"Lacrimosa" de Régis Jauffret

Par Pamina755
Que faire d’un amour avorté ? Que faire d’une femme qui, faute d’avoir été suffisamment aimée, s’est pendue ? Et du chagrin qui accable celui qui reste ? Régis Jauffret en a fait un chef d’œuvre : « Lacrimosa ».
De « Univers, univers » à « Microfictions », l’univers romanesque de Jauffret était noir, désespérément noir. Meurtre, suicide, viol, folie, frustration, violence, l’écrivain excellait dans la peinture de la face sombre de l’humanité. Soudain le réel rattrapa la fiction quand, deux ans jour pour jour après leur première rencontre, son ancienne amante se suicide. Et le peintre implacable de la détresse humaine est conduit à braquer le projecteur sur sa propre histoire.
Dans « Lacrimosa », Jauffret imagine une correspondance entre un écrivain et la suicidée rebaptisée Charlotte, qui, d’outre-tombe, se rebelle contre la façon dont le narrateur réécrit son histoire. Au narrateur racontant leur relation et imaginant différentes versions du suicide, Charlotte répond avec une ironie cinglante : « -Espèce d’écrivain ! Toi et les tiens sont des charognards. Vous vous nourrissez de cadavres et de souvenirs. Vous êtes des dieux ratés, les bibliothèques sont des charniers. Aucun personnage n’a jamais ressuscité. Dostoïevski, Joyce, Kafka et toute cette clique qui t’a dévergondé, sont des malappris, des jean-foutre, des fripons, des coquins, des paltoquets ! ». Et l’écrivain de s’interroger sur ce que peut la littérature face à la mort: « J’ai fait ce que j’ai pu (...). J’ai essayé en vous écrivant une histoire de dompter la mort. Vous savez bien que je n’y suis pas parvenu. » Certes il n’a pas dompté la mort mais il a réalisé le vœu de Charlotte (« je te demande d’imaginer mes sentiments pour toi disparus avec mes dernières pensées. Quand on est un peu patraque, ça change les idées de se dire qu’on a été aimé »), en lui édifiant un tombeau à la beauté déchirante.
« Lacrimosa », Régis Jauffret, Gallimard, 218 pages,16,50€.