Réflexion : la France et l'Autre.

Par Ananda
L'ennui, avec la France, c'est que dès l'aube, dès l'acte fondateur de son identité républicaine moderne, elle a associé les notions de nation et d'universalisme. Paradoxalement, son universalisme, dès ses débuts, se fermait à l'altérité.
Le républicanisme français devint - très tôt - un idéal missionnaire.
Comme avant lui le Christianisme et l'Islam, il ambitionna d'imposer - au besoin par la violence  (et il ne s'en priva pas) - ses "idéaux justes" au reste du monde. De plus, très tôt aussi, la France retira une très grande fierté de "l'invention de la république", en oubliant un peu vite que la première république de type moderne avait été, en fait, les Etat-Unis d'Amérique (après la guerre d'indépendance).
La France, dès lors, s'enticha de son "rôle civilisateur". Un rôle qui - encore très paradoxalement -  devait la conduire à se constituer un empire colonial.
Et l'ambiguïté demeure, dans les têtes et les mentalités françaises. Aujourd'hui comme hier, on s'accroche à cette "France de la grandeur" et à cette "certaine idée de la France" qu'avait relancée le général De Gaulle. Qu'a été le gaullisme, que reste-t-il, sinon une des grandes expressions du nationalisme français ?
Comme la Révolution, le gaullisme porte en lui un attachement à une certaine domination. Il en résulte qu'implicitement, adhérer aux "bons principes" et aux "grands idéaux", c'est devenir français.Comment peut-on à la fois se vouloir nationaliste et universaliste sans verser, très vite, dans le rejet, l'assimilation forcée de l'autre ?
La France est, actuellement, prise au piège de sa propre logique. On constate que "l'assimilation à la française" a des ratés. La "Marseillaise" est régulièrement sifflée lors des matches de foot France/Maghreb. On essaie de faire passer dans la loi le principe de "colonisation positive" et, après avoir institué un ministère de l'"identité nationale", un président de la Républque déclare l'homme africain "pas assez entré dans l'Histoire".
Au fond, c'est à se demander si la France a vraiment bougé, si les esprits ne sont pas -encore et toujours - à la traîne.
Les Français sont devenus gaullistes et ont fait une fixation sur le gaullisme parce qu'il redorait leur blason après la guerre et les facheux souvenirs de la collaboration. Or, le gaullisme a instauré une véritable chape de plomb conservatrice et autoritaire, qu'au fond ni Mai 68, ni les "années Mitterrand" n'ont jamais vraiment réussi à entamer.
En tout cas, le gaullisme n'a pas aidé les Français à refermer la plaie coloniale.
Entre la "Françafrique" et les souvenirs émerveillés de "la grande exposition coloniale" et de l'"ascenseur social" appréciable qu'ont longtemps constitué pour les "petits blancs" de la "société bloquée" les colonies, aucun travail sur la question n'a pu se faire en profondeur. La gauche se retranchait derrière ses professions de foi républicaines : non, dans un pays comme la France, le racisme ne peut exister. Cela permettait d'évacuer toute discussion sur la présence dans l'hexagone de populations qui rappellaient le passé colonial (un passé dont on avait honte).
La "droite", quant à elle, en est resté - plus ou moins implicitement - à ses positions de paternalisme et de méfiance profonde envers le pays qui lui avait arraché de haute lutte son indépendance : l'Algérie.
Dans l'hexagone, volontairement ou involontairement ignoré de tout le monde, a grandi le malaise des  "invisibles" descendants marginalisés des "indigènes", qui s'ajoutaient aux représentants de DOM-TOM eux aussi mal dans leur peau (car regardés comme français quand ça arrange, et comme "Noirs" quand ça n'arrange pas) pour venir transplanter sur le territoire français même la "fracture coloniale".
Je l'ai déjà dit ailleurs, il est des choses qui vous retombent sur le nez telles des boomerangs.
Il est désormais clair - quoiqu'on dise - qu'à l'heure qu'il est, on ne peut plus faire l'impasse sur le poids de l'histoire.
Or, la France a, derrière et en elle, précisément tout une poids de rigidité et d'histoire pesante.
On peut difficilement me semble-t-il, être chauvin ET universaliste.
Faire table-rase de ses liens ancestraux pour devenir français ?
Cela semble, désormais, une conception assez dépassée, au vu de tout ce qui se passe.
La France est handicapée : elle n'a pas la tradition d'un vrai "melting-pot". Pour cela, il faut être un pays neuf, comme le Canada, les U.S.A ou l'Australie.
La France avait l'habitude que ses "indigènes" restent à l'extérieur, loin, "outre-mers". Lorsqu'il faut traîter leur présence en grand nombre sur son territoire, on a l'impression qu'elle se trouve prise de cours.
Et ce ne sont certainement pas les solutions "gaullistes" ou les bons vieux appels à la laïcité qui la désencroûteront.
Il faudrait (peut-être) qu'elle apprenne un peu à se remettre en cause, qu'elle cesse de ressasser comme des mantras ses hymnes d'auto-satisfaction béate.
Après tout, se remettre en cause est une marque de maturité (oserai-je dire : de civilisation ?).
On sait les ravages qu'ont causé, au siècle dernier, les nationalismes (et la France le sait mieux que personne).
Ce n'est pas en mobilisant les chauvinismes que ce pays peut s'en tirer. Il doit se dérigidifier s'il veut faire face aux défis du XXIème siècle.


P.L