Quand la stratÉgie maritime s’impose a l’homme politique…

Par Francois155

L’observateur constate souvent avec plus ou moins d’amusement que nos dirigeants politiques font de la stratégie comme M. Jourdain faisait de la prose : sans s’en rendre compte. L’avantage, c’est qu’ils le font ; l’inconvénient c’est que, n’en ayant pas conscience et n’ayant pas forcément le bagage culturel permettant de nommer et d’approfondir ce qui doit l’être, cette stratégie « intuitive » reste tâtonnante et sans vrai développement.

Prenons l’exemple de l’affaire du voilier « Carré d’as » et de la réaction qu’elle a suscitée chez M. Sarkozy : celui-ci a relativement bien identifié le problème (une piraterie endémique qui perturbe un axe de communication de première importance pour la navigation maritime), il a pris une posture plutôt raisonnable (plus de rançons, mais des mesures de coercition pour recouvrer la liberté des mers dans cette zone) et a fait une tentative pour proposer des moyens visant à atteindre le but recherché (un « appel à la mobilisation de la communauté internationale » ce qui, soyons un peu grinçant, ne mange pas de pain).

Bref, le Président de la République fait, sur ce problème bien précis, une démarche intellectuelle stratégique, ce dont on ne peut que se féliciter. Probablement sans le savoir, il a découvert et tenté de verbaliser ce que les chercheurs en stratégie maritime nomment la « sauvegarde maritime » ou la fonction de surveillance-protection. L’ennui, c’est que sa réflexion est à la fois tardive (la piraterie dans cette zone n’est pas un problème récent, non plus que ses conséquences néfastes) et brouillonne (menée dans l’urgence, elle se contente d’adopter une posture menaçante purement verbale et de proposer des moyens qui, sauf extraordinaire, mettront du temps à se mobiliser). Une fréquentation plus assidue des bons auteurs et/ou des conversations plus fréquentes avec certains connaisseurs (portant l’uniforme ou pas) auraient probablement permis à notre président d’adopter une posture stratégique plus efficace dans le sens où elle aurait été préventive et non réactive (quand bien même la réaction a été bonne, d’ailleurs, car devoir réagir prouve qu’on a d’abord enduré une surprise, ce qui n’est jamais une bonne chose).

Illustrons cela par un exemple concret, tiré de la vie quotidienne :

Tous les matins, pour aller travailler, je dois emprunter une ruelle lugubre où sévit un personnage peu recommandable qui y a établi son repaire. Celui-ci, de temps à autre, agresse un passant qu’il détrousse méchamment. Pour moi, pas moyen de passer ailleurs à moins de me résoudre à faire un détour long et couteux. Je dois donc raisonnablement m’attendre à subir à mon tour une mauvaise fortune à plus ou moins brève échéance. Que faire ?

Trois approches sont possibles : la première (qu’on qualifiera de non stratégique) consiste à prier le ciel dés que je croise le malfaiteur en espérant qu’il ne m’arrivera rien ; puis, une fois qu’il m’est arrivé quelque chose, à envisager une solution peu glorieuse (faire un détour de 50 kilomètres pour aller travailler voire, carrément, acheter ma tranquillité en acceptant un racket régulier). La deuxième (tardivement stratégique) commence comme précédemment sauf que, une fois détroussé, je me rebelle et envisage une riposte. Le problème c’est que celle-ci prend du temps, demande des moyens que je n’avais pas voulu prévoir et que, pendant cet intermède, je reste vulnérable. Enfin, dernière approche, stratégique celle-ci : je sais qu’il va bien finir par m’arriver quelque chose et je ne veux pas changer mon itinéraire contre un autre moins commode ; je prépare donc par avance, dès que je suis informé de la menace, ma sécurité. Ceci peut passer par une entente avec d’autres passants tout aussi terrorisés que moi, une réaction solitaire mais, dans tous les cas, je dois empêcher le trublion de me nuire, par la dissuasion ou la coercition. Bref, je ne subis pas, je ne réagis pas, j’agis préemptivement contre un ennemi identifié en prenant tous les moyens nécessaires à la poursuite de mes activités vitales.

Or, et c’est bien là que le bât blesse, dans cette affaire de piraterie maritime au large de la Somalie, les pouvoirs publics ont entamé, tardivement, une réflexion stratégique purement réactive dont les résultats seront incertains et, dans tous les cas, nous aura déjà placé à plusieurs reprises en position délicate.

Car il y a un autre aspect utile de la stratégie qu’il faut rappeler : c’est la stratégie génétique, aussi appelée stratégie des moyens. Voici la définition qu’en donne le « Dictionnaire de stratégie militaire », de Gérard Chaliand et Arnaud Blin : « mettre à la disposition des stratèges et des chefs d’État l’instrument le plus efficace possible, disponible au moment voulu. La stratégie génétique opère en temps de paix ».

Là encore, on ne réagit pas : on anticipe et on forge l’outil qui nous permettra d’exercer notre liberté d’action en toute sécurité. Dans le domaine maritime, cela consiste à pouvoir disposer des bâtiments adéquats, en nombre suffisant et disposés aux bons endroits.

Les récentes décisions sur les réductions des forces navales françaises participent-elles à une stratégie génétique efficace et cohérente au vu de nos ambitions ?

Je l’ignore…