Poète...et engagé ?

Par Ananda
Le poète ? Qu'est-ce ? Un "autiste" ou bien un "poreux" ?
Un doux rêveur qui n'accepte pas le monde réel tel qu'il est et cherche à le fuir en se réfugiant dans une sorte de contemplation intemporelle (souvent, entre autre, d'une nature volontiers anthropomorphisée), ou plutôt une caisse de résonance sensitive du monde ? Un rebelle (à l'image de Rimbaurd, de Jacques Brel et de tant d'autres) ou un lettré de haut vol, un bourgeois plus familier des salons littéraires feutrés guindés où les universitaires dissertent sans fin du pourquoi et du comment de la poésie (peut-être comme, autrefois, l'on dissertait du sexe des anges) tout en disséquant sans répit les oeuvres et les démarches que suivirent les grandes figures de référence  que des "galères" populaire triviales qui, avouons-le, font un peu "tache" ?
A ce que j'en sais (mais je me trompe peut-être), en France, les poètes affectionnent les "chapelles", et ces dernières évoquent souvent des nids douillets, et/ou des tours d'ivoire.
La poésie s'obnubile d'elle-même et apparaît, ce faisant, comme "élitiste".
C'est à longueur de temps que les poètes se plaignent d'être boudés des médias et du grand public.
Je ne prétends pas ici qu'ils ont tort, qu'ils ne sont pas les victimes d'un large mouvement de "dépoétisation"
qui traverse l'ensemble de la société depuis les années soixante du XXème siècle, dans la logique d'un matérialisme de plus en plus envahissant de société d'abord marchande.
Cependant, ils se plaisent aussi à vivre en vase clos, en microcosme. Leur individualisme de créatifs, leur sensibilité d'écorchés vifs les pousse, fréquemment, à demeurer, de la sorte, retranchés.
Ils vivent la poésie comme une expérience intérieure, presque "spirituelle" (cf. Michaux), une expérience qui, en tous les cas, les soustrait à la vie courante.
Etant donné que toutes les "âmes généreuses" que compte l'Occident sont désormais revenues des grandes utopies marxisantes, la poésie, quand elle ne s'est pas tournée vers le monde de l' 'inconscient" cher à la psychanalise, s'est recentrée plus que jamais sur l'espace intime du poète et, en parallèle, sur l'évasion, la Nature, les fleurs et les petits oiseaux.
Bien des poètes se comportent (ou font l'effet de se comporter) comme s'ils étaient "déconnectés" de ce qui se passe dans le monde, non concernés par ce qui n'est pas leur dada : la poésie.
Grands sensibles, on dirait qu'ils cherchent à se "protéger" d'un univers dont la brutalité, la flagrante injustice les écoeurent (et il y a de quoi).
Depuis le surréalisme, l'engagement n'est plus de mise.
Depuis la chute du Mur de Berlin, la conscience politique est "ringarde".
La notion de "Tiers-mondisme" est souillée par les déceptions qu'a infligé le Tiers-Monde (eh non, il n'était pas la terre promise et exotique des lendemains qui chantent !).
Pour autant, le poéte est-il bien inspiré de rester dans sa coquille ? Peut-il prétendre, de la sorte, se couper de la société, d'une société qui est celle qu'elle est mais qui n'en demeure pas moins le cadre où, immanquablement, il évolue et qui, de surcroît, a tendance à devenir de plus en plus global ? La poésie n'implique-t-elle pas, en premier lieu, la présence au monde ?
Prenons le Tiers-Monde, justement; le Tiers-Monde regorge de poètes engagés.
En son sein, par obligation, le poète sait encore être un (vrai) rebelle.
Lisez Césaire, Laabi, Neruda, Timol (et bien d'autres encore)... vous verrez.
Ils n'ont pas le choix.
Ils vivent dans des mondes qui les interpellent trop.
Là-bas, la misère, le délabrement et la (vraie) violence sont à leurs portes.
Ils subissent quelquefois des menaces directes contre leur liberté.
L'injustice leur saute littéralement à la figure...
et ils n'ont pas la chance de disposer de gros capitons de paix civile ou d'abondance pour en étouffer l'écho sinistre.

P.L