Alors, je ne suis plus allée le matin

Publié le 23 août 2008 par Unepageparjour

Alors, je ne suis plus allée le matin au bord de la rivière. Je suis devenue une petite fille modèle, très gentille, qui écoute ce que tout le monde lui dit de faire. J’ai fait semblant d’oublier cette histoire de fées. Je me suis mis à très bien travailler à l’école. Presque aussi bien que Mathieu. Parfois, j’étais même meilleure que lui. Alors il se fâchait. Il disait que c’était grâce à lui que je travaillais bien, qu’il m’avait beaucoup aidé pour que je m’améliore, et que ce n’était pas juste. Je me fâchais à mon tour et on ne se parlait plus pendant des semaines. J’avais envie de retourner au bord de la rivière pour retrouver les fées…mais mes parents me surveillaient mieux. Ils m’emmenaient en voiture à l’école. Je ne pouvais plus m’échapper. J’ai beaucoup appris du savoir des hommes, mais j’ai beaucoup oublié de l’autre savoir.

Fleur soupire un peu. Marie comprend qu’elle a besoin du bercement des roues. Elle fait alors demi-tour. C’est drôle, comme la lumière du restaurant parait loin. Tout ce chemin parcouru, sans même s’en apercevoir. Elle se demande si les garçons ont dévoré gloutonnement son tiramisu, ou bien, s’ils l’attendent, en se racontant des histoires de garçons.  

Tu vois, ma fille, les garçons ne sont pas les mêmes, quand ils sont avec nous, ou quand ils sont ensemble. C’est même quelque chose d’assez incroyable.


Marie frissonne de nouveau. Elle a froid, même. Alors, elle se hâte. L’eau est très noire, loin des lampadaires de la ville. Mais la rivière est juste, explique-t-elle à Fleur.

La nuit, elle est comme une vieille sorcière. Elle fait peur à tout le monde, dès que les lumières de la ville s’éteignent. Personne ne lui rend jamais visite. Alors, les gens inventent n’importe quoi. Il y a plein d’anciennes histoires. Des petites filles dévorées à minuit par une espèce de loup-garou qui aurait jailli de l’eau noire. Des amants noyés qu’on retrouve un an plus tard, leur squelette enlacés pour l’éternité. Des familles entières tombées dans l’eau, et dont personne n’a entendu les cris d’appel au secours, déchirant pourtant le nuit silencieuse. Ou encore des jeunes gens tout à fait téméraires qui auraient voulu patiner sur la rivière gelée, au milieu de la nuit de Noël, et que auraient été englouti sous la glace.

Toutes ces histoires font bien peur, n’est-ce pas, ma petite Fleur ? Mais sait-on ce qui est vrai et ce qui est faux ? Toi qui vient d’arriver, que penses-tu de nous ? Comment vois-tu nos habitudes ? nos idées ? nos manières d’être et de vivre ?