Sabra et Chatila à nus

Publié le 14 octobre 2008 par Delphineminoui1974

 

Les camps de Sabra et Chatila, ça faisait des années qu'il voulait les visiter. A peine débarqué des Etats-Unis, c'est donc naturellement qu'un ami, de passage à Beyrouth, me demande de l'y emmener.

En Occident, ce sont, de loin, les camps de réfugiés palestiniens qui ont le plus fait couler d'encre, après le massacre perpétré en 1982 par une milice chrétienne libanaise, dans un secteur contrôlé à l'époque par l'armée israélienne.

Avant de partir, notre entourage nous recommande de prendre quelques précautions d'usage.
Depuis les événements survenus dans un autre camp, celui de Nahr el Bared, à l'été 2007, qui opposèrent l'armée libanaise aux militants extrémistes du Fatah al Islam, on fait souvent l'amalgame entre camps palestiniens et islamistes anti-Occidentaux. Pas plus tard que dimanche dernier, les autorités libanaises ont déclaré avoir arrêté des membres d'une cellule terroriste d'obédience salafiste liée au Fatah al Islam, et qui seraient impliqués dans les récents attentats contre l'armée libanaise.

Histoire de ne pas s'attirer d'ennuis, nous ne pouvons, bien sûr, nous empêcher de redoubler de prudence. Le thermomètre a beau afficher plus de 30 degrés, je décide donc de troquer ma chemisette blanche contre une longue tunique noire, et je conseille à l'ami de passage de ne pas porter ostensiblement son appareil photo en bandoulière. On ne sait jamais. Peut-être qu'en effet, par les temps qui courent, nous ne sommes pas les bienvenus par là-bas...

Mais une fois passée l'entrée principale, nos préjugés ont vite fait de voler en éclats. Entre posters de Cheikh Yassine -le fondateur du Hamas - et photos de Shakira - la sulfureuse chanteuse libano-colombienne - la rue principale n'est autre qu'un supermarché à ciel ouvert pour jeunes en quête de loisirs... bien particuliers.

Blue-jeans délavés, chaussures de tennis de contrefaçon, casquettes à l'américaine, il y en a pour tous les goûts. En vert, violet ou orange, des keffiehs branchés - c'est la nouvelle mode de l'automne à Beyrouth - attendent le client, à des prix défiants toute concurrence.

Les surprises ne font que commencer. Sur leurs étals à roulettes, de jeunes vendeurs ambulants proposent des copies pirates de DVD.

Tiens, ça tombe bien. L'ami en question est à la recherche de documentaires sur la population palestinienne, qu'il pourra montrer à ses amis intellectuels, une fois de retour aux Etats-Unis.

Fier d'étaler sa connaissance d'une région du monde bien complexe et souvent stigmatisée en Amérique, il s'empresse de réciter une liste de films récemment diffusés dans certains festivals d'art et essai : Slingshot hip-hop -  à propos de jeunes rappeurs palestiniens - Arna's children - qui s'intéresse aux origine de jeunes kamikazes -  Occupation 101, etc...

Mais c'est comme s'il parlait chinois au jeune vendeur. « Jamais entendu parlé de ces films !», répond le jeune palestinien, en nous regardant comme si nous étions de vieux ringards qui n'ont rien compris aux mouvements de mode.

- Ici, enchaîne-t-il, on ne vend que du « borno » !
- Du quoi ? surenchérit l'ami.
- Du « porno », me mets-je à lui murmurer à l'oreille. En arabe, le « p » se prononce « b »...

Visiblement déçu, il me propose de tenter notre chance un peu plus loin.

Sans doute trahis par notre accent étranger, nous sommes vite repérés par un autre vendeur.

- Vous voulez des DVD ? nous demande-t-il en nous accostant.
- Oui ! s'empresse de répondre l'ami, avec enthousiasme, en s'apprêtant à réciter à nouveau la liste de ses documentaires préférés.

Sa déception ne se fait pas attendre. Parmi les titres proposés, le choix est bien maigre :

« Le seigneur des anus », « Les derniers exploits de Rocco Siffredi » - la star du porno italien, et j'en passe... Hmm, tout cela n'est pas très « docu », dans un de ces pseudo bastions du salafisme.

Et bien, tant pis, nous nous rabattrons sur les keffiehs, en mettant, une fois de plus, nos idées reçues au placard...