Qu'est-ce qu'un acte de création?

Publié le 16 septembre 2008 par Bonamangangu

Quel est le rapport de l’œuvre d’art avec la communication ? Aucun. Aucun, l’œuvre d’art n’est pas un instrument de communication. L’œuvre d’art n’a rien à faire avec la communication. L’œuvre d’art ne contient strictement pas la moindre information. En revanche, en revanche il y a une affinité fondamentale entre l’œuvre d’art et l’acte de résistance. Alors là, oui. Elle a quelque chose à faire avec l’information et la communication, oui, à titre d’acte de résistance, quel est ce rapport mystérieux entre une œuvre d’art et un acte de résistance ? alors que les hommes qui résistent n’ont ni le temps ni parfois la culture nécessaire pour avoir le moindre rapport avec l’art, je ne sais pas. Malraux développe un bon concept philosophique. Malraux dit une chose très simple sur l’art, il dit « c’est la seule chose qui résiste à la mort ».

Je dis revenons à mon truc de toute à l’heure, au début, sur qu’est-ce que c’est, qu’est-ce qu’on fait quand on fait de la philosophie ? On invente des concepts. Et je trouve que là, c’est la base d’un assez beau concept philosophique. Réfléchissez...Alors oui, qu’est-ce qui résiste à la mort. Ben oui, sans doute, il suffit de voir une statuette de trois mille ans avant notre ère pour trouver que la réponse de Malraux est une plutôt bonne réponse. Alors on pourrait dire, alors moins bien, du point de vue qui nous occupe, ben oui, l’art c’est ce qui résiste, c’est ce qui résiste et c’est être non pas la seule chose qui résiste, mais c’est ce qui résiste. D’où ; d’où le rapport, le rapport si étroit entre l’acte de résistance et l’art, et l’œuvre d’art. Tout acte de résistance n’est pas une œuvre d’art bien que, d’une certaine manière elle en soit. Toute œuvre d’art n’est pas un acte de résistance et pourtant, d’une certaine manière, elle l’est.

Quelle manière mystérieuse là il nous faudrait là peut-être, je ne sais pas, là il nous faudrait une autre réflexion, une longue réflexion pour ... ce que je veux dire c’est, si vous me permettez de revenir à :« Qu’est-ce qu’avoir une idée en cinéma ? ou qu’est-ce qu’avoir une idée cinématographique ? ». lorsque je vous disais, prenez le cas , par exemple, en autre, des Straub lorsqu’ils opèrent cette disjonction voix/sonore dans des conditions telles que ... remarquez l’idée ah ah elle est ... d’autres, de grands auteurs l’ont prise d’une autre manière, je crois chez les Straub, ils la prennent de la manière suivante : cette disjonction, encore une fois, la voix s’élève, elle s’élève, elle s’élève, elle s’élève et encore une fois, ce dont elle nous parle passe sous la terre nue, sous la terre déserte, que l’image visuelle était en train de nous montrer, image visuelle qui n’avait aucun rapport avec l’image sonore, ou qui n’avait aucun rapport direct avec l’image sonore. Or quel est cet acte de parole qui s’élève dans l’air pendant que son objet passe sous la terre ? Résistance. Acte de résistance.

Et dans toute l’œuvre des Straub, l’acte de parole est un acte de résistance. De Moïse au dernier Kafka, ah... en passant par, je cite pas dans l’ordre, je ne sais pas l’ordre, un Non réconciliés jusqu’à Bach. Rappelez vous, l’acte de parole de Bach, c’est quoi ? C’est sa musique, c’est sa musique qui est acte de résistance ; acte de résistance contre quoi ? C’est pas acte de résistance abstrait, c’est acte de résistance contre et de lutte active contre la répartition du profane et du sacré. Et cet acte de résistance dans la musique culmine dans un cri. Tout comme il y a un cri dans Woyzek, il y a un cri de Bach : « dehors, dehors, allez vous en, je ne veux pas vous voir ». Ca, c’est l’acte de résistance. Alors quand les Straub le mettent en valeur ce cri, ce cri de Bach, ou quand ils mettent en valeur le cri de la vieille schizophrène dans , je crois, Non réconciliés, etc...., tout ça, tout doit en rendre compte d’un double aspect. L’acte de résistance, il me semble, a deux faces : il est humain et c’est aussi l’acte de l’art. Seul l’acte de résistance résiste à la mort, soit sous la forme d’une œuvre d’art, soit sous la forme d’une lutte des hommes.

Et quel rapport y a-t-il entre la lutte des hommes et l’œuvre d’art ? Le rapport le plus étroit et pour moi le plus mystérieux. Exactement ce que Paul Klee voulait dire quand il disait « Vous savez, le peuple manque ». Le peuple manque et en même temps, il ne manque pas. Le peuple manque, cela veut dire que - il n’est pas clair, il ne sera jamais clair - cette affinité fondamentale entre l’œuvre d’art et un peuple qui n’existe pas encore n’est pas ne sera jamais claire. Il n’y a pas d’œuvre d’art qui ne fasse pas appel à un peuple qui n’existe pas encore. Alors, enfin, bon ben, il est très ... et bien voila, je suis profondément heureux de, de votre très grande gentillesse de m’avoir écouté, et je vous remercie beaucoup.

Gilles Deleuze. Conférence donnée dans le cadre des mardis de la fondation Femis -17/05/1987

Source: L'intégralité de cette conférence se trouve sur Webdeleuze.com ou Multitudes, à gauche sur ma page (Regards)

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Gilles Deleuze sur l'acte de création.