Et les mots du "Récif", les mots d'elle...

Publié le 16 octobre 2008 par Bonamangangu

  

Le cauchemar de Darwin devrait hanter chacun de nos sommeils. On ne devrait plus pouvoir clore nos yeux. Ni dans nos nuits, ni sur nos jours. La terre a un abcès. La planète, une tumeur. Un continent entier. Et l’on en veut à l’œil du cauchemar d’avoir vu ça.

   Et l’on en veut à l’œil du cauchemar de nous éveiller. Injurieuse offrande de quelques nuits blanches pour un monde en noir… Et la colère paraît laïus. Et le chagrin semble facile. Les mots se brisent sur l’écueil du lac Victoria. Peut-être est-ce à l’endroit le plus irréconciliable de la souffrance que s’arrête l’art. Plus de poésie, plus de littérature… qu’un rêve amputé, qu’un songe estropié. Pauvre corps onirique qui en quelques images nous devient aussi étranger que le bonheur, aussi interdit que la peur.

   Dans ce récit des hommes, les cicatrices ont des regards à faire ployer le chagrin, à faire le visage buvard. L’aumône du noir replie ses doigts sur les rêves d’avant-hier oubliés le long du chemin de croix qui crève nos prières. Nos livres vivent fermés, le mot replié sur l’encrage. Pitié pour les écorchés, cornés au bas des pages. Dans ce récit des hommes, le jour se démembre et cisèle la bruine, le temps se cambre et s’assoit sur ses ruines. L’absurde n’est pas farouche qui plombe nos ailes avant les premières lagunes. La folie n’est pas cruelle qui pousse sous les souches des cimetières diurnes. Pitié pour les enfants du ciel. Ils ont des rêves peints au rimmel.

   Dans ce récit des hommes l’aube est une attente sans visage qui plie sous la patience des amertumes. La misère dans son habit de brumes couve et déguise le cours des âges. Je sens mon corps s’éparpiller, jaillir de la mémoire somnambule, découler du brouillard de l’humanité… d'une triste histoire de funambules. Pitié pour les acrobates, ils marchent sur les arcs-en-ciel d’une histoire écarlate. Dans ce récit des hommes, sous les monts de pelures épiques, s’écrit la véritable fable des séjours ethniques. Récit de spasmes d’étoiles, baignés de douleur, endurant le sursis d'une mort d'avant l’heure.
Des vies qui poussent nos murs, par cette lucidité d’agonie… où l'on ne dure pas, où l’on endure. Le cauchemar est réel, implanté dans nos veines de vie, des hommes y ont mis leurs nuits sous perfusion. L’enfance claudique sur un morceau de bois. Le deuil se transmet avec l’amour. Ventres gonflés d’absence. Un continent se partage nos poubelles…

   Tes narines respirent des alizés de colle pour clore l’ébène à double tour. Au réveil, seule la lune saurait te dire… les coups, le froid, le viol que tes sept ans auront souffert. Les mots se brisent sur l’écueil de tes billes noires. Il n’y a plus en moi qu’une colère laïus. Un chagrin facile. Mais je mourrai de n’avoir pleuré sur le lieu commun de tes non lieux.

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SonYa Sandoz. Récifs d'hommes in La mer exilée du silence. 

http://auxtempesdesmiroirs.hautetfort.com

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Bona. Le récif des hommes cache de bien tendres pouls. Huile sur toile. Détail. Oct 08