Marseillaise sifflée : Nicolas Sarkozy est-il allé trop vite ?

Publié le 16 octobre 2008 par Hmoreigne

Trop vite, trop fort. La réaction de l’exécutif aux débordements du Stade de France apparaît avec un peu de recul démesurée et inadaptée. Fallait-il que ce soit le chef de l’Etat en personne qui gère le dossier ? Les mesures arrêtées dans la précipitation inapplicables dans la pratique risquent de rester lettre morte. Elles évitent surtout de s’intéresser au fond. 

François Fillon ouvre le bal dès mercredi matin : « Il aurait fallu arrêter le match ». En petite foulée, Bernard Laporte, secrétaire d’Etat aux Sports, embraye dans les déclarations cassoulet, recommandant de ne plus disputer à Paris de matchs avec les ex-colonies du Maghreb et proposant de les jouer « chez eux ou alors en province ». A midi, entre la poire et le fromage, Nicolas Sarkozy, avant de partir pour le sommet de Bruxelles consacré à la crise financière, convoque à l’Elysée Jean-Pierre Escalettes président de la Fédération française de football, en présence de Roselyne Bachelot et de Bernard Laporte.

Le brainstorming s’avère efficace. A la sortie des propositions à la Prévert sont formulées par Roselyne Bachelot. Plus de matchs amicaux avec les pays concernés « pendant une période à déterminer », toute « Marseillaise » sifflée entraînera « l’arrêt du match » et par conséquent l’évacuation des 80 000 spectateurs frustrés. Pour ne pas être en reste, dans l’après-midi, la martiale Ministre de l’Intérieur annonce la saisie du Procureur de Bobigny et l’ouverture d’une enquête. Fermez le ban.

Le manichéisme de Nicolas Sarkozy a encore frappé. Il y aurait les bons français patriotes légitimement indignés et les barbares qui ne respectent rien. Une porte ouverte à tous les coups de menton, aux déclarations indignées qui permettent de s’exonérer de l’incapacité de la classe politique à donner corps au fameux creuset républicain, à apporter une réponse à des populations coupées du reste de la société.

Comment être crédible dans des projets du type Union Pour la Méditerranée si on est incapable de bâtir chez nous l’unité nationale sauf, à le faire à travers la stigmatisation d’une partie de la population ? Le quotidien Genèvois Le Temps dresse un constat objectif.« C’est l’affront de trop. Les sifflets qui ont perturbé la Marseillaise mardi soir, lors du match amical France-Tunisie, ont soulevé une indignation sans précédent dans l’Hexagone, où la relation avec les anciennes colonies d’Afrique du Nord reste à fleur de peau. » (…) « Cet épisode ramène à la surface des sentiments troubles, où se mêlent passé colonial et tensions liées à une intégration défaillante. » 

Quelle meilleure illustration que les propos du député Lionel Luca que Jean-François Copé se refusera à condamner : « quand on a la chance d’avoir été accueilli dans un pays qui vous permet d’avoir le ventre rempli et d’y vivre libre, on le respecte. Tous ceux qui ont sifflé notre hymne national devraient en tirer les conséquences et faire leur valise pour réintégrer le pays de leurs origines et de leurs rêves ! ».

Magnanime, la République a fait le cadeau à ces « gens là » du Stade de France. Une soucoupe volante en terres hostiles. Alors quand les autochtones s’approprient l’infrastructure, en font leur pré-carré et en profitent pour rappeler à la bonne France leur existence, rien ne va plus. A écouter Bernard Laporte on aura compris que le Stade de France est une belle réalisation mais que le problème est sa localisation en Seine Saint-Denis.

Personne ne défendra le fait de siffler un hymne national, le sien ou un autre. Le dérapage du match France-Tunisie n’est pas le premier et ne sera sans doute pas le dernier. Foot, fric et TV constituent un cocktail explosif. Passer à la TV pour acquérir une existence publique, une notoriété ou dire simplement « j’y étais », constitue la base de la « culture » télé-réalité développée par les grandes chaînes TV. Les jeunes présents au Stade de France ont bien retenu la leçon. 

Dans ce contexte le petit jeu des ministres, à celui qui collera le plus à l’indignation présidentielle, « confine au ridicule » comme le relève Laurent Joffrin dans Libération. Fadéla Amara, censée apporter une touche différente au sein du gouvernement, aura été d’une monotonie confondante, exprimant sa « colère devant ce qui est pour (elle) le niveau le plus élevé de la bêtise ». « C’est dégueulasse! Assez! Je refuse que ce comportement indigne s’installe et se banalise », « que l’on prenne des mesures fermes pour priver ces imbéciles du plaisir du sport ».

Henry Lauret dans Le Télégramme regrette lui que Nicolas Sarkozy ait fait « d’un déplorable fait de société, une affaire d’État ». Le caractère inapplicable des mesures adoptées en 24 heures chrono est désormais largement partagé. Michel Hidalgo y voit un effet d’annonces infaisables. Très concrètement, Michel Lepinay dans Paris Normandie se demande « à partir de combien de sifflets on évacue le stade. Pour un supporter insolent ? Dix ? Cent ? Dix mille? »

« On a l’impression que le gouvernement (…) choisit d’en rajouter, d’en faire des tonnes sur le sujet », a déclaré François Bayrou sur France Info avant de juger que, si siffler l’hymne national est “stupide”, « il est tout aussi stupide de surréagir”. Comme le relève en conclusion le leader du Modem: “tout ça c’est un peu zéro à zéro ».

Henry Moreigne pour Intalk.fr