Lire le ft-02 : les principes de la guerre

Par Francois155

La récente mise en ligne du document FT-02 intitulé « Tactique générale » nous permet de revenir utilement sur quelques grands principes immuables (« des principes établis ») de la guerre ainsi que sur des exigences particulières, propres aux conflits actuels (« des corollaires nouveaux »), qui viennent complexifier les opérations terrestres.

Car, loin de rendre caduques les règles héritées de Clausewitz ou Foch (et partant, en fait, de l’héritage napoléonien[1] qui fournit originellement la matière première à partir de laquelle les penseurs contemporains ont pu réfléchir et écrire sur la guerre), la « guerre au sein des populations » leur accorde toujours la même importance tout en y ajoutant certaines contraintes qu’il faut prendre en compte si l’on veut tirer le maximum de l’action des forces terrestres.

Le nouveau document fondateur de l’Armée de Terre (qui fait suite au FT-01, « Gagner la bataille - conduire à la paix ») revient donc sur ces bases fondamentales en les actualisant à l’aune des récentes modifications de la grammaire de la guerre.

Il n’est sans doute pas inutile de s’y attarder ici, de les présenter en détail afin de les avoir en tête, de les commenter, de les expliciter, etc. Précisons néanmoins que les extraits volontairement mis en exergue sur cette page ne prennent toute leur valeur qu’intégrés à l’argumentaire général du FT-02[2], dont la lecture complète s’impose donc évidemment… Mais revenons-en aux grands principes de la guerre tels qu’ils sont définis dans ce document :

« L’armée de Terre reconnaît trois principes de la guerre - la liberté d’action, la concentration des efforts et l’économie des moyens – à appliquer par les forces terrestres au niveau tactique ».

1. La liberté d’action :

Principe de la liberté d’action :

Possibilité pour un chef de mettre en œuvre ses moyens à tout moment et d’agir malgré l’adversaire et les diverses contraintes imposées par le milieu et les circonstances en vue d’atteindre le but assigné.

La liberté d’action repose sur :

- La sûreté, qui permet de se mettre à l’abri des surprises.

- La prévision et l’anticipation des événements et des actions adverses.

- La capacité de prendre l’ascendant et d’imposer sa volonté à l’adversaire.

Pour reprendre l’expression d’André Beauffre : « la lutte des volontés se ramène donc à une lutte pour la liberté d’action, chacun cherchant à la conserver et à en priver l’adversaire ».

Sur le plan tactique, il s’agit de garder l’initiative (« capacité à fixer ou à définir les termes de l’action tout au long de la manœuvre ou de l’opération ») : le chef exploitera les erreurs de l’adversaire, au besoin en les provoquant, et cherchera toujours à prendre l’ascendant sur ce dernier pour lui imposer son propre tempo.

Deux facteurs essentiels permettent au chef de conserver sa liberté d’action : une claire compréhension de l’adversaire et du milieu et l’audace. La première permet de créer et/ou de percevoir les opportunités ; la seconde donne l’ascendant moral autorisant une prise de risque raisonnée et la réalisation des effets sur le plan adverse et sa volonté.

2. La concentration des efforts :

Principe de concentration des efforts :

Convergence dans l’espace et le temps des actions et des effets des différentes fonctions opérationnelles.

La concentration des efforts n’est pas la concentration des forces : le principe retenu dans le FT-02 insiste sur « la nécessité de combiner les actions et d’optimiser les effets pour multiplier l’efficacité sur l’objectif choisi ». Une manœuvre globale, dépassant les simples aspects militaires, utilisera pour ce faire la coordination entre les différents systèmes d’armes complétée par celle entre les capacités de contrainte, de contrôle et d’influence[3]. La notion « d’effort », ici privilégiée, vise donc à prendre en compte les nouvelles exigences des opérations au sein des populations, qui ne sont pas que militaires.

La concentration des efforts vise à « la conquête d’une supériorité relative appliquée au point de rupture de l’équilibre des forces physiques et morales », concentration qui s’exerce quitte à affaiblir volontairement des points secondaires.

L’établissement du point de rupture nécessite la prise en compte d’un rapport de forces, déterminant les lieux et moments d’infériorité et de supériorité relative amie, d’où l’on déduira les efforts matériels à appliquer.

Sur le plan des effets psychologiques, on cherchera à optimiser la surprise, à exercer une volonté prépondérante (force de conception des chefs renforcée par l’esprit d’initiative de tous les échelons) et à choisir les circonstances les plus favorables.

« La supériorité relative est davantage la conséquence d’une lutte morale entre deux volontés que le choc physique entre deux masses ».

3. L’économie des moyens :

Principe d’économie des moyens :

Répartition et application judicieuse des moyens en vue d’obtenir le meilleur rapport capacités/effets pour atteindre le but assigné.

C’est le choix du chef, « son expression claire et précise pour atteindre un objectif », qui détermine la mise en œuvre efficace de ce principe : en consentant les risques liés à l’audace qui permet l’acquisition de la supériorité relative, il va décider de l’affectation correcte des moyens à sa disposition.

Il utilisera les instruments de l’économie des moyens que sont la modularitéconstitution d’unités adaptées à la mission à accomplir et par la manœuvre interarmes »), l’articulation des forces (les moyens correctement disposés doivent permettre à la fois d’acquérir la supériorité relative, d’exploiter les opportunités et de parer à la surprise) et le soutien, sachant que ce dernier doit être « bien dimensionné et permettre de disposer du meilleur potentiel pour le moment de la concentration des efforts ».

On voit émerger la constitution de deux ensembles tactiques : les forces destinées à l’action principale et celles destinées à la garantie de la liberté d’action, dont l’élément réservé.

4. Des corollaires nouveaux :

Les opérations au sein des populations imposent un rapport nouveau à la destruction. Dans ces cas, en effet, l’usage de la force non seulement ne conditionne plus la victoire politique, mais peut même l’entraver : les populations locales tireront rancœur d’un usage massif de la force de même que les citoyens des pays qui déploient leurs armées, dans des contextes qui n’apparaissent pas vitaux pour eux, seront choqués par un usage trop massif de leurs capacités de destruction que la rapidité de l’information et la forte charge émotionnelle des images véhiculées par les médias toucheront inévitablement.

Pour conserver sa liberté d’action tout en sachant doser convenablement ses actions cinétiques, la force doit donc s’appuyer sur certains principes : la légitimité de l’action entreprise se construit dans ce sens « aussi bien auprès des instances internationales et des opinions nationales qu’auprès des populations locales ».

La légitimité repose aussi sur le principe de nécessité, « c'est-à-dire de juste suffisance de l’application de la force aux objectifs recherchés ». Il en découle un impératif de modération « tenant compte de l’éthique dans la guerre et des dimensions médiatiques et juridiques très présentes lors des opérations ».

Les forces sont également organisées en vue de limiter « les pertes humaines et les dégâts matériels et à privilégier la faillite de l’adversaire à son écrasement » : c’est la réversibilité de l’action[4] ainsi que le refus de l’escalade.

5. Conclusion :

Les trois principes fondamentaux décrits ci-dessus sont complémentaires : l’économie des moyens facilite la concentration des efforts, la liberté d’action autorise l’économie des moyens et la convergence des effets.

En tout état de cause, c’est la surprise qui doit être favorisée en permanence lors de la mise au point des procédés d’application.

Mais les opérations militaires actuelles imposent également des principes nouveaux qui, en établissant la cohérence entre l’efficacité opérationnelle et l’efficacité politique, concourent à la préservation de la liberté d’action. Ce sont la légitimité de l’intervention, la nécessité et la réversibilité de l’action.


[1] Du reste, le FT-02 utilise l’exemple d’Austerlitz (voir la carte) pour illustrer ce chapitre. Les conclusions méritent d’être citées : « Napoléon en analysant parfaitement le terrain et les manœuvres adverses a imposé son plan aux coalisés et obtenu un succès incontestable. Il accepte le risque d’un débordement en ne consacrant initialement à la défense de l’aile droite française qu’un détachement réduit mais appuyé sur un terrain favorable, avec un rapport de forces extrêmement désavantageux jusqu’à l’arrivée de Davout. Cette prise de risque fondée sur une juste économie des moyens permet la concentration de l’effort au centre. Il a ainsi pris l’ascendant sur les coalisés, et conservé sa liberté d’action. »

[2] Il n’est pas inutile de citer une partie de l’introduction du FT-02 afin de bien rappeler son utilité et ses buts : « À partir des nouvelles conditions opérationnelles, le présent document établit le cadre général de l’emploi des forces terrestres. (…) Il fournit ainsi les références nécessaires aux documents de doctrine applicatifs tels que les manuels d’emploi des unités. Leur adaptation aux circonstances relève alors du jugement du chef en opération ».

[3] Selon le FT-02, dans le chapitre intitulé « Des nouvelles conditions des opérations » : « par leur action au sein des populations, les forces terrestres assurent trois finalités tactiques : contraindre l’adversaire, contrôler le milieu physique et humain, influencer les perceptions. »

[4] Réversibilité : aptitude à changer rapidement le mode de l’action entreprise en fonction de l’attitude générale de l’adversaire, notamment pour maintenir au plus bas niveau d’intensité possible une opération.