"L'élection du président du Sénat : l'opportunité d'un sursaut démocratique", Les Echos

Publié le 30 septembre 2008 par Cabinetal

Le point de vue d'ALAIN LAMBERT

L'élection du président du Sénat : l'opportunité d'un sursaut démocratique

ALAIN LAMBERT

La France est en panne. Elle a peur. Et la peur est mauvaise conseillère. Elle cloue l'envie d'entreprendre, d'investir, de croire en l'avenir. Elle cache l'inertie sous le voile pudique de la prudence. Certes, la crise nous prend à la gorge. Après le réchauffement climatique, les vagues de terrorisme, la guerre de l'énergie, voici maintenant la crise financière aux Etats-Unis en attendant la contagion à l'Europe entière. Les motifs de nous abandonner à la providence ou au désespoir nous cernent.

Alors, plus que jamais depuis soixante ans, en cet anniversaire de la Ve République, c'est le temps du politique. De ceux qui ont été choisis par les Français pour les représenter et gérer leurs affaires communes. Encore faut-il que le politique ne soit pas lui-même englué dans une peur permanente, dans la gestion de ses conflits internes, dans la mise en musique de ses ambitions, dans la sordide mais sourde et constante envie de plaire plutôt que servir. Oui, voici venu le temps du courage, de la vérité, du risque. Oui, le sursaut est possible. Il attend simplement que des gens de bonne volonté se lèvent et aient le cran, l'audace de sommer la classe politique, toutes tendances confondues, de cesser de se chamailler sur l'accessoire et de trouver immédiatement les voies et moyens d'un consensus sur les sujets prioritaires et vitaux pour l'avenir de notre pays. L'élection d'un nouveau président du Sénat en offre la plus belle opportunité. Depuis la réforme constitutionnelle de juillet dernier, le Parlement a vu ses pouvoirs renforcés pour trouver un équilibre à la présidentialisation progressive de la Ve République. L'Assemblée nationale tardera à s'émanciper car son calendrier électoral est rivé sur celui du président de la République, dont l'élection fixe presque mécaniquement la couleur de la majorité. Le Sénat est plus libre. Son calendrier est autonome. Son rythme triennal sied parfaitement à des visées de moyen et long terme. La haute assemblée ne peut censurer le gouvernement et ne peut être dissous. C'est dire si elle est absolument en mesure d'affirmer son autorité et son indépendance. Cela ne dépend que d'elle.

Son nouveau président doit se positionner, avant l'élection, sur cette question fondamentale de l'indépendance par rapport à l'exécutif. Un Sénat aux ordres serait inutile. Un Sénat contre-pouvoir serait providentiel et irremplaçable. Il est en mesure demain de poser des conditions incontournables à son soutien au président de la République comme à son gouvernement. Garantir par exemple le retour à l'équilibre de nos comptes publics en 2012 et refuser tout texte qui en différerait l'échéance. Réclamer le partage des moyens des corps de contrôle, d'inspection et d'évaluation actuellement placés à la seule disposition du gouvernement. Conduire le chantier de la simplification du droit, source du ralentissement de la croissance et de blocages institutionnels et sociétaux. Dompter la législation européenne, la modeler pour la faire obéir aux besoins réels des citoyens. Piloter la recomposition territoriale gangrenée par l'empilement des structures. Moderniser la démocratie parlementaire afin que chacun trouve légitime que leurs représentants s'accordent sur l'essentiel et cessent de se déchirer et de se diviser sur l'évidence. Enfin, inventer « le nouveau Sénat », cette haute assemblée qui ose dire non lorsque le gouvernement erre, et qui sait dire oui sans barguigner à chaque décision forte et courageuse. Le sursaut dont la France a besoin ne descendra pas comme l'esprit saint sur les sénateurs. Encore faut-il les placer solennellement face à leurs responsabilités historiques, ne tolérant plus aucun petit arrangement entre amis, mais exigeant, à l'inverse, pour la transparence et la recherche exclusive de l'intérêt général. Je sais, cela demande un minimum de risque. Celui de prendre position. De mécontenter. De ne pas plaire un instant aux princes qui gouvernent comme à leurs petits marquis. Demain, les sénateurs ont le choix d'impulser le sursaut démocratique tant attendu par les Françaises et les Français.