Le phrasé de Bastard Battle

Par Christian Tortel

Un libraire par jour. Hier, arrêt à la librairie Texture, dont l’ouverture était signalée dans le billet du 18 août.

Avant-hier, librairie Les buveurs d’encre, 59 rue de Meaux, Paris XIXe. Belle librairie à la vitrine éclectique, de la BD à l’essai en sciences humaines et aux livres jeunessse. Remarquable pour ces petits formats d’éditeurs méconnus. Je m’arrête sur La mécanique raciste de Pierre Tevanian, aux éditions Dilecta, qui le présentent ainsi : ” Il souligne le caractère social et systémique du racisme français, et son enracinement dans notre culture : loin d’être naturel, le racisme est une production culturelle… ” Pierre Tevanian est professeur de philosophie à Drancy (Seine-Saint-Denis), et co-animateur du collectif Les mots sont importants .

Il y a une semaine, à la librairie L’Atelier, rue Jourdain, l’incipit de La Grande Garabagne de Michaux nous mettait sur la voie et dans la voix de la phrase parfaite. (l’ami Kossi Efoui, rencontré en son antre bohème mardi, préfère parler de la phrase habile, de celle qui tient toute seule.)

Aujourd’hui dimanche, retour à L’Atelier. Découverte là aussi de quelques pépites de première. Pour n’en citer qu’une, chaudement recommandée par les libraires, avec force bandeau explicite ceignant la couv., ce Bastard Battle, roman de Céline Minard, éditions Léo Scheer, collection Laureli, pour Laure Limongi.

Première phrase de Bastard Battle :

Le dix décembre mil quatre cens trente sept, les paysans entendirent un galop sourd monter dans les plaines et traverser les blés depuis Riaucourt à Treix, prendre environs tout autour comme troupeau, et plus lourd que bœufs, plus rapide que nuée, plus sombre, soulevant peu, marquant fort, un grondement de mâtin affamé, puis martelé, un roulement éclatant, un orage sous couvée, sec, craquant, gonflé, résonnant sur le donjon et par tous côtés, ce jour ils l’entendirent, et ce jour ils crurent au démon. “

Ce ” prendre environs tout autour comme troupeau ” et ce ” mâtin affamé ” sont d’un malin ! Il sentent bon la chanson de geste savamment pastichée, dans l’intelligence du style et la mignardise de mots, pour sûr !

ééé

ééé