… Carte IGN 2521 E (1)
par Chambolle
Rappel de la règle du jeu: L’itinéraire est une boucle. Il peut être reconstitué sur la carte titre à l’aide des nombreux indices semés dans le texte. À l’exception des hameaux comptant, au plus, dix maisons, aucun nom de ville, village ou bourg n’est cité.
En arrivant à l’église que le chauvinisme local décore du titre de cathédrale de la Puisaye, pour la même raison que Montargis est la Venise du Gâtinais et les collines des environs de Rouen, la Suisse normande, on descend à droite vers la Maison Blanche. Ce lieu-dit n’a aucun rapport, même lointain avec le cottage
A une montée succède fatalement une descente. Entre champs, prés et bosquets, celle-ci conduit au creux d’un vallon. Un très épisodique ruisseau y coule parfois. Le plus souvent, on n’y trouve qu’une vaste flaque où viennent boire merles, geais et moineaux puis, non moins inexorablement on entame une grimpette. Il n’y a pas de meilleure métaphore des cours de bourse qu’une randonnée entre Forterre et Puisaye.
En haut de la côte, second village. On ne fait que l’effleurer, remettant à une autre fois la visite des maisons ornées d’inscriptions « Renaissance » et du belvédère. Aujourd’hui après trois longères (dont l’une en cours de restauration) le chemin du Paradis s’ouvre sur la gauche ce qui n’aurait pas manqué de surprendre Monseigneur Lefèvre. Circonstance aggravante, il descend. Tout foutrait-il le camp ? Non ! car il remonte (raisonnablement) à la hauteur des Buseaux où un troupeau de charolaises contribue innocemment au réchauffement climatique. Je les assure, au passage, de ma solidarité active. L’expert onuso-végétarien qui prétend m’imposer de réduire ma ration de bifetèque à 40 grammes par jour (soit un peu moins que ce qu’autorisait ma carte de rationnement J3 pieusement conservée par ma grand-mère en même temps que mon livret de caisse d’épargne et mon missel de premier communiant) peut aller se faire voir chez les Californiens. Les vaches et moi nous voulons flatuler en paix. Je ne l’empêche pas de se goinfrer de tofu à la sauce aux germes de maïs sans OGM. Qu’il me laisse savourer la goûteuse entrecôte, le filet fondant et le solide gîte à la noix !
Juste avant les Devaux, la piste part vers la droite (c’est Monseigneur Lefèvre qui va être content). Entre champs et forêt, elle glisse jusqu’à la Charmaie puis aux Guittons où, des volets clos, un jouet en plastique abandonné dans l’herbe et des chaises vides sous un tilleul (mais c’était peut-être un marronnier) attestent que les propriétaires des lieux, résidents aussi épisodiques que secondaires s’en sont allés quelque part dans la jungle des villes et qu’ils ne reviendront, peut-être, que pour de prochaines vacances.
La petite route qui suit et qui, par les Landris, les Marlots et les Rèbles, conduit à l’Orme du Pont ignore ce que le mot bouchon veut dire. En un peu plus de trois kilomètres je n’y ai croisé que trois voitures : le 4*4 d’un chasseur cherchant son chien (sans lequel, manifestement il ne saurait chasser), le Berlingo, qui était peut-être un Kangoo, jaune de la Poste et un de ces utilitaires d’un beige crasseux qui encombrent les parkings « exposants » des brocantes, vide-greniers et braderies. Les naturels de la région observent ces véhicules, surtout quand leurs conducteurs ont l’œil noir, le teint mat et la chevelure bouclée, avec la même méfiance que leurs grands-parents quand ils voyaient apparaître au détour d’une route les verdines brinquebalantes des antiques romanichels.
De l’Orme du Pont où une ferme achève de tomber en ruines à côté d’un étang temporairement asséché, on poursuit, sur la petite route toujours aussi peu encombrée de véhicules à pétrole raffiné, jusqu’à la départementale 955. Au passage, on aperçoit sur la droite les Baronnets et les Fébés. Un, ou une, propriétaire épris(e) de classicisme a modifié ce nom en Phébé. Pourquoi pas ? Il ou elle a bien le droit de se placer sous le patronage de la fille de Gaïa et d’Ouranos. Indécrotablement péquenot, je préfère Fébé, avec sa F poyaudine, décrétant, sans le moindre commencement de preuve, que ce nom évoque, au choix, un champ de fèves, un hêtre qui aurait eu la forme d’un B (le Faye B) ou, pourquoi pas, une forge. Plus une étymologie est approximative, plus je lui trouve de charme.
Au bout du chemin, c’est de nouveau la route. Ignorez la piste qui va aux Corbeaux. Contrairement à ce qu’annonce l’IGN, elle se termine en impasse. Continuez jusqu’à atteindre le gros bourg aperçu tout à l’heure. Un écrivain français de grand talent y a passé son enfance et le début de son adolescence. Elle y a son musée, installé dans le château. Contrairement à l’usage, le lieu n’est pas rempli des reliques (bureau, porte-plume, encrier, tapis de bain et paires de bottines usagées) offertes d’habitudes aux fidèles qui fréquentent ce genre d’institution. Ici on a voulu mettre en valeur les textes, ce qui est bien le moins s’agissant d’un auteur, avec, habileté supplémentaire, une place laissée à l’imaginaire, cet espace entre les caractères et les lignes qui fait que, si nous déchiffrons les mêmes phrases, aucun de nous ne lit le même livre. La vérité m’oblige à dire que certains trouvent l’endroit catastrophique voire blasphématoire.
Passons, c’est bien le moins quand on marche. Pour les drogués du monument vernaculaire, je signale un second lavoir. Il est en contrebas du banc installé à deux pas du ballast de l’ancien tacot. Très utile ce banc : on peut, si l’on ne craint pas de passer pour un clodo, y casse croûter tranquille. Les indigènes, qui en ont vu d’autres et de beaucoup plus folkloriques, vous saluent au passage et certains vous font même la grâce d’un bout de conversation.
Malheureusement, le café-bar-brasserie qui vous abritera en cas de mauvais temps, ne prépare pas les solides nourritures qu’appréciait l’écrivain. On n’y trouve ni la tarte au fras, ni les œufs en meurette pas plus d’ailleurs que le poulet à la glaise, le gigot d’onze heures ou d’beu en daube. Petite suggestion pour la daube : vous la préparez la veille et le soir. En arrivant à la maison, vous la dégraissez très partiellement, vous la faites réchauffer tout doucement et vous servez avec des pâtes fraîches et une bouteille d’Irancy (Les Mazelots 2002 par exemple). En entrée, une bonne assiette de bouillon qui vous fera un fond d’estomac confortable, un fromage au lait cru (vade retro Besnieras), un dessert dont je vous toucherai deux mots tout à l’heure et vous voilà requinqué et prêt à explorer, de nouveau, les espaces inconnus de la campagne bas-bourguignonne.
Chambolle
(à suivre)
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