Le mur

Publié le 28 octobre 2008 par H16

Ce blog existe depuis maintenant trois ans pleins. Partant en 2005 de la constatation que l'état français semblait fort mal barré, j'avais plusieurs fois émis l'avis (timide mais constant) que le pays roulait de plus en plus vite sur une route bien à gauche droite avec une pente de plus en plus raide et un mur au bout. A présent, le mur est visible. Il est épais, compact, et terriblement solide. Quant au gouvernement, il a ouvert sa vitre, y passe la tête aux yeux protégés par de grandes lunettes de soleil sous une pluie battante, dégrafe les trois premiers boutons de la chemise pour montrer une grosse chaîne en or et un poitrail velu, met la radio à fond, ... et accélère.

Evidemment, le gouvernement sait.

Même avec la pluie, même avec les lunettes de soleil, même avec la radio à fond, il a vu, droit devant, le mur épais. Alors que font Sarkozy à l'international et Fillon au national ? Ils prennent leur téléphone et appellent tout le monde pour demander au mur de se pousser : convoquant la presse et le monde médiatique en effervescence devant les soubresauts boursiers, les agitations cosmétiques de notre Présiclown se résument maintenant à vouloir déplacer des montagnes à coup d'imprécations, d'exhortations et vociférations creuses.


Sprotch

Ainsi, alors que la réunion avec le patron de la Maison Blanche s'était soldé, au delà d'un peu de kérosène grillé, par quelques déclarations molles, il aura remis ça à Pékin avec le même résultat consensuel et aboulique ; là où notre Grand Agitateur voudrait un capitalisme sarkozique, allégé en protéines, lipides, glucides et vitamines, il obtient surtout des déclarations de principes sur de consternantes banalités, avec, en trame sonore, le mantra répété ad nauseam du Tous Ensemble, On Peut Y Arriver. Manifestement, chaque chef d'état, confronté au tourbillon fumigène du président français, semble pris d'un réflexe glutéal qui le pousse plutôt au "Sauve Qui Peut". On peut à bon droit se demander dans quelle mesure cette crise ne s'est pas empirée à mesure que les dirigeants politiques s'en sont mêlés.

Au plan local, la lueur d'angoisse qui pouvait se lire dans les traits des patrons français s'est probablement muée en peur panique alors qu'un "train de mesures énergiques" a été annoncé pour les PME. En substance, puisque nous n'avons plus guère que du caca à fournir, on va continuer. Mais, pour montrer qu'on fait quelque chose, on va le touiller plus vigoureusement : on ajoute de nombreux tuyaux sur l'usine à prouts du droit du travail, comme les CTP par exemple, ce qui permet de rendre plus fluide la production. Évidemment, touiller plus vite un truc plus fluide, ça en projette un peu plus partout, avec des résultats ... nauséabonds.

En effet, pour certains, le mur est déjà enfoncé. Pour d'autres, à défaut d'envoyer à la casse les voitures qu'on ne vend plus, on va arrêter purement et simplement d'en produire, on va ralentir tant qu'on peut les chaînes de fabrication de ce qui se vend encore, en espérant que l'agrégation pifométrique des industries du secondaire en ralentissement aux entreprises du tertiaire soit camouflé par les restes de croissance dans les services.

Restes d'ailleurs de plus en plus ténus : Madame Michu, qui doit rembourser un crédit immobilier stratosphérique sur un bien dont la valeur dégringole de plusieurs centaines d'euros tous les jours ne se jette plus sur les dernière bottines ou le pantalon à la mode vendus dans les pages satinées de catalogues aux prix de plus en plus déconnectés de son pouvoir d'achat largement grignoté par les traites de son clapier en carton bouilli.

L'immobilier constitue en soi une vaste portion du mur que le pays va se prendre en pleine poire. Entre les constructions "Robiens" dans des ZAC boueuses de périphéries de petites villes à l'activité microscopique, les prêts à taux variables non capés calés sur un Euribor en pleine explosion, ou les crédits-relais distribués il y a encore avec une générosité affolante, la France n'aura pas besoin de l'inventivité des subprimes pour connaître le bonheur festif des ventes sur saisies, du marché immobilier à la criée, des familles jetées dans la rue alors que le chômage tripotera les 20% par le haut. Au rythme actuel des faillites, triste record depuis 10 ans, le Noël qui s'approche ne sera définitivement pas placé sous le signe de la distribution de foie gras à tous les étages.

Il est cependant consternant de se rendre compte que finalement, tout ceci était prévisible, prévu et décrit depuis un moment. Il est tout aussi consternant de se rendre compte que nos "élites" (guillemets de rigueur) n'ont rien fait pour arrêter la production de crédits à tout va, et ont même tout fait pour l'encourager. Encore plus atterrant est d'ailleurs l'attitude actuelle de fuite en avant, qui consiste à distribuer des mauvais points aux vilains spéculateurs, aux méchants capitalistes et aux ignobles libéraux qui ont soit-disant fait basculer le monde dans des turpitudes d'une échelle incommensurable, bien plus proche de la recherche d'un coupable expiatoire facilement trouvé plutôt qu'une remise en question réelle d'un mode de pensée (centralisateur, keynésien et interventionniste, par exemple). La frétilline de synthèse, pompée avec force dans les artères turgescente de nos gouvernants par cette situation catastrophique, leur permet d'aller par monts et par vaux distribuer leurs cachous de moraline : il faut refonder ceci, moraliser cela, remettre à plat ci et ça, et hop, par un bon coup de baguette magique[1], l'état vous assurera un avenir plus rose.

Concrètement, les solutions proposées ont toutes un air de déjà-vu : on va vous collectiviser tout ça à tour de bras, et on va faire passer le mois d'octobre de Noir à Rouge vitesse grand V :

  • Sarkozy propose une bonne dose de capitalisme patriotique, en protégeant l'économie européenne du reste du monde par de puissantes barrières protectionnistes, et ajoute dans la foulée un mini-putsch institutionnel en proposant modestement sa personne pendant quelques mois de plus à la présidence du Conseil : c'est cadeau, c'est promo. Ce n'est pas la crise pour tout le monde.
  • Si vous trouvez cela terriblement socialiste pour un président dit de droite, c'est normal : le spectre politique français a basculé depuis longtemps vers un autisme pro-état qui décale tout le spectre vers le rouge, couleur des stars quand elles s'éloignent à grande vitesse de notre réalité périphérique. Ce qui explique le rougeoiement vif de Royal qui propose rien moins qu'une bonne nationalisation globale des banques française, avec l'argent qu'on n'a pas. Il faut reconnaître un certain courage ou une absence totale de lucidité à notre éternelle candidate présidentielle pour tenter de rejouer la carte mitterrandienne vu son misérable échec au début des années 80.
  • Et entre le rose sarkozien et le rouge royal, on trouve un rouge fadasse : l'extrême-centre bayroutiste nous la joue une nouvelle fois alternatif, proposant à nouveau un infâme bricolage entre le tout communiste et le tout national-corporatiste : branchant son petit ventilateur oratoire, François nous pond de l'humanisme en shrink-wrap , prétendant résoudre la crise en instaurant un jour pour être et non pour avoir. Si vous avez une impression de philosophie de supermarché, c'est normal : avec de l'air en bouteille, on n'étanche pas sa soif.

Pendant ce temps, le CAC continue son yoyo baissier. Si tout se déroule comme prévu, il devrait tripoter les 1500 à 2000 points dans les prochains mois avant de calmer le jeu (oui, ça fait de la marge à la descente, vu de ses 3000 points, hein ?). A ce moment, le pays commencera sa longue traversée d'une crise monumentale que les agitations politiques rendront plus pénible. Ce qui, pour le moment, peut paraître encore amusant va très vite devenir envahissant puis répétitif.

Ce pays est foutu.

Notes

[1] j'ai dit baguette, pas braguette, M. Strauss-Khan