Édouard Balladur en mission pour promouvoir l'Union occidentale

Publié le 16 septembre 2008 par Roman Bernard
Auteur fin 2007 d'un livre passé relativement inaperçu, prônant une Union occidentale entre l'Europe et les États-Unis, l'ancien Premier ministre s'est rendu récemment à Washington pour donner des conférences à ce sujet. Et rencontré la circonspection des Américains.
L'idée d'une Union occidentale réunissant l'Europe et l'Amérique du Nord n'est pas neuve. En 1993 déjà, au lendemain d'une Guerre froide qui avait divisé l'«Est» et l'«Ouest» sur des critères idéologiques, un certain Samuel P. Huntington, dans un article de la revue américaine Foreign Affairs appelé à un grand avenir, prophétisait le «choc» des civilisations : les conflits du XXIe siècle ne seraient plus idéologiques, ni même nationaux, mais bien culturels.
Si cet article n'appelait pas clairement à la formation d'une union de l'Occident, libéré de la séparation du rideau de fer, la question était en filigrane. L'arrivée d'une administration néo-conservatrice à la Maison Blanche en 2000, puis les attentats du 11 septembre l'année suivante, ont donné un écho supplémentaire aux prévisions huntingtoniennes.
En France, l'historien libéral Philippe Nemo, dans Qu'est-ce que l'Occident ? (2004), terminait son ouvrage sur un appel à une Union occidentale, estimant que l'Union européenne comme l'«Empire américain» constituaient des impasses, un an après le véritable schisme qu'avait provoqué l'intervention militaire en Irak de part et d'autre de l'Atlantique.
Fin 2007, dans un registre moins savant mais plus polémique, l'éditorialiste du Figaro Ivan Rioufol, qui se revendique comme un réactionnaire, concluait son essai La Fracture identitaire sur un même appel à une union entre les nations d'Europe et les Etats-Unis.
Au contraire du livre d'Ivan Rioufol, paru au même moment et chez le même éditeur (Fayard), celui d'Édouard Balladur est passé relativement inaperçu. L'ancien Premier ministre est pourtant un précurseur dans le débat politique hexagonal. Ses livres précédents, Je crois en l'homme plus qu'en l'État (1987), Renaissance de la droite (2000), La Fin de l'illusion jacobine (2005), et Laissons de Gaulle en paix ! (2006), ont puissamment contribué à la conversion de la droite française au libéralisme, à la formation d'un parti unique de la droite, et à l'abandon du modèle jacobin et de l'héritage gaullien par la nouvelle UMP.
De la même manière, la volonté de Nicolas Sarkozy de renforcer les relations transatlantiques n'est probablement pas étrangère à celle de son ancien mentor, devenu conseiller spécial.
Au cours d'un cycle de conférences données aux Etats-Unis la semaine dernière, Édouard Balladur a pourtant assuré parler en son nom propre. L'ancien candidat malheureux à la présidence de la République voulait, en pleine campagne présidentielle américaine, convaincre les milieux diplomatiques américains de la nécessité d'une Union occidentale.
Scepticisme américain
Comme le rapportait Le Figaro dans son édition du 11 septembre, c'est avec circonspection que les Américains ont reçu le message d'Édouard Balladur. Les relations avec l'Europe n'occupent guère une place importante dans la campagne, dans les discours de Barack Obama comme de John McCain. Tout au plus le candidat républicain a-t-il proposé la création d'une «Union des démocraties», incluant naturellement l'Europe mais aussi des pays non-occidentaux comme le Japon. En somme, rien de bien nouveau par rapport à l'actuel G8, si ce n'est l'exclusion de la Russie.
Or, Édouard Balladur décrit l'Union occidentale qu'il appelle de ses vœux comme l'un des enjeux majeurs du siècle naissant. Le déclin relatif de l'Europe et des Etats-Unis dans le monde, notamment sur le plan économique, doit selon lui conduire les deux rives de l'Atlantique Nord à s'unir. Une idée ancienne, donc, mais qu'Édouard Balladur enrichit d'une proposition concrète : la création d'un conseil exécutif paritaire, qui réunirait tous les trois mois le président des Etats-Unis et celui du Conseil européen, si le Traité de Lisbonne ne devient pas caduc. La vision de l'ancien Premier ministre s'oppose ici à une conception plus «atlantiste», qui viserait à regrouper les nations européennes sous la tutelle américaine.
Ce conseil veillerait à ce qu'Américains et Européens, lorsque leurs intérêts communs sont engagés, ne prennent pas de décisions avant de s'être concertés au préalable, et surtout ne fassent pas de choix contradictoires. Édouard Balladur envisage pareillement la création d'un marché transatlantique, qui impliquerait une harmonisation monétaire, financière, et qui aurait des conséquences en matières écologique, énergétique, diplomatique, militaire…
Cette «ambition immense», comme il la décrit, qui permettrait selon lui de «lutter contre le choc des civilisations», éviterait aussi le divorce qu'il redoute entre les Etats-Unis et l'Europe, et conjurerait un déclin au niveau mondial qu'Édouard Balladur estime inéluctable.
Pour ce faire, Édouard Balladur appelle à une véritable «révolution des esprits». Une «affaire de longue haleine» que l'Europe, en panne d'intégration depuis le «non» irlandais en juin dernier, comme les Etats-Unis, préoccupés par la crise financière et absorbés par leur campagne, ne semblent pas disposés à traiter pour le moment. On peut d'ailleurs se demander si, dans les problèmes contemporains, les intérêts américains et européens ne sont pas divergents, voire opposés.
Roman Bernard
Criticus est membre du Réseau LHC.