Soliloque

Publié le 23 septembre 2008 par Vivreenislande @vivreenislande
- Oui mais alors pourquoi ?
- Pourquoi quoi ?

- Et bien pourquoi avoir décidé de partir ?

Pourquoi avoir abandonné ton pays, ta si ravissante maison bretonne, tes chers amis, ta famille ? Pourquoi avoir privé tes enfants de leurs camarades de jeu ? Pourquoi avoir troqué les châteaux de sable pour les bonshommes de neige ? Pourquoi les avoir obligé à apprendre une langue parlée par 0,04% de la population mondiale ? Et encore, j’arrondis !
Pourquoi ?
- Pourquoi, pourquoi ? Pourquoi les murs ont-ils des oreilles alors qu’on écoute aux portes ? disait machin.

Les pourquoi ont ils toujours besoins de parce que ? Faut-il toujours une raison ?
Et pourquoi l’Islande aussi, non ? Pourquoi l’obscurité, le froid, l’isolement ? Pourquoi l’hibernation en hiver et l’insomnie en été ? Pourquoi t’es con ?
Hein ? Pourquoi ?

C’est tout de même marrant cette insistante curiosité pour les choix de vie des autres, insolites ou pas.

J’en sais rien moi pourquoi ? Tu m’énerves avec tes questions.

Parce que je passe enfin plus de temps avec les miens, parce qu’il m’en reste encore pour rêver, pour flâner, pour lire, pour écrire, pour le regarder passer le temps et en conclure qu’il était temps justement.
Parce qu’il existe des sujets de réflexion ô combien plus passionnants que de chercher le moyen de vendre plus de yaourts Danone aux consommateurs. Ce que j’ai tout de même fait pendant une quinzaine d’années.
Parce que je me bats les couilles de savoir quelle équipe va gagner la Coupe de France de football cette année. Ou encore quelle sera la prochaine denrée périssable en promotion chez Michel Drucker.

Parce que là-bas, en France, les gens ne rêvent plus.
Ils gèrent. L’argent qu’ils n’ont pas ou celui dont ils ne savent plus quoi faire tant ils en ont. Et qu'ils ne se battent pas non plus pour en avoir des rêves.
Ils composent avec leurs faiblesses, leurs lâchetés, leur velléité.

Parce que là-bas, en France, les gens ne s'écoutent plus et ne se parlent pas. Ils se vantent, radotent, tournent en rond.

Et puis parce qu’à force de ne plus espérer, à force de baisser les bras, à force de se laisser prendre pour les cons qu’ils sont, ils m’ennuient prodigieusement.

Je les trouve conformistes, prétentieux, suffisants, agressifs, malhonnêtes, râleurs, égoïstes, les gens.

Voilà pourquoi.

- Ben qu’est ce qui t’arrive ? T’as pété les plombs ? Ils l'ont cryogénisé ton cerveau ?
Ils sont pas tous comme ça heureusement.
Et puis c’est pas totalement de leur faute. Ils n’ont pas tous ni toujours le choix.
T’as rien de plus positif à raconter ? Hein ? Un peu facile de critiquer depuis ton cratère. T’as pas toujours été un Robinson au pays des volcans, d'accord ? T'as été et t'as fait aussi comme eux, non ? Alors faut pas pousser mémé dans les sources d’eau chaude !

- Ouais, je sais. Mais reconnais que c’est quand même triste tout ça. Cette médiocrité complaisante qui prend racine.
Bon, mais c’est vrai, il y a d’autres raisons à ton pourquoi.
D'abord je suis "violemment heureux" ici. Peut être pas pour les raisons invoquées dans la chanson de Björk, mais parce que ce pays est à n'en pas douter époustouflant de vitalité brute. Le froid, la nuit, le vent, la pluie régissent le climat mental des habitants.
Et l'isolement qu'engendre l'insularité renforce un peu plus le sentiment d'un contact privilégié avec la terre et la nature.
En France par exemple, la perspective du rendez-vous hebdomadaire avec le supermarché du coin pour faire ses courses aurait pu rendre un clown neurasthénique. En tout cas, moi, c'était le genre de contraintes récurrentes dont je me serais bien passées. Ici, en décembre, rien que le trajet de chez toi jusqu'au magasin, quand il fait déjà nuit à 15h00 et qu'un vent glacé t'envoie ses arômes iodés et fait virevolter des flocons gigantesques sur une capitale tapissée de blanc, s'apparente davantage à une aventure polaire qu'à une hyper galère. Facile alors de s'imaginer en trappeur des temps modernes et de laisser ce "violent bonheur" t'envahir totalement. C'est tout de même autre chose que d'aller Auchan sous un crachin morose, en reniflant les relents hydrocarburés, avant de croiser les masques tristes de tes concitoyens poussant mollement leurs geôles sur 4 roues comme des ombres grises et prisonnières, tu crois pas ?
Et puis ici tout est simple. Les gens sont simples et gentils tu vois. Simplement gentils.
T'as besoin d'un truc, n'importe quoi, ils sont là. Ils te conseillent, ils t'expliquent, ils te renseignent, ils se bougent pour toi. Ils sont pas obligés. Personne va les engueuler. Ils vont pas gagner plus parce qu'ils t'aident un peu. Mais tu leur souris, tu leur dis dans leur langue que tu bites pas un traître mot d'islandais, t'as l'air perdu sur leur île (ils vendent même des tshirts avec marqué "Lost in Iceland", je te jure !), alors ils sont là pour toi.
Tu veux payer ta baguette avec ta carte bancaire parce que t'as pas de cash ? No problémo. C'est l'usage ici.
T'as perdu une fois de plus ton code pour accéder à ton compte sur internet ou alors tu sais pas comment payer une facture rédigée en islandais ? Et bien tu vas voir ta banque, t'attend une minute trente quand il y a beaucoup de monde, et un gars te redonne immédiatement ton 23e code, te paie ta facture pour te rendre service et en plus te félicite parce que t'as battu son équipe en finale olympique de handball. C'est pas plus compliqué.
T'as besoin d'un taxi pour 100 mètres parce que t'es chargé de courses ? C'est kif kif macareux. Non seulement le type te prend mais en plus il râle pas. Il te manque l'équivalent d'un euro pour lui régler sa course ? C'est cadeau. Et avec le sourire encore.
Transpose avec la France. Ok ? T'imagines la scène. Et bien tout est comme ça.
Et tu me demandes pourquoi ?
Et puis parce que, surtout, il était temps d’offrir une possibilité d’achèvement à mes rêves adolescents, de faire enfin ce que j'avais dit qu’un jour je ferais, contrairement à d’autres. Parce que la routine, le quotidien, l’habitude me gavent et que le risque, l’inconnu, la nouveauté me dopent.
Et enfin aussi parce que t’as raison : je suis un taré. Et que comme le disait Audiard ( ?) : « bienheureux les fêlés parce qu’ils laissent passer la lumière ». Et que moi ça m’arrange sacrément bien de la laisser passer la lumière, si tu vois ce que je veux dire.
T’as d’autres questions ?