à son chapeau, dans la mesure ou il contient au moins deux autres extraits extrêmement intéressants.

I feel that creationism is best seen by science teachers not as a misconception but as a world view.

J’ai hurlé en lisant ça. Le créationnisme est évidemment une mauvaise conception, qu’un prêtre pratiquant essaie de “pardonner” en la faisant passer pour une vision du monde. J’éviterai le point Godwin en m’abstenant de vous montrer qu’on peut allègrement remplacer créationnisme par racisme, nazisme, stalinisme dans la phrase précédente. Vous aurez de toute façon fait ce petit jeu d’esprit vous même. Avec un argument de cette portée, on peut aussi commencer à ajouter la mémoire de l’eau au programme.

A mes yeux, cette phrase révèle un profond malaise en Reiss. En tant que scientifique, il ne peut évidemment pas cautionner les thèses créationnistes; en tant que prêtre, il ne peut pas non plus les renier. D’où cet espèce de consensus mou, “c’est une vision du monde”. Voilà ce qui se passe quand on ne respecte pas le NOMA, et qu’on place un prêtre à la tête du département d’éducation d’une des plus respectables sociétés savantes. Pour reprendre la formule de François Jacob, placer Reiss à la tête du département éducation de la Roy. Soc. risque de faire du créationnisme [une passion] qui [utilise] la science pour soutenir [sa cause]. Ce qui n’est pas acceptable; pour moi, Reiss n’a rien à faire à cette place.

Cependant, il exprime un point de vue qui a inspiré le titre de cette note :

If questions or issues about creationism and intelligent design arise during science lessons they can be used to illustrate a number of aspects of how science works.

Comme le préconise P.Z. Myers, il ne s’agit pas d’enseigner le créationnisme ou le dessein intelligent. Ce serait introduire de la religion dans l’enseignement, et ce n’est pas envisageable dans un état laïque (quoique quand son président se permet un signe de croix en public face aux caméras, on peut se poser la question). En revanche, on peut utiliser le contre-exemple du dessein intelligent pour permettre aux étudiants de comprendre comment une science fonctionne, et pourquoi ce qu’on tire de la croyance et de la pseudo-science n’est pas recevable pour expliquer le fonctionnement du monde.

C’est une idée intéressante. Un lycéen n’est en général pas capable de reconnaître un sophisme quand il en voit un, n’a que peu d’idées de comment s’assurer qu’une chose est “vraie” (vérifiable), et n’a reçu aucun enseignement en épistémologie. En bref, il voit la science comme un tas de connaissance, et a donc reçu une vision de la démarche scientifique qui est fondamentalement fausse. Jamais je n’ai entendu parler de doute au lycée. On apprend des connaissances figées, gravées dans le marbre; sans savoir comment ces connaissances sont produites, effectivement, cela revient à enseigner le créationnisme ou le dessein intelligent! Si on n’explique pas ce qui fait d’une science qu’elle est légitime, la question de Pourquoi Darwin et pas les créationnistes ? risque d’arriver, et elle sera légitime.

Si le dessein intelligent doit arriver dans les salles de classe, ce n’est qu’en tant que contre-exemple, pour former les esprits à comprendre comment se construit un sophisme, et comment fonctionne une science. Pas pour attirer de nouveaux partisans à cette doctrine, pas pour la présenter en tant que “vision du monde”, pas pour ne pas froisser ceux des élèves qui sont religieux — parce que le faire de cette manière risque de froisser ceux qui sont matérialistes et athées.


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