Implantation du français en Mauritanie par Ciré Ba

Publié le 21 septembre 2008 par Bababe

HISTOIRE

Ciré Ba

Les Français nont pas attendu la pénétration officielle de 1901 pour fonder des écoles en Mauritanie. La première école fut créée en 1898, à Kaédi....

Les Français n'ont pas attendu la pénétration officielle de 1901 pour fonder des écoles en Mauritanie. La première école fut créée en 1898, à Kaédi....Langue superposée dont l'implantation est étroitement dépendante du fait colonial, la diffusion du français fut, en Mauritanie, plus qu'ailleurs en Afrique Occidentale, confiée à la seule institution scolaire dans le cadre d'une politique linguistique qui, " assimilationniste " ou " assimilatrice " dans les textes, se révéla beaucoup plus pragmatique dans la réalité et s'adapta à la personnalité linguistique des colonisés.

3.1. Les principes

3.1.1. Une volonté politique de diffuser le français par l'école Dès la fondation des premières écoles au Sénégal en 1817, la France affirme sous la plume de ses Gouverneurs Généraux successifs son suprême intérêt pour l'institution scolaire, en vue d'une plus grande emprise sur les populations autochtones. Dans sa circulaire du 22.6.1897 relative au fonctionnement des écoles des pays du Protectorat, le Gouverneur Général E. Chaudié écrit : " L'école est, en effet, le moyen le plus sûr qu'une nation civilisatrice ait d'acquérir à ses idées les populations encore primitives et de les élever graduellement jusqu'à elle. C'est aussi l'élément de propagande de la cause et de la langue française le plus certain dont le Gouvernement puisse disposer. C'est l'esprit de la jeunesse qu'il faut pénétrer et c'est par l'école, et l'école seule, que nous y arriverons. "Le Gouverneur Général William Ponty renchérit sur ces propos dans une circulaire du 30.8.1910 : " C'est elle (l'école) qui sert le mieux les intérêts de la cause française et qui en transformant peu à peu la mentalité de nos sujets nous permettra de les acquérir à nos idées sans heurter aucune de leurs traditions. "

Plus tard, en réorganisant l'enseignement par la circulaire du 1.5.1924, le Gouverneur Général de l'A.O.F. Carde exhorte ainsi les administrateurs coloniaux à répandre le français : " Le français doit être imposé au plus grand nombre possible d'indigènes et servir de langue véhiculaire dans toute l'étendue du territoire. Son étude est rendue obligatoire pour les chefs. Mais notre contact ne s'arrête pas au chef. Il pénètre plus loin dans la masse et le recrutement militaire comme aussi nos relations économiques met en rapport direct et constant Blancs et Noirs de toutes conditions. Il faut donc répandre en surface le français parlé. " Et le G. G. d'inciter les administrateurs à créer davantage d'écoles : " Multipliez donc les écoles préparatoires, appelez-y le plus d'enfants possible, et apprenez-leur à parler français. "Un peu plus tard, la circulaire Brévié du 8.4.1933 rappelle que " la langue française est la seule qui doive nous occuper et que nous ayons à propager. Cette diffusion du français est une nécessité ; La langue française sert de base à notre enseignement. C'est en français que nous devons faire toutes nos leçons. "

3.1.2. La variété de français enseigné

Pour des raisons à la fois politiques et psycho-pédagogiques, le français enseigné sera un français " véhiculaire " " compris non pas comme une fin en soi mais comme un simple moyen d'acquérir des connaissances pratiques " en utilisant la " méthode directe " qui consiste à montrer l'objet dont on dit le nom (Hardy, 1916, cité par Turpin, 1985, 14). Comme l'observe Manessy, 1978, 340, " il semble bien que "le français parlé" des programmes n'ait jamais été autre chose que l'idiolecte qui permettait au maître indigène responsable de l'école de village de converser avec ses supérieurs hiérarchiques, le commandant de cercle ou son représentant, et surtout avec les membres du personnel administratif du poste. En dehors de l'entraînement à la lecture et des exercices grammaticaux, la langue pratiquée en classe n'était guère différente du français de tradition militaire ".

3.1.3. L'organisation pyramidale de l'école coloniale

L'école coloniale est organisée selon un système pyramidal mis sur pied pour l'A.O.F. par l'arrêté du 24.11.1903 (G. G. Roume) et aménagé par l'arrêté du 1.5.1924 (G. G. Carde). Les divers ordres d'enseignement y sont nettement hiérarchisés et combinent, en théorie du moins, enseignement de masse à la base et élitisme au sommet : À la base se trouvent les écoles préparatoires (dites " écoles de village ") dont le but essentiel est " de diffuser le français parlé dans la masse de la population " et qui sont en principe dirigées par un moniteur indigène non titulaire du Certificat dÉtudes. Elles sont " ouvertes en premier lieu aux fils de chefs et de notables " mais doivent recruter le plus largement possible. L'enseignement de l'arabe y est prévu, au moins au début de la colonisation, mais uniquement en pays musulman. Au stade intermédiaire fonctionnent les écoles élémentaires qui comprennent elles-mêmes deux maîtres et deux niveaux, cours préparatoire et cours élémentaire, et qui sont réservées aux élèves sélectionnés dans les écoles préparatoires. À un niveau plus élevé sont mis en place les cours moyens des écoles régionales qui, situées dans les chefs-lieux des cercles ou dans des centres importants, recrutent les fils de chefs et les meilleurs élèves des cours élémentaires. Comprenant au moins trois classes, elles sont obligatoirement dirigées par un instituteur français et mènent les élèves, internes ou boursiers, au Certificat dÉtudes Primaires.

À un degré supérieur fonctionne l'enseignement primaire supérieur et commercial donné à l'École Faidherbe de Saint-Louis du Sénégal. N'y ont accès que les Africains diplômés du C.E.P. " dans l'ordre de la liste de mérite " et en fonction des besoins.L'École Normale, située également à Saint-Louis, forme dans deux divisions les instituteurs, les interprètes et les cadis.Parallèlement existent des écoles urbaines réservées majoritairement aux élèves européens et dont le programme est celui des écoles primaires de la métropole.Par ailleurs sont dispensés des cours d'adultes ayant pour but l'initiation des " indigènes dépourvus de toute instruction à l'usage du français parlé " et il existe des écoles professionnelles destinées à la formation des ouvriers et artisans qualifiés dont les colonies ont besoin.

3.2. L'adaptation au terrain et les limites de la primauté du français

La spécificité de la situation de la Mauritanie (puissantes résistances militaires, politiques et culturelles, hostilité des populations, traditions coraniques fortes) obligèrent très tôt les administrateurs coloniaux à mettre partiellement de côté les principes généraux et à s'adapter à un terrain hostile, en adoptant une politique linguistique spécifique. L'une des parades fut d'accorder dans l'école coloniale une place importante à l'enseignement religieux et à l'enseignement de l'arabe, en particulier par la création en pays maure d'un type détablissement scolaire particulier, la médersa.

3.2.1. La place accordée à l'arabe

Comme la relevé Queffélec, 1995, 837, dans les pays islamisés de l'A.O.F., la puissance coloniale accorda très tôt un statut particulier et privilégié à l'arabe en matière administrative et judiciaire puisque jusque dans les années 1910 cette langue fut pratiquement systématiquement utilisée " dans la rédaction des jugements prononcés par les juridictions musulmanes, dans la correspondance officielle avec les chefs et les notables et dans presque toutes les circonstances de la vie administrative des cercles " (Turcotte 1983, 8). Il fallut attendre 1911 et la circulaire du G. G. W. Ponty pour que cette " complaisance qui risquait d'induire en erreur les Africains non islamisés sur les véritables intentions de l'administration coloniale en matière linguistique et religieuse ", fût supprimée et pour que s'opérât la substitution définitive du français à l'arabe dans les documents officiels où cette langue avait jusque-là été utilisée.

Par ailleurs, pour faire contrepoids à l'enseignement coranique assez populaire (14) et attirer les enfants que les parents étaient réticents à envoyer dans les " écoles des Infidèles ", les autorités coloniales dérogèrent très tôt au principe d'exclusivité du français et introduisirent l'enseignement de l'arabe dans certaines écoles publiques. Les enseignants appelés à servir dans les régions islamisées devaient ainsi, selon un arrêté de 1893, parler et écrire arabe. Le programme scolaire défini par l'arrêté du 24 .11.1903 confirme dailleurs explicitement que, dans les écoles régionales des pays musulmans, la langue arabe est enseignée à côté de la langue française et qu" un marabout doit être attaché à l'école pour l'enseignement de l'arabe ". Faute de pouvoir se substituer aux écoles coraniques que l'administration tenta de franciser (15), l'enseignement officiel sefforça de les concurrencer en intégrant dans les programmes lenseignement de l'arabe qui ne deviendra facultatif en pays islamisé quen 1945 (Arrêté du 22.8.1945).Cependant, ces mesures sont jugées insuffisantes. Suivant les recommandations formulées dès 1906 par le premier directeur du Service des Affaires Musulmanes en A.O.F. (16), fut créé un enseignement franco-musulman (aussi appelé franco-arabe) dispensé dans des établissements spécifiques, les médersas.

3.2.2. Les médersas

Leur création correspond essentiellement à des objectifs politiques (17) (" soustraire les enfants des familles de notables à l'obéissance des confréries et des tolbas " et " canaliser, au profit de la politique française, l'influence exercée par les Musulmans lettrés sur leurs coreligionnaires ") et pratiques (" établir un point de contact entre les Musulmans lettrés et notre administration et préparer des interprètes, des juges et des secrétaires de tribunaux indigènes pour les régions islamisées " (Arrêté du 1.11.1918 définissant un " enseignement primaire supérieur musulman ").Cependant pour la création de ces médersas, l'administration coloniale établit une distinction entre " pays maure ou fortement arabisé " et " pays noir " : comme l'explique Marty en 1917, " le principe de la médersa est excellent mais son application doit être judicieuse. C'est ici ou jamais le cas d'user de distinguo théologiques. Or, en pays maure ou fortement arabisé comme Saint-Louis ou Tombouctou, où les indigènes parlent, lisent, écrivent tous l'arabe, où le catéchisme fait dans leur langue maternelle est entré dans l'esprit des plus humbles, où le nombre des lettrés est abondant et les sciences fort cultivées, la médersa s'impose, non pas à vrai dire " pour développer les études supérieures musulmanes ", puisqu'elles existent, mais pour les canaliser, pour tenter sinon un accord complet, tout au moins un rapprochement et une entente courtoise entre la religion et la science, entre la foi des fils du Prophète et la civilisation des Français. Le but est noble en lui-même et compte au nombre de nos devoirs d'éducation. Au surplus, il facilitera considérablement notre tâche politique. Mais en pays noir aucune de ces conditions ne se rencontre, aucun de ces buts ne s'offre et la médersa se présente comme un séminaire créé et entretenu et salarié par nous d'où sortiront les prêtres, ennemis souvent, douteux toujours. "En vertu de ces principes, deux types de scolarisation vont se mettre en place en Mauritanie, l'un à destination des populations négro-mauritaniennes, semblable à celui qui sera proposé aux populations du Sénégal, l'autre à destination des populations maures.

3.3. La mise en place de l'école coloniale et ses résultats médiocres

Même si l'école coloniale prend soin de ne pas trop heurter de front les traditions et les convictions religieuses des colonisés (d'où le rôle important réservé à l'enseignement de l'arabe), elle va se trouver confrontée à la réticence des populations, extrêmement forte en pays maure, plus réduite en pays noir (18).

3.3.1. L'enseignement en pays noir

3.3.1.1. L'école de Kaédi

Les Français n'ont pas attendu la pénétration officielle de 1901 pour fonder des écoles en Mauritanie. La première école fut donc créée en pays noir, en 1898, sur la rive droite du fleuve Sénégal, à Kaédi qui relevait alors de la colonie voisine du Sénégal, et non en 1892 (Bouche, 1975, 691) ou en 1905 (de Chassey, 1972, 467 et 1984, 153). En effet, le capitaine commandant à l'époque le cercle de Kaédi, écrit le 1er janvier 1897 (19) : " Il n'existe pas d'écoles dans le Bosséa ni à Kaédi. Un crédit est prévu au budget régional de l'année prochaine pour un essai d'école à Kaédi. " Les travaux de celle-ci avancent en 1898, puisque le même administrateur note en juillet de la même année : " L'école de Kaédi a fonctionné pendant toute la durée du mois sous le hangar du tribunal du cadi. " Quelques mois plus tard (31 octobre 1898), il ajoute : " L'école est presque terminée. Cette construction répond bien aux besoins de l'enseignement. Sa solidité et son élégance la font admirer par les étrangers.

L'inauguration pourra avoir lieu vers le 1er décembre, si les derniers matériaux commandés arrivent à temps. À partir du 9 septembre (?) les classes seront faites au tribunal du cadi. " Enfin le 31 décembre 1899, il peut affirmer non sans fierté : " L'école de Kaédi fonctionne très bien ; elle comprend 48 élèves, 28 du Bosséa, 20 des villages de Touldé, Gattaga ou Kaédi. " Cette ouverture ne s'est pas faite, dailleurs, sans heurts, à croire ce commandant de cercle : " À l'occasion de l'ordre donné d'envoyer des enfants de l'intérieur à lécole de Kaédi, les Toucouleurs ont manifesté leurs vrais sentiments à notre égard. Les parents ont cherché tous les faux-fuyants pour se soustraire à cette obligation ; il a fallu sévir contre les récalcitrants. " (20) L'école ne compte pas d'élèves maures (21) qui n'apprécient pas le climat trop humide pour eux et dont les parents " supportent mal la répugnance quils ont à les savoir en contact avec des Noirs " (22). L'orsque les élèves sont mis en vacances le 1er août 1899, les résultats sont jugés satisfaisants : les élèves de la première division " possèdent des connaissances appréciables et se font assez bien comprendre en français. Ceux de la deuxième division savent assez bien lire et écrivent un peu " (23). Cependant, bien quils soient tous musulmans, l'arabe ne leur est pas enseigné.

Nous perdons ensuite la trace de cette école dans les rapports jusqu'en 1907 où nous apprenons quà la suite d'une suppression de bourses en janvier 1905 elle a vu subitement tomber le nombre de ses élèves à 7 ; cette situation ne devait pas tarder à s'améliorer puisque dès le début de lannée 1906, 24 élèves fréquentaient l'établissement. En 1911, ils sont 43 et donnent satisfaction à leurs maîtres. Entre-temps, dix boursiers destinés à être interprètes, dont cinq Maures, suivent les cours de la médersa de Saint-Louis et un autre, Toucouleur, ceux de la médersa supérieure dAlger, après avoir été un brillant élève à Saint-Louis ; il s'agit du futur interprète-moniteur Mahmadou Ahmadou Bâ, titulaire du brevet d'arabe de la Faculté des Lettres d'Alger.Visitée le 7 juillet 1913 par E. Courcelle, Inspecteur de lEnseignement du Sénégal, l'école de Kaédi, dirigée par le moniteur Samba Fall dont " la valeur pédagogique est à peu près nulle " (24), compte 45 élèves et comporte par ailleurs un cours d'adultes fréquenté par 15 élèves à qui Samba Fall fait bénévolement la classe. En 1918, dirigée par Birama NDiaye, elle compte 48 élèves dans une classe comprenant trois cours (25).

3.3.1.2. L'école de Boghé

En 1912 est créée une deuxième école, à Boghé sur le Sénégal qui, après une période de tâtonnements, totalisera en 1923 55 élèves répartis en deux classes auxquelles s'adjoint un cours d'adultes de 32 élèves. Lensemble est dirigé par l'instituteur Diawar Sarr.Inspectées par M. Arnaud, Inspecteur des écoles, le 10 février 1923 pour Boghé et le 12 février 1923 pour Kaédi, les deux écoles donnent satisfaction, surtout celle de Boghé dont 4 élèves sont reçus au C.E.P. sur 4 présentés.

(Lire la suite de l'article dans notre site Faawru)

Par Ciré Ba, historien chercheur