Pakistan : Des militaires sous influence du Pentagone

Publié le 23 septembre 2008 par Theatrum Belli @TheatrumBelli

En dépit de ses affirmations, l’armée ne peut rien contre les incursions américaines sur son territoire car elle doit trop aux Etats-Unis. Et l’état-major joue double jeu.

Les Pakistanais ne se font plus d’illusions sur leur armée. Depuis plus de 60 ans [la création du Pakistan date de 1947], le peuple a été abreuvé d’un nationalisme militariste qui faisait endosser à l’Inde et, dans une moindre mesure, à d’autres voisins “hostiles” le rôle des méchants comploteurs. L’armée était alors présentée comme le protecteur de la nation et se manifestait de temps en temps pour “sauver le pays”. Officiellement entérinée par l’Etat, cette idéologie a favorisé de nombreuses interventions militaires, provoqué l’affaiblissement de la vie politique et entraîné la répression presque systématique de ceux qui remettaient en question le rôle de sauveurs des militaires.


Cependant, après les incursions très médiatisées des hélicoptères et des bombardiers américains sur le territoire pakistanais au début du mois de septembre, ce qui reste du mythe de l’infaillibilité de l’armée risque d’être définitivement anéanti. On sait que toute armée professionnelle d’un Etat-nation moderne doit assumer une responsabilité essentielle : celle de défendre la souveraineté nationale. Nos militaires ont lamentablement échoué. Et il est ironique que cela soit lié aux actions de Washington, leur bailleur de fonds historique. Bien entendu, les observateurs aguerris et les opposants à l’Etat militariste et à ses alliés américains ont toujours dénoncé l’idée que le Pakistan était bel et bien un Etat souverain et que son armée était l’héroïque défenseur de cette souveraineté. Ce n’est qu’à présent, cependant, que cette évidence est devenue un fait notoire.

A la fin des années 1940 et au début des années 1950, Islamabad a aidé les Américains, en pleine guerre froide, à construire une base secrète près de Peshawar, dans le nord-ouest du pays, pour faciliter les missions d’espionnage dans l’espace aérien soviétique. Premier à occuper le poste de commandant en chef de l’armée [en 1951] – et maître dans l’art du coup d’Etat –, le général Ayub Khan [qui a dirigé le pays de 1958 à 1969] a ouvertement offert à Washington les services de nos troupes pour protéger ses intérêts géostratégiques au Moyen-Orient. Plus tard, le général Zia ul-Haq [président du Pakistan de 1978 à 1988] a agi encore plus impudemment en “prêtant” les troupes et le territoire pakistanais aux Américains, dans les années 1980. A cette époque, un sentiment anti-impérialiste [antiaméricain] était palpable dans la classe laborieuse. Et pourtant, il n’y eut aucun mouvement contre la façon dont l’armée transformait le Pakistan en pays satellite des Etats-Unis. Pourquoi ? Sans doute à cause de la propagande inflexible qui a diabolisé les Soviétiques comme un “peuple sans Dieu”, faisant dès lors apparaître les Américains comme un “peuple du Livre”.

Ce n’est qu’après l’effondrement du système soviétique que le monde musulman s’est aperçu de l’incidence de l’impérialisme américain sur les Etats musulmans, et cette prise de conscience a souvent pris la forme d’un antiaméricanisme réactionnaire encouragé par la droite religieuse. Aujourd’hui, heureusement, cette droite n’est plus crédible et la complicité de l’armée avec les excès de l’Oncle Sam a été révélée au grand jour. Même les gens qui ne comprennent que vaguement l’histoire géopolitique de la région ne sont pas dupes des déclarations triomphantes récentes du chef des armées, le général Kayani. Ce dernier a en effet affirmé que les futures incursions des Américains [dans les Zones tribales, à la frontière afghane] seraient repoussées par l’armée pakistanaise… Rappelons que, il y a quelques semaines seulement, Kayani embarquait dans un avion américain en partance pour le Qatar, où il a rencontré au moins trois généraux américains directement responsables de la “guerre contre le terrorisme”. Il y a fort à parier que le chef des armées a alors été informé des incursions à venir et qu’il a donné son consentement (réticent ?).

Il est clair que la hiérarchie militaire pakistanaise est sous la tutelle du Pentagone. Il y a donc peu de chances que le général Kayani et ses officiers ordonnent aux troupes de résister réellement aux raids américains. Pour le moment, les bombardements ciblés et les missions commandos semblent être la stratégie de choix de Washington dans les Zones tribales. Et l’on peut s’attendre à ce que ces opérations continuent de provoquer des “dommages collatéraux” considérables. Le sentiment anti-impérialiste va s’intensifier, tout comme le sentiment antimilitaire et antigouvernemental. Et, pendant ce temps, l’establishment militaire va continuer, malgré la détérioration de la situation, à financer des combattants non réguliers [les islamistes visés par les Américains]. D’une manière presque absurde, ce double jeu de l’état-major est maintenant connu de Washington, du gouvernement Karzai à Kaboul et de pratiquement tous les observateurs attentifs.

Certains hommes politiques accusent régulièrement les militaires d’être responsable des troubles actuels, mais taisent le rôle de Washington. Dans les jours à venir, le fossé qui existe entre le peuple et les partisans de cette prétendue “guerre contre le terrorisme” ne peut que se creuser. Le Pentagone et la hiérarchie militaire pakistanaise ont toujours fait semblant de se préoccuper de la volonté populaire. Après le 11 septembre 2001, l’ancien président Pervez Musharraf affirmait qu’il apporterait son soutien à la “guerre contre le terrorisme” des Américains pour protéger la souveraineté territoriale du Pakistan. Maintenant que ce mensonge a été dévoilé, il est vraiment temps que les représentants élus par le peuple luttent aux côtés de celui-ci plutôt que du côté de l’impérialisme américain et de l’armée pakistanaise à sa solde.

Aasim Sajjad Akhtar

  • Professeur d’histoire et de sciences sociales à l’université des Sciences du management, à Lahore,
  • Militant au sein d’un mouvement socialiste pour les droits civiques.

Source du texte : COURRIER INTERNATIONAL