Injure et immunité des parlementaires européens

Publié le 21 octobre 2008 par Duncan

CJCE, arrêt du 21 octobre 2008, aff. jtes C-200 et 201/07, Marra.

Affaire originale traitée par la Cour aujourd'hui.

M. Marra est un parlementaire européen qui a été poursuivi en Italie par MM. De Gregorio et Clemente pour des propos insultants que ce le parlementaire a diffusé dans un tract. Ce tract s'en prenait à la justice italienne en général et aux deux juges précités en particulier. Ils poursuivirent M. Marra en diffamation devant un Tribunal italien et obtinrent gain de cause.

Or les parlementaires européens bénéficient d'une immunité et d'une inviolabilité parlementaire pendant la durée de leurs fonctions (articles 9 et 10 du Protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes). Celle-ci peut être levée à certaines conditions (Article 6 du Règlement d'ordre intérieur du Parlement). Après diverses péripéties judiciaires, M. Marra s'est donc pourvu en cassation.

La Cour est interrogée sur les modalités de mise en oeuvre des dispositions précitées. Il ne s'agit donc pas pour la Cour de décider si les opinions exprimées par M. Marra sont légitimes.

Selon la Cour de Justice, l'immunité prévue à l'article 9 doit être considérée, "dans la mesure où elle vise à protéger la libre expression et l’indépendance des députés européens, comme une immunité absolue faisant obstacle à toute procédure judiciaire en raison d’une opinion exprimée ou d’un vote émis dans l’exercice des fonctions parlementaires" (point 27). De plus, en pratique, il apparait que M. Marra avait demander au Parlement de prendre une résolution en vue de la protection de cette immunité mais que celle-ci n'a pas été transmise aux juges d'instance et d'appel.
En conséquence, la question posée à la CJCE se décompose en trois questions distinctes:
  1. Lorsque la juridiction nationale appelée à juger une action en dommages et intérêts engagée contre un député européen en raison des opinions exprimées par lui n’a reçu aucune information relative à une demande de ce dernier devant le Parlement visant à défendre son immunité, cette juridiction peut-elle se prononcer sur l’existence de l’immunité prévue à l’article 9 du protocole au regard des éléments du cas d’espèce?
  2. Lorsque la juridiction nationale est informée du fait que ce même député a introduit devant le Parlement une telle demande, cette même juridiction doit-elle attendre la décision de celui-ci avant de poursuivre la procédure contre ledit député?
  3. Lorsque la juridiction nationale constate l’existence de ladite immunité, elle doit demander la levée de celle-ci aux fins de la poursuite de la procédure judiciaire?
La réponse à la première question est négative puisqu'aucune règle ne prévoit que le Parlement ne doive être saisi. Autrement dit, l'existence ou non d'une immunité au sens de l'article 9 est de la compétence exclusive des tribunaux. Une compétence implicite du Parlement ne peut se déduire des articles 6 et 7 du règlement d'ordre intérieur sur la procédure de levée de l'immunité.
Sur la deuxième question, le devoir de coopération (article 10 CE) s’applique et impose que, dès lors qu’une action "a été engagée contre un député européen devant une juridiction nationale et que celle-ci est informée qu’une procédure de défense des privilèges et immunités de ce même député, telle que prévue à l’article 6, paragraphe 3, du règlement intérieur, est déclenchée, ladite juridiction doit suspendre la procédure juridictionnelle et demander au Parlement qu’il émette son avis dans les meilleurs délais" (point 43).
Sur la troisième question, la Cour note que si l'avis du Parlement n'est pas contraignant pour les autorités judiciaires nationales, l'inverse n'est pas vrai. Ainsi, une fois que la juridiction nationale a constaté l’existence des conditions pour reconnaître l’immunité absolue, le respect de celle-ci s’impose à cette juridiction (qui devra donc écarter l'action diligentée contre le parlementaire) mais aussi au Parlement: en conséquence, la Parlement ne pourra plus mettre en œuvre la procédure de levée de l'immunité prévue dans son règlement d'ordre intérieur.