C'est le chuchotement des livres qui se parlent...

Publié le 22 octobre 2008 par Pierre Mounier

Véronique Ginouvès, sur la plateforme de carnets de recherche Hypothèses, rend compte d'une intéressante école thématique du CNRS, dont j'ai par ailleurs l'honneur d'être membre du comité scientifique. Honte à moi, je n'ai pas pu y assister. Heureusement, les carnetiers d'Hypothèses "font le boulot" et nous ramènent de splendides pépites. Voici deux passages très intéressants.

Quel est ce bruit qu'on entend au fond de la bibliothèque ?

Quel est ce bruit qu'on entend au fond de la bibliothèque ? s'interroge-t-il… C'est le chuchotement des livres qui se parlent. Lou Burnard les a entendu dire que la numérisation n'est pas un simple acte technique (tiens, j'ai déjà lu ça quelque part il y a déjà longtemps) et que si elle permet de lire, annoter, faire des liens, elle encourage aussi les livres à se parler entre eux. http://phonotheque.hypotheses.org/243

On ne peut pas mieux dire : désormais, les livres vont se parler entre eux et ça va modifier en profondeur les usages de lecture et d'écriture. Les pionniers d'internet nous disaient que le lien hypertexte allait changer le rapport entre les textes. Que les mots, les phrases, les paragraphes, les articles, les livres, pour tout dire, que idées allaient se connecter entre elles. Quelle ne fut pas notre déception lorsque le réseau se couvrit d'erreurs 404, aussi nombreuses et proliférantes qu'une épidémie de maladie infantile. Il s'agissait bien d'une maladie infantile : le réseau avait inventé le lien entre des documents numériques en ligne mais personne n'avait de solution pour stabiliser et structurer ces liens dans la longue durée. Ce qui rendait vain, bruyant et coûteux l'invention géniale qu'est l'hypertexte. De toute évidence, cette période d'immaturité est encore d'actualité. Cependant, la professionnalisation et la structuration des métiers de l'édition électronique, des digital humanities et de l'identification pérenne de documents fait avancer ce dossier à grands pas. Il faudra que j'en rende compte ultérieurement.

Le Lexicon of greek personal names : près de 40 annés d'expérience numérique réussies

Le cas du Lexicon of greek personal names est assez exemplaire. Ce Who's who de la Grèce antique a été créé au début des années 1970 pour tranquillement arriver au 21e siècle sans perte d'information, passant d'une application à une autre, toujours plus performante, intégrant au passage les travaux d'autres communautés comme Pleiades ou Aphrodidias. Sa réflexion sur les textes numériques devenus bien commun comme l'air qu'on respire

http://phonotheque.hypotheses.org/243

Vers la fin des entreprises provisoires ?

La réflexion sur les biens communs est fondamentale, mais je m'attarderai sur une question moins philosophique, mais tout aussi décisive. Aujourd'hui, le souvenir de fichiers Dbase perdus sur des disques au format 5"1/4 au milieu des années 1980 terrorisent encore nombre de chercheurs, qui jurent qu'on ne les reprendra plus à lancer de grandes enquêtes informatisées. Il en est de même pour ceux qui ont eu le courage de faire leurs pages web à la main à la fin des années 1990. Il arrive que ces pages existent toujours, mais que leur auteur soit bien incapable d'aller les mettre à jour, suite à la perte d'un mot de passe ou à la confusion produite par la succession des fusions-acquisitions-faillites qui ont eu lieu dans les sociétés internet. De quoi se dire que, décidément, le réseau et le numérique ne sont ni durables ni dignes de confiance.

Or, l'histoire des digital humanities en général, et de l'édition électronique en particulier, n'est pas jalonnée que de projets avortés, de fichiers perdus, de formats obscurs, de données jamais rendues publiques, de structures de données absconces ou fantaisistes. Une véritable profession s'est peu à peu constituée. Elle existe et peut être identifiée, même si en France elle émerge à peine de la marginalité dans laquelle les institutions les ont placées. Et des projets inscrits dans la durée, cumulatifs, ont vu le jour. Il faudra qu'on reparle de cette histoire.

Crédits photographiques : "White noise", licence CC, par Serhio. http://flickr.com/photos/sergei24/2090838352/.