Révélation : j’ai cohabité cinq minutes avec Ségolène Royal

Par Georgesf

Révélation :
j’ai cohabité cinq minutes avec Ségolène Royal

 

Je vous devine haletants depuis dimanche : quelle était donc cette auteure, cette mystérieuse troisième femme avec laquelle j’ai cohabité cinq minutes à la 25ème Heure du Livre (Le Salon du Livre du Mans, pour ceux qui n’auraient pas suivi) ?

Assez de cachotteries, de toute façon ça finira par se savoir, c’était Ségolène Royale une bonne auteure qui ira loin ; elle est publiée chez Grasset, c’est assez chic. Moi, c’est chez Anne Carrière, mais je n’ai pas eu le temps de lui en parler.

Félicitons Fanbouh qui, sur ce blog, avait vu juste : ce n’était pas évident à deviner, un nom au hasard, dans la liste des 300 auteurs invités à la 25ème Heure. Remercions Laure qui n’a révélé le grand secret que sur son blog.

Allez, je raconte tout :

Je m’étais réjoui un peu vite en voyant ses deux livres à côté des miens sur la table de la librairie Thuard, qui m’accueillait au Salon : j’ai cru que nous allions, Ségolène et moi, passer l’après-midi à deviser. Mais madame Royal a aussi, par ailleurs, des activités associatives, côté politique : en bonne militante elle est donc d’abord passée au stand du Parti Socialiste. Elle y est même restée assez longuement, Asse 42 qui l’y a vue peut le confirmer, il l’a d’ailleurs indiqué sur ce blog — ce qui a induit bien des visiteurs en erreur. À mon avis, elle s’y est ennuyée, car elle a fait apporter au stand du P.S. ses livres qui dépérissaient à mon côté au stand de la librairie Thuard. C’était probablement pour les lire. C’est le coup classique, dans les salons : les auteurs qui s’ennuient relisent leurs propres livres, ils ne s’en lassent pas.

Une heure plus tard, j’ai vu revenir ses livres sur ma table, c’était bon signe. Et soudain, ELLE m’est apparue. Apparue. C’est le mot exact, elle n’est ni arrivée ni venue, elle a fait son apparition, surgie de nulle part. et j’ai tout de suite compris que tout, avec elle, serait différent de mes deux colocs précédentes, la revêche et la réfractaire au Narta : je me suis penché vers elle, je n’ai même pas eu besoin de la renifler, elle sentait bon. Une petite odeur fleurie et coquine. Message important : qui connaît suffisamment cette auteure pour m’indiquer son eau de toilette ?

Je lui ai tendu la main, elle m’a tendu la sienne. J’ai admiré son tailleur rose, elle a admiré ma chemise noire… elle a tout de suite compris que j’étais un vrai écrivain : dans les salons, les vrais écrivains ont une veste noire et une chemise noire, l’harmonie kaki-kaki est aussi tolérée. Les plus excentriques peuvent combiner noir et kaki. Mais je m’en étais tenu au noir, et j’ai eu raison : avec le rose, c’est plus élégant.

Je me suis alors permis une folle familiarité : je lui ai souri. Et, je le certifie, elle m’a souri, elle aussi. Un vrai et immense sourire. Les perfides insinueront qu’elle sourit souvent à droite et à gauche, mais ce serait ici fallacieux : elle n’a souri qu’à moi, qui étais à sa droite. Je me suis présenté « Georges Flipo, et vous ? ». Trop timide pour me répondre, elle m’a souri à nouveau et s’est assise.

Il y a eu alors ce geste, ce signe, dont j’ai tout de suite compris le sens à peine caché : elle a poussé légèrement vers moi son roman (je crois que c’est un roman) « Ma plus belle histoire d’amour c’est vous ». Lumineux, non ? Et moi, avec un regard malicieux, j’ai glissé vers elle mon roman « Le vertige des auteurs ». Vertige, vertige de l’amour, entre auteurs une grande histoire allait commencer !

Mais il y a eu à ce moment une foule d’admirateurs, beaucoup trop de foule pour moi qui crains les meutes. Je lui ai proposé, d’un signe, de se réfugier avec moi sous la table, mais elle est restée debout, stoïque. Du coup, j’ai fait pareil. Ils se sont rués vers nous et ont voulu nous photographier, elle et moi, nous filmer sous tous les angles : soucieux de ma bonne image, je me suis alors écarté. J’ai été très ferme : « Non, non, pas de photos, photographiez ma petite collègue si ça vous chante, mais moi, je vous préviens, j’ai un bon avocat ». Ils se sont donc rabattus vers ma pauvre voisine ; je reconnais que je me suis senti un peu lâche. Je suis comme ça. Lâche mais survivant.

Pendant qu’ils la mitraillaient, je devais faire un peu la police, car ils s’attroupaient aussi devant mon stand, ce qui est contraire aux bons usages. Normalement, un auteur doit garder ses admirateurs face à son stand et organiser la queue éviter les débordements latéraux. La pauvrette n’était pas habituée aux salons, je n’ai pas voulu faire son éducation. En attendant que ça se termine, j’ai préparé une liste de questions, pour alimenter ensuite la conversation :

-   Quelle est votre eau de toilette ?

-   Comment avez-vous trouvé votre éditeur.

-   À combien d’éditeurs avez-vous envoyé votre manuscrit par La Poste ?

-   Combien d‘avance sur droits avez-vous touchés ?

-   Êtes-vous inscrite aux Agessa ? Qu’est-ce qu’on y gagne ?

-   À quel hôtel êtes-vous logée ce soir ? Voulez-vous que je vous y raccompagne, si vous ne trouvez personne ?

-   Vous qui semblez compter quelques amis journalistes, vous pourriez m’obtenir une interview par La Charente Libre ? Moi, je peux vous avoir ça pour la Voix du Nord.

Mais pas moyen de lui parler discrètement les admirateurs ne prétendaient pas décamper. Roués comme ils étaient, ils lui tendaient ses propres livres, comme s’ils voulaient les faire dédicacer, ha, ha, ha ! La pauvre petite leur souriait, paniquée.

Le temps passait, et un monsieur qui l’accompagnait, posté à son côté, regardait sans cesse sa montre et la lui montrait ; j’ai compris que notre colocation risquait de tourner court. Il me fallait brusquer les choses, et poser ma question la plus importante… j’ai eu alors une idée géniale : j’ai pris son second roman (c’est aussi un roman, je crois) « Si la gauche veut des idées, en voilà » et je le lui ai tendu ! La question sous-entendue était assez claire : « Des idées, j’en ai plein, moi aussi. Des loufoques, des marrantes. Je les raconterai de façon rigolote. Si ça vous intéresse, je peux être votre nègre, d’accord ? »

Je ne connaîtrai jamais la réponse. Elle a regardé Jeeves (car, finalement, je l’ai compris, l'homme à la montre, c’était son homme de confiance, son plus-que-majordome). Et elle disparu. Plus exactement, elle s’est lentement élevée aux cieux, se nimbant de mystère sous les regards de la foule médusée.

Les gens raisonnables prétendront que ce sont là fantasmes et rocamboleries d’écrivain, mais il n’en est rien, je l’ai vue, de mes yeux vue. En fait, pas longtemps, car c’était juste au-dessus de moi qu’elle était emportée par son ascension : la décence m’interdisait donc de lever les yeux en l’air (je suis comme ça, très pudique, le genre de type qui ne marche même pas derrière une femme dans un escalier, alors, au ciel, vous imaginez !).

Une autre version plus banale circule : elle se serait discrètement levée, profitant de ce que je dédicaçais un livre, moi aussi (il ne faut pas croire, je n’ai pas de tailleur rose, mais j’en dédicace autant qu’elle, surtout depuis que Qui comme Ulysse a été élu « Livre du Mois ». Elle n’a pas eu ça, elle). Elle aurait, dit-on, contourné ma table et se serait enfuie, comme une brise d’automne. La procession a commencé : les admirateurs les mieux en cour mettaient leurs pas dans les siens et pouvaient humer le sillage fleuri. Les autres ne pouvaient humer que le sillage des admirateurs, ce qui est beaucoup moins émoustillant. Je me demande si la procession est passée devant le stand de Missiz Narta. On devient schizo pour moins que ça.

Ainsi prit fin notre cohabitation. Mais la question demeure : quelle est son eau de toilette ?