Rentrée littéraire : Interview de Seth Greenland

Publié le 01 octobre 2008 par Chictype

9h30. Paris 6è, éditions Liana Lévi.

Rendez-vous avec l’un des auteurs les plus désopilant des Etats-Unis, Seth Greenland.

Au sous-sol des éditions Liana Lévi, autour d’un bureau très bureau, rencontre avec le scénariste, dramaturge et romancier Seth Greenland, auteur d’une farce politique désopilante nommée « Un Patron modèle. » Son anti héros, Marcus, marié deux enfants, est salarié d’une usine qui fabrique des jouets à l’effigie du président Bush. Une délocalisation en Chine le contraint au chômage. Une maison à crédit, la boutique de mode de sa femme, le quotidien financier de la classe moyenne et voilà les ennuis qui frappent à la porte. Et voici le macabre hasard qui sonne à sa porte: un avocat porteur du testament de son frère, mort pour cause d’abus de pizzas, de call-girls et de cocaïne. Il ne laisse que des dettes sauf une blanchisserie. Marcus, ex-étudiant en philosophie, y voit l’occasion de retravailler. Problème: le commerce dissimule un réseau de prostitution. Et voilà notre symbole des classes moyennes qui se transforme en maquereau humaniste.

Il ouvre des plans épargnes à chacune des filles, instaure un club de lecture afin de les éduquer ( « Anna Karénine » sera le seul livre à faire les frais de cette tentation pédagogique. Les billets verts affluent, Marcus prend goût à son job, permet à sa famille de vivre dans l’opulence. Le pépin, avec ce genre de métier, fait parti de la routine. Quand un client succombe à un crise cardiaque lors d’une passe, Marcus se voit contraint d’emporter le corps – exercice difficile, pénible, lent, long et douloureux – dans une forêt qui surplombe Los Angelès. Le succès de son management humain attire les filles et froisse la concurrence. Les flingues font leur apparition. Et l’histoire n’est qu’à mi chemin.

Si Seth Greenland n’a pas encore les honneurs de la presse littéraire parisienne – le Monde des Livres l’a jugé amusant mais pas à sa place dans un automne romanesque rébarbatif forcément rébarbatif ; Libération hésite texto « à se lancer dans cette traversée », par traversée entendez la lecture dudit livre - cela est purement et simplement scandaleux. L’esprit de sérieux est en train de tuer toute curiosité chez une partie de la critique professionnelle. Bref.

Shinning City, la version originale du Patron modèle.

Autour d’un café fait maison, l’homme – crâne impeccablement et volontairement déplumé, vêtement de sport, décontraction sans ostentation, cet écrivain multiforme s’avère un excellent camarade de conversation.

Comment êtes-vous perçu aux Etats-Unis?

Je bénéficie de beaucoup d’attention de la part des critiques, mais je ne suis pas un auteur dit de best seller. Comparé au public, les critiques me préfèrent.

« Mister Bones » et « Un patron modèle » font penser à une mécanique proche des meilleures séries de HBO. Vrai ou faux?

J’ai travaillé pour des shows télé. Nous étions sept scénaristes assis autour d’une table à écrire chacun un bout d’une histoire. Puis à la réécrire, deux fois, trois fois. Dans notre jargon, nous appelions ça un gang bang, comme un viol répété plusieurs fois sur un scénario. Auparavant, j’ai étudié la littérature puis le cinéma à UCLA avec Jim Jarmusch et Spike Lee qui étaient dans ma promotion. En tant que scénariste, j’étais nourrit de François Truffaut et de Woody Allen. J’ai écrit mes premières pièces, dont « Jungle Rat » une comédie à propos de la CIA qui tentait de tuer Patrice Lumumba, le chef d’état africain. Avec les majors, j’ai commencé a éprouver un sentiment de frustration. J’ai alors commencé à écrire un roman. Depuis, je vis loin d’Hollywood, dans les montagnes.

De quelles matières avez-vous besoin pour démarrer l’écriture d’un roman? Un personnage, une situation, une idée?

Un personnage. Il y a cinq ans, j’avais lu un article qui racontait comme un couple de la classe moyenne de Los Angelès avait une prostituée à la maison afin de gagner de l’argent. En fait, le mari était venu à L.A afin de devenir acteur, il avait échoué, et lui et sa femme avait trouvé comme solution de devenir maquereau. De ce fait divers est né mon personnage de Marcus. J’en un fait un maq’ intéressant. Puisqu’il a étudié la philosophie, il se replonge dans Aristote et consors pour enduire d’une patine intellectuelle son infamie morale.

Le propos principal, outre l’humour et le divertissement, semble politique. Marcus est, par ricochet, victime du capitalisme fou.

Absolument. Les américains refusent de lire mon livre sous cet aspect, car il n’y a que le divertissement qui compte pour eux. T.S.Eliot disait que « les américains ne voulaient pas regarder trop de réalités en face. » Je ne peux pas dire mieux. L’histoire de Marcus et de sa famille est celle de tous les américains qui sont endettés, avec des crédits immobiliers très importants sur le dos. Le livre pressent la crise, même si je ne suis pas un voyant. Il suffisait de regarder les faits – les crédits accordés à des taux d’intérêt faramineux, sans garantie, à des gens non solvables – pour appréhender ce futur qui est devenu réalité.

Sarah Palin, elle est une insulte pour les valeurs américaines.”

Cela veut dire que depuis l’écriture de ce « patron modèle », il y a des millions de Marcus potentiel?

On peut le craindre! ( Rires) La crise, la pauvreté poussent les gens à franchir la ligne jaune pour survivre. Ce m’a donné une merveilleuse matière pour écrire une histoire drôle.

A quelques semaines des élections, Barack Obama peut-il gagner?

Oui. Parce que je le veux! John McCain ne connaît rien à l’économie quand à sa colistière Sarah Palin, elle est une insulte pour les valeurs américaines. Elle n’a aucune pensée, gouverne l’Alaska en redistribuant les dividendes du pétrole et du gaz a ses électeurs, ce qui est facile. Lorsqu’elle a rencontré Henry Kissinger, ils n’ont rien eu à se dire. Alors, Kissinger a fait le show en la prenant sur ses genoux. C’était la seule possibilité pour lui de ne pas la ridiculiser. Pour moi, scénariste et romancier, elle est irrésistible comme personnage de comédie. Elle est le fruit d’une hallucination. Elle me fait penser au personnage que jouait Frances McDormand, cette femme flic prénommée Marge, dans « Fargo ».

A propos, ou en est la culture américaine?

Paradoxalement, il y a beaucoup de livres, de pièces, de films intéressants. Mais la culture est marginalisée. Les américains ne lisent pas, préfèrent regardent les courses de voiture à la télévision, bref le néant. Le problème les plus grave est que nous faisons maintenant une culture pour le plus grand nombre. Difficile alors de faire un livre sérieux ou un film exigeant…

Il lève sa longue carcasse, salue sympathiquement et repart vers d’autres entretiens. Son roman Mister Bones devait être réalisé et adapté par David Mamet. Produit par Sony, le projet a capoté. Ils ont viré Mamet! Quant à ce patron modèle, la Warner « dépense beaucoup d’argent pour le développer, ce qui est bon signe » s’amuse-t-il. « Plus ils dépensent, plus ils sont obligés de le produire » conclut-il, en fin observateur du dress code hollywoodien.

UN PATRON MODELE, de Seth Greenland. Editions Liana Levi.

MISTER BONES, de Seth Greenland, est disponible dans la délicieuse collection de poche « Piccolo », toujours chez Mlle Liana Levi.

The Bones, en V.O.

Lire aussi : http://www.iprostitution.org/2008/09/25/livre-un-patron-modele-de-seth-greenland/

Source : http://lewesternculturel.blogs.courrierinternational.com/archive/2008/09/30/coffee-with-seth-greenland.html