Never Forever

Publié le 13 octobre 2008 par Sylvainetiret
Et en plus, y’a pas d’eau de rose
D’abord, j’avais eu un peu la trouille de me retrouver dans une série d’histoires « prise de tête » et je m’étais réfugié dans le cinéma permanent du cycle des Nuits Américaines du Festival de Deauville 2007. Une initiative géniale en association avec la Cinémathèque Française, projetant en continu pendant 10 jours, et pour 10 euros tout compris, un florilège des classiques du cinoche étasunien. Et puis, la veille de la fin, ayant fait le tour des antiquités, je me suis laissé tenter par un petit coup d’oeil à la sélection officielle. Et là, surprise. Sur les quatre films que j’ai pu rattraper ce jour-là, quatre comédies sympa. Alors, tope là ! Pour le dernier jour, je continue sur ma lancée. Y’a quoi ? « Never Forever », d’une certaine Gina Kim. Bon, pourquoi pas ? Et là, re-surprise. Raté pour la comédie, pour sûr. Mais par contre, captivant pour le reste. C’est vrai que le pitch affiché ne se vantait pas de fonctionner sur la gaudriole. Il faut toujours croire les pitchs … Par contre, rien ne disait à quel point on reste collé à l’écran. Mais avant d’en arriver là, cher lecteur de passage ou abonné, Tonton Sylvain se doit de te dire en deux mots de quoi qu’il cause, le film.

Affiche France (cinemovies.fr)

Sophie (Vera Farmiga) est une jeune femme américaine tout ce qu’il y a de plus classique, blanche, blonde, aux ancêtres européens indubitables. Elle est mariée à Andrew (David McInnis), un jeune avocat d’origine coréenne baigné de la culture asiatique que sa famille entretient de près. Une forte pression familiale attend du jeune couple qu’ils mettent au monde un enfant qui tarde à venir. Cette attente désespère Andrew jusqu’à le pousser à la tentative de suicide, d’autant que les examens médicaux indiquent que c’est de sa semence trop pauvre que provient la stérilité du couple. Ne se résolvant pas à regarder son mari s’enfoncer dans la dépression, Sophie tente d’obtenir en secret une insémination artificielle qui lui est refusée par le médecin de la banque du sperme. Dans la salle d’attente, elle croise Jihah (Jung Woo Ha), un jeune coréen qui essaie de faire un don, apparemment rémunéré outre-atlantique, don refusé par l’institution lorsqu’apparaît le statut d’immigré clandestin du jeune homme. Sophie le suit discrètement et finit par frapper à sa porte pour lui proposer le marché : 300 $ à chaque rapport et un bonus de 30 000 $ dès qu’elle tombe enceinte. Commence alors une double vie pour Sophie, rythmée par ses rendez-vous discrets, d’abord froids et « professionnels », évoluant vers une découverte mutuelle et une affection partagée avec son partenaire de location.
Qui c’est que j’ai entendu rigoler ? … Ah oui, c’est parce que j’avais dit « pas prise de tête » ? On dirait pourtant, comme ça, hein ? Eh bien, détrompe toi, lecteur narquois. Y’a que du doux, du tendre, du timide, presque de l’innocent, dans cette histoire. Et en plus, y’a pas d’eau de rose. Fortiche, non ?
Car ce n’est pas de mièvre eau de rose qu’il est question ici. C’est de bien des choses, mais pas de cela. C’est de l’amour d’une femme pour son mari qui la porte plus loin que l’infidélité pour permettre à son mari de survivre. C’est des conventions qui valorisent un couple par le fait de la procréation plutôt que dans le seul fait d’une association de deux êtres qui se comprennent et se complètent. C’est de la naissance progressive de l’amour par la connaissance mutuelle plutôt que par le seul miracle d’un coup de foudre aléatoire. C’est de la convention qu’un amour se doit d’être exclusif plutôt que de pouvoir se partager. C’est du sentiment de culpabilité, de celui du devoir accompli. Tout ça en vrac, mélangé comme dans la vie, découlant l’un de l’autre, l’un après l’autre, l’un avec l’autre.
On s’attendait à se faire embarquer dans quelque chose sur le choc des cultures, et il en est à peine question. Tout est en demi-teinte et pourtant transparent comme si c’était surligné dix fois. On en apprend bien plus sur l’homme, sur la bioéthique appliquée et vécue de l’intérieur, l’ambivalence, le sacrifice, le don de soi, le mensonge, le non-dit, bref sur la vie que sur la confrontation entre l’orient et l’occident.
Que dire de plus ? Que les acteurs se débrouillent bien, que la réalisation passe quasiment inaperçue tellement on est pris dans le mouvement des questionnements et des choix de Sophie (… désolé, je n’ai pas pu m’empêcher …) ? Oui, bien sûr. Et c’est peut-être le meilleur compliment que de dire cela, de dire comment la forme s’efface devant le fond. Même si ce n’est pas très cinéphile, c’est pourtant le but ultime du spectacle : porter une histoire, une émotion. Et de ce point de vue, le but est largement atteint.
Et finalement, Tonton Sylvain était venu là en pensant rigoler encore une fois. Il en est sorti la tête pleine et le regard discrètement humide. Mais que celui qui n’a jamais écrasé une larmichette devant l’écran blanc d’une salle obscure lui jette la première pierre. S’il ose !