Loger les immigrés. Histoire de la Sonacotra

Publié le 24 octobre 2008 par Anonymeses

Loger les immigrés. La Sonacotra 1956-2006. Un ouvrage de Marc Bernardot (Editions du Croquant, coll. "Terra", 2008)

Dans les années 50, la conjonction de plusieurs phénomènes crée une situation de concentration de la main d'œuvre immigrée, en provenance de l'Algérie pour une grande part, dans et autour des villes de métropole. Les conditions de logements des ouvriers algériens en métropole, pour la plupart jeunes et célibataires, étaient alors mauvaises. Un rapport du Conseil économique et social en 1956 traite du problème du logement de ces travailleurs, en insistant sur la nécessaire amélioration de l'hygiène dans les logements et cherche par là à lutter contre l'itinérance ouvrière. La création de la Sonacotral, société d'économie mixte ayant pour objet le financement, la construction, l'aménagement de locaux d'habitation destinés aux Français musulmans d'Algérie venus travailler en métropole et leurs familles, avait pour objectif au moment de sa fondation d'assurer un logement décent et équipé à cette catégorie particulière de Français, mais également d'assurer l'ordre public. La mission qualitativement assez floue, oscille entre urgence, celle de la décolonisation, de l'immigration de travailleurs et le long terme, un objectif d'aménagement urbain. L'ensemble du processus de création de la Sonacotral se fait sous l'égide du ministère de l'Intérieur. Il s'agit de procurer aux travailleurs originaires d'Algérie des conditions d'habitation analogues à celles des travailleurs métropolitains. La formule de logement retenue est celle des foyer-hôtel, le logement est de type F5 ou F6, censée être adapté au logement des célibataires, avec des chambres séparées par des cloisons. La responsabilisation des occupants passe par le paiement d'un loyer, des gérants sont recrutés parmi les anciens fonctionnaires et anciens officiers et sous-officiers ayant fait leur carrière en Afrique du Nord, qui connaissent bien la langue et le mode de vie musulman.

La construction et la gestion de foyers de travailleurs migrants sont le résultat d'une politique mixte visant à la connaissance et au contrôle politique, administratif et social des migrants. Très tôt, la Sonacotral étend ses activités afin de trouver de nouvelles sources de financement, en créant des sociétés HLM. Après avoir répondu aux demandes de certaines entreprises, qui souhaitaient trouver un logement à leurs employés, la Sonacotral s'oriente vers la résorption des bidonvilles. En 1962, avec l'accès à l'indépendance de l'Algérie, la Sonacotral modifie la structure de son capital et ses statuts. La société change de nom et devient la Sonacotra (Société nationale de construction de logements pour les travailleurs). Cette extension du champ d'action entérine le déplacement des interventions depuis les seuls travailleurs maghrébins célibataires jusqu'aux familles. Parmi les nouvelles populations que les pouvoirs publics demandent à la Sonacotra d'héberger se trouvent d'autres Africains. Le patrimoine de la Sonacotra a atteint son apogée au début des années 1970, avec plus de 350 foyers en fonctionnement (70 000 lits environ), et une centaine de cités de transit et de centres d'accueil, mais aussi plus de 50 000 logements HLM gérés par ses filiales LOGI auquel il faut ajouter des dizaines de milliers de mètres carrés de bureaux érigés dans le cadre de larges programmes de rénovation urbaine et de rénovation de l'habitat insalubre.

Au milieu des années 70, l'Etat transforme ses modes d'intervention en matière de logement et de gestion des flux migratoires. L'interruption de l'immigration de travail, à partir de 1974, modifie la demande de logement des étrangers. D'autant plus que la crise économique et le regroupement familial transforment démographiquement la population étrangère. Ainsi, le modèle du foyer de travailleur est entré en crise, notamment parce que son utilité en tant que support d'intervention immobilière s'était affaiblie. Les foyers sont désaffectés et leur taux d'occupation baisse grandement. Le système des foyers est en lui-même contesté : les municipalités font obstacle à la construction de tels bâtiments dans leurs communes, les occupants de ces foyers contestent ce mode de logement. Les résidents se plaignent de l'augmentation de la redevance, demandent des améliorations de conditions de vie, marquées par l'exigüité et la manque de confort, demandent l'ouverture de salles de prière. Partie de foyers gérés par des associations, les revendications se feront de plus en plus percutantes. La crise a été financière, avec l'abandon des opérations d'urbanisme financées par l'Etat et par les fonds destinés aux migrants (Fond d'action social pour les travailleurs immigrés et leurs familles). La crise a été politique avec la mise en cause du système paternaliste et raciste de gestion des foyers, donnant lieu à la plus longue mobilisation d'étrangers en France au XXeme siècle. La crise sociale a vu les usagers de foyers touchés par une précarisation continue en raison d'un changement économique de l'usage de la main-d'œuvre immigrée touchée en premier par les licenciements et les sorties anticipées du monde du travail (préretraites notamment).

Devant la mise en cause globale du système des foyers, la Sonacotra et les pouvoirs publics aménagent le mode de gestion et entreprennent une relative modernisation du parc, des équipes dirigeantes... Entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, les dirigeants ont tenté de diversifier leur offre résidentielle en ciblant de nouveaux publics comme les étudiants, les « cadres en mouvement » et les personnes âgées. Quelques constructions vont voir le jour mais c'est surtout par une intense campagne de communication que la Sonacotra va chercher à substituer une nouvelle image à l'ancienne. Cette manœuvre, dans un premier temps acceptée par les pouvoirs publics va éveiller une large hostilité des usagers et des salariés de la Sonacotra et sera finalement désavouée par le gouvernement en 1992.

La Sonacotra va être rétablie dans l'action publique comme un outil dans les politiques de lutte contre l'exclusion et non plus comme un acteur spécialisé du logement des immigrés. Cette réintégration s'est accompagnée d'une volonté, cette fois partagée par les pouvoirs publics et la direction de l'entreprise, de modifier durablement son activité et de faire disparaître les foyers de travailleurs à la fois en changeant leur appellation et en tentant de transformer en profondeur la population logée. Les foyers de travailleurs migrants sont progressivement transformés en résidences sociales, nouvelle appellation qui fournit à la Sonacotra l'occasion de modifier le discours sur la population logée et d'orienter l'activité vers les familles monoparentales et les jeunes familles. Parallèlement, la Sonacotra se positionne dans le domaine des centres d'accueil des demandeurs d'asile et du logement d'urgence. Mais la réalité à laquelle va devoir faire face la Sonacotra est le vieillissement des travailleurs migrants installés dans les foyers, puisqu'environ la moitié des résidents des foyers de la Sonacotra, comme des autres gestionnaires, sont maintenant âgés de plus de 60 ans et la proportion de personnes très âgées connaissant des graves difficultés sanitaires et sociales ne cessent de croître. Cette population incarne maintenant la réalité sociale et sanitaire de la Sonacotra.

Marc Bernardot fait le choix de combiner une analyse historique et une analyse sociologique par l'étude de la structuration du marché du logement pour les immigrés sur une période longue, de 1956 à 2006. Il utilise des sources historiques, écrites et orales multiples : procès-verbaux de conseil d'administration de l'entreprise de 1957 à 1990, analyse de la presse à ce sujet, littérature concernant la Sonacotra et des entretiens réalisés auprès des dirigeants actuels et passés de l'entreprise. Il propose ainsi une analyse très riche et documentée de l'histoire de la Sonacotra. Peut-être tellement riche, que l'on s'y égare parfois. L'ouvrage très dense est donc un peu difficile d'accès. Mais son mérite est bien de cerner pas à pas, année après année le fonctionnement de la Sonacotra, ses crises et les réajustements des politiques.

Par Frédérique