Candide et le vilain petit canard

Publié le 21 septembre 2008 par Rendez-Vous Du Patrimoine

Toutes les illustrations sont de Janusz Grabianski pour les Contes d'Andersen et les Contes de Grimm (Flammarion, 1962, 1963)

Il était déjà bien tard quand, toujours accompagné de Pangloss, Candide, finit par trouver un hôtel où loger. Il était temps : tous deux désespéraient d’un bon lit et de bons draps. Ils n’espéraient rien de plus que d’y poser leurs corps épuisés et de dormir, enfin.

L’hôtel devait toutefois être des plus modestes et démuni de personnel car le tenancier à l’entrée ne se proposa même pas pour faire porter leur bagage, sans doute trop râpé à ses yeux.
Il leur remit juste une sorte de carte métallique, en jappant : « Votre clé, chambre 312 ». Ils n’avaient jamais vu semblable clé mais ni l’un ni l’autre n’osèrent poser de questions et titubant, rompus, chagrinés d’un accueil aussi peu honorifique eu égard à leurs nobles personnes, ils se tirèrent d’étage en étage jusqu’au troisième, en soufflant et en pensant que le meilleur des mondes possibles serait le bon lit qui les attendait.

Devant la porte 312, ils eurent un peu de mal à comprendre l’usage de cette « clé » qu’ils finirent par introduire dans le bon sens après de nombreux essais infructueux. La porte s’ouvrit : miracle, la chambre était déjà toute illuminée. Ils entrèrent, jetant leur sac et s’apprêtant à en faire de même de leurs corps endoloris quand leurs regards furent attirés par une fenêtre lumineuse posée sur une table, juste en face des lits.
Une inscription y scintillait : « Bonjour M. Candide. Bonjour M. le professeur Pangloss. La Direction vous souhaite un excellent séjour et une très bonne nuit ! ». Une petite musique douce en émanait aussi.
Ils en furent d’autant plus stupéfaits que le tenancier les avait à peine salués, leur réclamant juste leurs passeports d’un ton revêche.
Fascinés par cette boîte à lire, ils s’assirent et attendirent. Mais le message était toujours le même et ils finirent par le trouver un peu répétitif. Comment s’en débarrasser ?
C’est alors que Pangloss avisa un petit boîtier rectangulaire muni d’une grande quantité de touches de toutes les couleurs avec des chiffres et des signes mystérieux. En cherchant à l’ouvrir pour savoir ce qu’il contenait, il dut appuyer sur l’une des touches car, au même moment, la boîte lumineuse fit apparaître un nouveau message avec une musique beaucoup plus forte et le chiffre « 12 » en haut de l’écran : « Miss Sabrina : le vilain petit canard transformé en cygne ». Intrigués, ils pensèrent qu’une conteuse allait leur raconter l’histoire d'Andersen : ce serait parfait pour s’endormir.


Mais ce qu’ils virent et entendirent les étonna fort : il s’agissait d’une jeune fille que Candide trouva fort belle mais qui se trouvait laide : elle allait être transformée devant tout le monde !
On leur montra une sorte de cabinet de médecin avec les lampes et des appareils de toutes sortes. Sur une table couverte d’une nappe, il y avait des couteaux très fins, alignés comme à la parade et à côté un grand divan très éclairé. La voix expliquait que Sabrina allait rencontrer le « Professeur ». Pangloss crut d’abord qu’on parlait de lui mais bientôt apparut dans la boîte un personnage portant une ample blouse vert amande. Sabrina lui parlait en l’appelant « Docteur » et Pangloss comprit que c’était lui le « Professeur ».
Celui-ci la fit se déshabiller, lui dit de s’allonger sur le divan puis se mit à lui tâter les joues et la poitrine en dessinant avec un pinceau des courbes sur sa peau.
Candide n’était plus si fatigué qu’il le croyait. Il regardait de tous ses yeux et, admirant la jeune beauté qu’il voyait ainsi pour la première fois, croyait revoir sa chère Cunégonde qu’il aurait bien aimé tâter à nouveau.



Au bout d’un moment, le Docteur prit une grande aiguille et en transperça le bras de la belle Sabrina en lui disant qu’il faut souffrir un peu pour être belle.
Peu après, elle ferma les yeux d’un air ravi et sembla dormir tranquillement. Une troupe d’aides aussi costumés avec des mouchoirs vert amande sur la bouche et le nez, vint alors se regrouper autour d’eux, prêts à intervenir comme de mystérieux officiants. Mais l’image se rapprocha brusquement de Sabrina et des mains du Docteur. La musique devenait angoissante.
Stupéfaits, Candide et Pangloss virent avec horreur que le Docteur commençait à découper la belle Sabrina en commençant par les tempes et le contour des yeux. Sa peau pendait lamentablement et le sang giclait partout sur le vert amande.
« Il faut faire quelque chose ! dit Candide, debout au milieu de la chambre, on ne peut pas rester à ne rien faire ! Je vais descendre chercher de l’aide ! » Il se précipita vers la porte tandis que Pangloss secouait violemment la boîte à images pour en faire sortir l’affreux boucher. Mais, dans le mouvement qu’il fit, la boîte devint brusquement silencieuse et les images disparurent.
Tous deux restèrent pantois, atterrés de ce qu’ils avaient vu, stupéfaits de cette disparition brutale et imaginant que la suite se poursuivait en toute impunité, quelque part.
Mais s’ils descendaient chercher du secours, on les prendrait pour des fous puisqu’il n’y avait plus rien, ni boucher, ni princesse, ni desservants, juste une boîte noire et silencieuse !
Terrifiés d’avoir entrevu un monde nouveau qu’ils n’avaient pas envie de revoir, ils résolurent courageusement de ne pas bouger et de se mettre au lit au plus vite avant que la boîte n'aille à nouveau leur conter des histoires à dormir debout.
(d'après M. Voltaire)
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