Chiaroscuro

Par Angèle Paoli
Journal



D.R. Ph. angèlepaoli


CHIAROSCURO

  Lumière grise sur la mer. Il a neigé en haute montagne, c’est ce qui se dit au village. Aucune trace pourtant sur les crêtes là-bas au-dessus de la Balagne. La vague longue ourlée de blanc étirement soyeux en rides monotones, soulève ses rumeurs. De quelle couleur le vert d’aujourd’hui ? À peine un frisson bleu se glisse dans les terres ; le cyclamen sauvage tremble dans la pâleur de sa fleur, hélices tendres tendues dans le frisson de l’air voiles claires.
  Les chasseurs à l’affût surveillent les talus, lauzes à découvert bouquets de menthe bleue.
  Je rejoins le sentier qui mène à la tortue. La retrouverai-je ? C’est peu probable. Je fouille les taillis, soulève les branches de genêts et de myrte. Quel chemin a-t-elle pris ? Dans quel recreux de roche cache-t-elle son ombre ? Peut-être a-t-elle roulé, carapace trop ronde au revers du sentier ? Un bruit de sonnailles cliquetis clair troue la rumeur étale de la mer. Renouerai-je avec mes marches solitaires éprise des parfums enfouis de l’automne lumière pâle incolore couleur des jours. Les sonnailles affût des chiens au passage des sangliers. Je rebrousse chemin.

Canari, le 7 octobre 2008



D.R. Ph. angèlepaoli


  L’armée des ombres envahit la montagne glisse silencieuse et sûre ses rouleaux de brume je la vois qui submerge les reliefs anéantit les courbes profile ses silhouettes sur les crêtes basses coule ses formes dans les replis des vallons est-ce le roulement du tonnerre qui brise le silence l’enroule par lames successives jusqu'à le fondre aux rumeurs de la vague mouvante des mots une ouate épaisse cotonneux dense sombre descend de la montagne glisse enveloppe le cercle des cimes le Cucaru lutte téton dressé pour rester à l’air libre une échancrure vert d’eau élargit sa boutonnière lac mouvant qui ne connaît de contours que provisoires son visage n’est plus son visage ses mots ont perdu leur sens et ne s’enlacent plus aux miens « mon amour n’est plus mon amour » la chape de nuages poursuit son avancée silencieuse armée d’ombres invisible le soleil s’est absenté une araignée microscopique ventre rebondi de zinevra file son train affairé sur mon bras je ris de la sentir me parcourir insouciante que découvre-t-elle de moi que j’aie oublié qui me soit inconnu que cherche-t-elle dans les ridules qui sillonnent ma peau elle roule à présent sur mes épaules arpente mon cou se glisse dans mes cheveux la veuve noire est-ce elle est-ce moi laquelle enroule l'autre dans les filets de son venin je pourrai la chasser d’une chiquenaude l’envoyer aux enfers l’offrir à la dévoration d’un insecte plus gros qu’elle un insecte plus minuscule encore un moucheron des mers s’agrippe à la page de mon livre tressaille sur les arêtes planes des mots s’immobilise devant les frondaisons hercyniennes de ma serviette de bain à côté une puce d'algue arpente la page vierge de mon carnet petites acrobaties drolatiques et silencieuses l'armée des ombres gagne la mer.

Canari, le 8 octobre 2008

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli


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