Yann Apperry :"Mon année à la Villa Médicis est une des plus belles de ma vie"

Par Albrizzi
Prix Médicis 2000 pour "Diabolus in Musica", et Goncourt des lycéens 2003 avec "Farrago", Yann Apperry a été pensionnaire de la Villa Médicis en 1997, puis lauréat de la Villa Kujoyama en 2004 avant d’obtenir une mission Stendhal de janvier à avril 2007.
Vous venez de publier "Terre sans maître", l’histoire d’un homme qui gravit le sentier d’une montagne à la recherche d’un Mur ayant la réputation d’attirer les fous. Sans être absolument précis sur les lieux, car situé loin de notre monde contemporain, le pays ressemble à l’Allemagne. Est-ce ce livre que vous étiez parti écrire à Berlin ?
Yann Apperry : En fait non, même si finalement, je l’ai écrit pendant le temps qui m’était imparti pour la mission Stendhal. Au départ, je suis arrivé à Berlin avec un projet de livret de spectacle, j’ai écrit un cycle de chansons dont les textes sont liés entre eux, certains sont des dialogues, d’autres des monologues. J’ai travaillé avec le guitariste et compositeur de jazz, Claude Barthélémy. Ce travail s’est fait en plusieurs fois, je suis reparti en France début avril à la fin de ma mission, puis suis revenu m’installer définitivement à Berlin.
Je n’avais donc pas sollicité de bourse pour mon roman "Terre sans maître", et pourtant quand j’ai quitté l’Allemagne, il était terminé.
Pourquoi avoir choisi Berlin ? Etiez-vous germanophone ?
Pas du tout. En revanche, Berlin est une ville qui m’a toujours parue accueillante, en particulier avec les artistes, du moins, c’est l’expérience que j’en ai eue. Elle est ouverte à tous vents, autorise tous les possibles contrairement à Paris qui vit dans la surconsommation et pratique une forme d’hystérie agressive. Berlin est moins riche mais plus enrichissante, c’est aussi une capitale proche de la nature avec des forêts. Comme je fréquente beaucoup d’étrangers, nous parlons tous l’anglais, à Berlin c’est devenu commun, ce qui ne m’empêche pas d’apprendre petit à petit l’allemand.
Avez-vous participé à des lectures ou à des colloques à l’Institut français de Berlin ?
Non, malheureusement, rien n’a pu se faire, je le regrette. En revanche, j’ai montré une partie de mon travail avec Claude Barthélemy à l’Institut français de Brême : nous y avons donné un premier concert en juin dernier. Fin septembre, nous irons au festival de la correspondance à Manosque, où nous proposerons une correspondance entre texte et musique spécialement imaginée pour cet événement. Tout au long de ma période de résidence, j’associerai des adolescents à l'écriture et à la mise en musique. Claude Barthélemy, et Massimo Nunzi, compositeur et trompettiste, m’accompagneront.
Parallèlement au roman et au théâtre, vous êtes librettiste. Composez-vous également la musique de vos livrets ?
J’écris certaines mélodies, mais je ne compose pas. Je n’en ai pas la compétence technique, je ne maîtrise pas le solfège, cependant cela devient de plus en plus une nécessité. Je pense sérieusement m’y mettre.
La musique est une source d’inspiration pour moi. Je tisse souvent des amitiés artistiques très fortes avec des musiciens, des compositeurs qui m’appellent par la suite pour des collaborations. Dernièrement, j’ai créé un livret pour un spectacle en hommage à Italo Calvino. J’écris en anglais ou en français.
Comment s’est passé votre séjour à la Villa Médicis ?
Elle fait partie des plus belles années de ma vie. Je suis très reconnaissant à ceux qui m’ont sélectionné : j’étais jeune — j’avais 25 ans—, et l’on m’offrait un an pour me consacrer pleinement à l’écriture. Je me rappelle avoir été formidablement heureux. En outre, elle correspond à une année charnière car j’y ai écrit mon deuxième roman, ce qui est toujours délicat.
Et la mission Stendhal ?
Elle est arrivée à un moment où financièrement, j’en avais vraiment besoin. Cela a permis aussi de me rendre compte à quel point j’aime Berlin et m’a conforté dans l’idée d’y vivre. Je pense qu’il n’existe rien de comparable dans le monde à ce système français de subventions. C’est parfois remis en cause, mais il faut le maintenir absolument ; ceci nécessite une plus grande transparence peut-être sur la forme d’attribution des bourses, et un niveau d’exigence très élevé afin den ne pas prêter le flan aux critiques et à ceux qui souhaitent les réduire. La Villa Médicis à mes yeux est un lieu qui a toutes les raison d’exister, malgré le gouffre financier qu’elle représente. Il ne faut pas dévaloriser ce genre d’aides.
Propos recueillis par Nathalie Six pour CulturesFrance, n°33 (octobre/novembre 2008)
"Terre sans maître", de Yann Apperry, Grasset, 234 p., 16,50 euros.