La frontière de l'aube

Par Rob Gordon

Le cinéma de Philippe Garrel a souvent suscité des réactions très contrastées, les uns se pâmant devant son style particulier et les autres baillant sec face à l'auteurisme rentré de films toujours austères. La première heure de La frontière de l'aube provoquera globalement les mêmes commentaires : on peut tomber amoureux de ce noir et blanc magnifique et de la nonchalance désabusée de l'ensemble. Deux personnages, guère plus : une actrice délaissée par son mari et un jeune photographe réputé. Le fil rouge du film est on ne peut plus simple : naissance d'un amour, délitement du couple, puis disparition de la demoiselle. La suite est de facture moins classique, puisque la starlette reviendra d'entre les morts pour hanter celui qu'elle aime toujours. Mais si cette dernière partie vient rompre la monotonie palpable de l'oeuvre, elle la fait également plonger dans un ridicule d'autant plus fort qu'il est traité avec un sérieux de cathédrale.
On y verra Laura Smet apparaître régulièrement dans le miroir du narcissique Garrel, ses irruptions soudaines se manifestant par des changements de lumière dignes d'une série Z aussi mauvaise que fauchée. Garrel comptait sans doute magnifier l'éternité du sentiment amoureux, mais c'est foncièrement raté. De toute façon, cela faisait un moment que l'on s'était lassé du vide cosmique de certaines scènes, souvent plombées par des répliques débilisantes (Garrel, après l'amour, balance une énormité sur les déportés et l'éventualité d'une troisième guerre mondiale). On a du mal à croire qu'une année de répétitions soit nécessaire pour bâtir un tel film, tellement superficiel qu'il semble improvisé dans sa plus grande partie. Si Louis Garrel balade une nouvelle fois ses yeux de cocker avec une aisance innée, Laura Smet peine à suivre la danse, pas aidée par son rôle de futur spectre. Sans aller jusqu'à comprendre les intolérants qui ponctuèrent la projection cannoise de leurs ricanements intempestifs, on peut toutefois affirmer que La frontière de l'aube peut difficilement faire naître autre chose qu'un ennui dissipé ou un fou rire mal contrôlé. Heureusement qu'il y a l'image de William Lubchantsky, qui nous accroche et nous pénètre, et nous pousse à imaginer à quel point tout cela aurait pu être bouleversant si le surmoi et la prétention n'étaient pas venus boursoufler le film.
4/10